a monster in the night (arya)

|	a monster in the night ; Anya & Arya

La fête bat son plein, les corps ondulent sur le rythme de la musique, la voix d’Anya inonde la salle de concert et transcende les âmes. Elle vit enfin le rêve qui l’anime depuis qu’elle est enfant, décroche enfin ces étoiles qu’elle a toujours été contrainte d’admirer de loin. Aujourd’hui, elle foule le sol lunaire sans la moindre difficulté, rien qu’en plaçant son micro entre ses deux paumes fébriles et en entrouvrant les lèvres pour laisser s’échapper de chaleureuses sonorités humaines. Comme chaque soir qu’elle se produit devant une foule, le spectacle prend fin bien trop vite à son goût. Elle est alors obligée de quitter la lumière pour rejoindre l’obscurité des coulisses, se défaire de sa tenue brodée de rêve et d’euphorie pour retrouver le commun des mortels.

Habituellement, elle se perd dans la foule pour échanger brièvement avec ses fans après un concert mais ce soir, la fatigue l’emporte sur l’envie de traîner ici. Elle s’échappe donc par la porte arrière de l’établissement, rejoint sa voiture sur le parking et balance sa guitare dans le coffre. Elle s’apprête à grimper à l’intérieur de l’habitacle quand une main vient tapoter son épaule, l’obligeant à se retourner. Un homme se tient alors devant elle, un inconnu dont le visage ne lui dit absolument rien. D’abord, elle le toise, méfiante, se demandant ce qu’il peut bien lui vouloir sur un parking désert, presque plongé dans l’obscurité la plus totale. Sans doute rien de bienveillant. Il se décide alors à ouvrir la bouche et lui explique qu’il est un fan, qu’il la suit depuis presque toujours et qu’il l’adore. Elle le remercie avec un sourire un peu crispé, signe la photo qu’il lui tend et pense en être débarrassée mais cet homme veut autre chose. Il veut plus qu’un simple autographe. Il se montre alors menaçant, intimidant, face à la peur évidente d’Anya.

Oppressée, paniquée, la rouquine finit par le pousser dans un geste réflexe pour se dégager. Bénéficiant d’assez d’espace pour s’enfuir, elle se met à courir hors du parking, sans se retourner une seule fois, craignant de se ralentir. Elle pousse la porte du premier bar qu’elle croise et fonce tout droit vers les toilettes, afin de s’enfermer dans l’une des cabines restées vides. Elle se laisse glisser contre le mur, s’assoit à même le carrelage froid et commence à réfléchir à toute allure. Que devrait-elle faire ? Combien de temps devrait-elle attendre ici avant de pouvoir ressortir, sans risquer de tomber à nouveau sur ce type ? Pleurant nerveusement, la cage thoracique se soulevant et s’abaissant à un rythme frénétique, elle sort son téléphone de sa pochette et appelle Arya, priant de toutes ses forces pour qu’elle décroche. Quand elle entend la voix de son amie à l’autre bout du fil, elle en est presque soulagée.

- A… Arya ? T’es… T’es occupée, là ? Non, ça va pas du tout… Je… J’peux pas t’expliquer mais… Mais tu pourrais me rejoindre maintenant s’te plaît ? J’suis au Luxury… Dans les toilettes… J’peux… J’peux pas bouger. ‘Faut vraiment que tu viennes vite… Ok, merci… À tout de suite… suffoque-t-elle d’une voix chevrotante avant de raccrocher.

Elle laisse tomber son téléphone sur le sol, replie ses genoux contre sa poitrine et les entoure de ses bras frêles. Elle reste dans cette position durant de longues minutes, pleurant silencieusement, sans même prendre conscience du temps qui passe. C’est le bruit de talons martelant le carrelage qui la sort de sa léthargie, l’obligeant à se pencher un peu pour jeter un oeil sous la porte des toilettes. Elle reconnaîtrait cette démarche et ces longues jambes entre mille. Alors elle se redresse légèrement pour déverrouiller le loquet et pousser doucement la porte battante.

- J’suis ici… soupire-t-elle d’une voix faible, pour attirer l’attention d’Arya dans sa direction.

|	a monster in the night ; Anya & Arya

Elle est soudainement terrifiée par le revers de la médaille. Terrorisée. Elle ne s'attendait pas à ce que la gloire se retourne contre elle de cette manière. Elle ne s'attendait pas à devoir subir aussi vite les inconvénients de la renommée. Planquée dans la minuscule cabine des toilettes de ce bar, elle se sent à présent tout à fait vulnérable et pitoyable, comme une proie complètement à la merci de son prédateur. La seule échappatoire qu'elle a trouvé dans ce moment de détresse, c'est Arya, qu'elle appelle, la voix complètement alarmée, à bout de souffle, le coeur en miettes. Lorsqu'elle raccroche, elle se recroqueville dans un coin de la cabine en tremblant, les genoux repliés contre sa cage thoracique. Elle patiente en essayant de contenir les sanglots qui font trembler tout son corps. Elle garde les yeux rivés sur la poignée, craignant de la voir s'actionner à tout instant, et que ce soit ce fan mal intentionné qui fasse soudainement son apparition. Que pourrait-il bien lui faire s'il la trouvait ici, seule et sans défense ? De quoi serait-il capable ? Elle préfère ne pas y penser. Mais s'il bloquait la porte des toilettes, à cause du bruit assourdissant de la musique, personne ne l'entendrait crier, c'est certain.

Elle secoue nerveusement la tête de droite à gauche, comme si elle cherchait à évacuer ces pensées négatives de son esprit embrumé. Si ça se trouve, il n'a pas vu dans quelle direction elle s'enfuyait. Si ça se trouve, il l'a perdue de vue dans la foule. Si ça se trouve... La porte des toilettes s'ouvre et immédiatement, la Russe reconnaît la démarche de son amie. Prudemment, elle entrouvre la porte battante et interpelle la jeune femme de sa petite voix éteinte. Ses grands yeux embués se braquent sur elle et l'appellent déjà à l'aide, sans même s'apercevoir qu'elle est habillée comme si elle s'apprêtait à prendre part à une soirée mémorable, avant qu'Anya ne vienne l'interrompre.

- Merci d'avoir fait aussi vite... arrive-t-elle à articuler entre deux hoquets sanglotants.

Vient alors le moment d'expliquer la raison pour laquelle elle l'a pressée de venir jusqu'ici et déjà, elle sent un noeud remonter le long de sa gorge et l'empêcher de parler. Elle déglutit avec difficulté, sent sa mâchoire qui se met aussitôt à trembloter et doit prendre trois grandes inspirations pour ne pas se remettre à pleurer instantanément.

- Un gars... Enfin, un fan, de ce que je croyais, au début, m'a demandé un autographe sur le parking juste à côté sauf qu'il s'est montré menaçant d'un coup et... Finalement, je me suis enfuie et suis venue me planquer ici. Il ne m'a rien fait et je sais que j'en fais des tonnes pour rien mais... J'ai complétement paniqué...

Les traits de son visage se crispent soudainement pour tenter de contenir le nouveau flot de larmes qui menace de surgir d'entre ses paupières, en vain. Des sillons humides et noircis, se mettent à creuser ses joues rosées alors qu'elle se demande ce qu'elle a bien fait pour mériter ça.