HURT (Irina)

Jeremiah est assis derrière un bureau de bois vernis, le dos enfoncé dans le dossier de cuir rouge, les pieds posés sur un tas de papiers. Il a toujours rêvé d'avoir ce genre de bureau, ce genre de prestance. Un brin désinvolte et pourtant tellement classe. Il sait qu'il en impose maintenant. On le respecte, lui, le fou-furieux du Queens. Il a atteint le sommet. Il sait que la chute ne peut, par conséquent, être que plus brutale. Mais il aime toiser la populace du haut de son trône. Un sous-fifre débarque dans son bureau. Ils savent qu'il n'y a que deux raisons pour le déranger sans frapper : son gosse ou Irina. Le reste, il s'en branle. Aussitôt, les pieds retrouvent le sol, les paumes de ses mains s'aplatissent contre le bureau de bois vernis, son torse se penche au-dessus de celui-ci. Le sous-fifre vient d'obtenir toute son attention. « Irina a un rendez-vous avec un type chelou. J'ai l'adresse. Apparemment, il fait partie de ces clients blindés... » Il se tait. Jeremiah a levé une main pour lui faire comprendre qu'il en a suffisamment entendu. Son Irina se permet donc de jouer à la Belle alors qu'elle est sensée lui appartenir. La grognasse semble vouloir voler de ses propres ailes et il est temps de lui rappeler à qui elle appartient et qui elle doit remercier pour respirer l'air pollué du Queens. Une grimace vient fendre son visage alors qu'il ouvre le tiroir de son bureau pour en sortir un desert eagle, qu'il enfonce dans son pantalon, sous sa veste. S'il ne tire pas, il lui défoncera la tronche avec le calibre. Une arme lourde, c'est toujours fiable. Jeremiah se lève, coince une clope entre ses lèvres. Direction la porte de sortie. « On va aller niquer leur soirée. » Il accompagne ses propos d'un signe de main pour lui faire comprendre, à son sous-fifre, qu'il est temps de se bouger. Ils ont une soirée à niquer.

Dans la voiture, il fume. Une clope. Deux clopes. Il tire sur sa cigarette comme si sa vie en dépend. La fumée grisâtre s'écrase contre la vitre. Le quartier huppé. Bien évidemment. Il fronce les sourcils. La voiture s'arrête. Il sort de la voiture, en compagnie de deux sbires. Un reste dans la voiture, toujours. Jeremiah est devenu paranoïaque avec le temps. Sa cigarette s'écrase sur le sol alors qu'il leur fait signe de passer par la porte des employés. Il veut leur niquer la soirée mais il n'a pas franchement envie de se faire remarquer dans le restaurant. Une liasse de billets s'échange, quelques menaces, un sourire carnassier. L'être humain n'a jamais eu besoin de plus pour obéir. Infâme ! Un serveur s'approche de la table d'Irina et de son client. Il se penche au-dessus de l'épaule du type pour lui murmurer quelque chose. Il s'excuse. Il se lève pour se diriger vers l'arrière salle, un peu décontenancé mais soit.
Et là, il tombe nez à nez avec Jeremiah et deux de ces sbires. Des molosses sans grande intelligence, mais Jeremiah n'a jamais eu envie de louer l'intelligence, des bras musclés rendent plus service et les crétins ont tendance à être plus fidèles. Un sourire se dessine sur les lèvres de Jeremiah alors que l'homme en question s'interroge et interroge. C'est quoi le problème ? Il y a un souci ? Se connaissent-ils ? Et entre deux questions, Jeremiah se rue sur lui pour lui en décocher une. L'homme, surpris, s'écroule. Et Jeremiah pose un genou à terre pour se trouver au-dessus de lui. Et il continue. Il saisit son col de la main gauche pour laisser s'abattre son poing droit à un rythme effréné. Les sous-fifres observent. Ils savent qu'ils vont devoir laver, ranger, ramasser les morceaux et peut-être cacher un corps. C'est leur boulot. Jeremiah sent quelque chose craquer sous son poing mais il n'arrête pas pour autant. Il continue jusqu'à ce qu'il considère que le message est passé.

Il se redresse, tend la main vers Sergei – un des sbires – qui lui tend aussitôt une serviette. Il essuie le sang de sa main droite, regarde les dégâts avant de balancer la serviette sur la tronche amochée du gars gisant sur le sol. Il respire. Son nez siffle. Il gémit. Mais il respire. « Vous me nettoyez ça. On a promis au Patron, de pas faire trop de dégâts. » dit-il en passant sa main dans ses boucles. Il essaie de reprendre contenance, peu à peu. Ses ordres sont courts mais assurés. Les types savent ce qu'ils ont à faire. Ils vont appeler d'autres gars avec une autre voiture. Et ils vont réparer la furie de Monsieur. Il pousse le corps du bonhomme avec son pied pour rouvrir la porte. Il atterrit du coup dans les cuisines. Il fait signe au patron de venir le voir. « Merci. On a besoin d'environ trente minutes pas plus. » Le petit rondouillet n'a pas envie de savoir ce qu'il s'est passé dans cette pièce et récupère des billets supplémentaires. Jeremiah lui tapote l'épaule amicalement avant de se diriger vers la salle du restaurant.

L'ambiance est différente. Calme. Huppée. La musique d'ambiance. Le bruit des couverts sur les assiettes bien trop blanches pour avoir été utilisées. Étrangement, il ne fait pas tâche dans le décor. Jeremiah est devenue élégant avec les années. Il sait combien les apparences comptent quand on atteint le sommet. D'un pas assuré, il se dirige vers la table de la jeune femme. Elle est dos à lui. Elle ne le voit pas arriver. Elle le voit simplement s'asseoir en face d'elle, à la place de son rendez-vous. Il prend place, un sourire radieux et chaleureux aux lèvres. « Tu es radieuse ce soir. » dit-il de cette voix rocailleuse. Elle comprend sans doute ce qui s'est passée en posant son regard sur la main droite de Jeremiah. Tabasser un mec à main nue, ça laisse des traces. Il pose alors son regard sur sa main, et hausse les épaules. « Tu sais que je peux être assez possessif. Parfois. Possessif et excessif. »
Il prend une mine presque boudeuse avant de poursuivre : « Cette soirée m'appartient, Irina. Tu m'appartiens. » Il précise en insistant légèrement sur le « tu ». La jalousie, il ne parvient pas à la cacher. La Irina, elle l'a lassé … il en est même arrivé à l'oublier mais à chaque fois qu'elle lui joue des coups comme celui-ci, il se rend compte de son attachement pour elle. Bestial. Animal. Excessif. Il l'aime à en brûler tout le Queens. « Je vous ai dérangé avant le dessert. Tu veux le prendre ici ou est-ce qu'on rentre tout de suite? » demanda-t-il en se penchant légèrement au-dessus de la table. « En parfait gentleman, je te laisse le choix, Irina. »

Un sourire charmeur vient prendre place sur ses lèvres alors que sa main vient se poser sur le visage de la jeune femme. La lourde main qui s'est abattue sur le visage de ce type quelques minutes plus tôt … cette main n'est plus la même. Elle est douce. Elle est chaude. Il caresse ses lèvres de son pouce, avant d'ajouter : « Tu es belle à me rendre fou ... »

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