(colomba) perte de contrôle

Elle n’est pas de ces femmes qui se laissent subjuguer par leurs envies. C’est l’esprit qui dicte les actes, et non les sens. C’est une certitude dont Colomba ne se défera certainement jamais. Alors, lorsqu’elle sent que ses instincts, ses hormones, reprennent le dessus, elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour les calmer. C’est ainsi qu’elle garde le contrôle de son existence, et qu’elle reste celle qu’elle est aujourd’hui. Ne jamais offrir de contentement à l’adversaire. Et, malgré les papiers du mariage, Savas était pour elle un adversaire redoutable. De quoi lui faire perdre son statut de déité pour un instant. Les mots lui manquent parfois, face à lui. Alors, il faut combler avec le reste, avec ce qu’elle fait de mieux depuis toujours. Le masque. La séduction. Un félin parmi les proies. Elle veut rentrer, avoir le plein pouvoir, ne pas se contenter d’une baise non maîtrisé dans un couloir de son établissement. Les pulsions se font moindre, son rythme cardiaque reprend son train habituel. Elle peut enfin reprendre haleine. Elle ne prend même pas la peine de répondre à sa petite provocation concernant sa déception. Colomba le connaît trop bien pour savoir que c’est ce qu’il attend, qu’elle réagisse et le laisse gagner une bataille perdue d’avance. Elle se contente de le suivre, toujours aussi volcanique. Les cheveux en désordre lui donnant un air encore plus sauvage qu’à l’habitude. En effet, il avait raison. Elle n’avait peur de rien, si ce n’est de ses propres envies. Elle ne voulait pas se laisser embraser par ses besoins primaires. C’était là le défaut des faibles, selon elle. Et, elle, n’était pas faible. Elle laissait cela aux humains de seconde zone. Ils prennent le chemin de leur habitation, comme un couple normal rentrant chez eux. Mais ils ne sont pas un couple normal, loin de là. Quelque chose finira toujours par éclater. Tôt ou tard. Un reflux de possessivité. Une énergie mal placée. Quelque chose qui fera chuter les amants, et éliminera leur existence. Colomba en était persuadée. Leur relation n’était pas saine, et cela leur retomberait dessus un jour où l’autre. D’une façon ou d’une autre. Elle prend place dans la voiture, jambes croisées, torse bombé. Elle plisse les yeux à sa question. Etrange. Elle ne sait qu’en penser. « Tu t’es épris d’un joli papillon que tu ne veux pas laisser partir ? C’est pour ça que tu me l’envoies ? » Elle tourne la tête vers son époux, son sourire usuel accroché aux lèvres. « Tu sais pourtant qu’elle ne tiendra pas un mois sous mes ordres. » Colomba était très rude envers ses employés, durant le temps de travail. Un vrai tyran prêt à tout pour toucher l’excellence. Ceci dit, une fois le travail terminé, elle devait une mère pour ses colombes. Ses poupées. Elle aimait les choyer, faire le mieux pour elle, se conduire en protectrice aimante. Cela donnait un paradoxe assez redoutable qui faisait peur à la plupart des personnes qui s’étaient aventurées dans les locaux de la belle Colomba. Savas le savait, il connaissait sa femme. Il devait donc avoir une excellente raison de lui confier une de ses filles. Ils n’avaient pas vraiment pour habitude d’échanger ainsi les âmes, Colomba refusant d’offrir aux mains de son époux, les fées de sa scène. Elle hoche toutefois la tête. « Elle peut passer l’entretien, et je verrai ce qu’elle vaut. Je conviendrai d’un horaire avec elle, dans les jours à venir. » Elle lève un doigt, comme pour avertir son mari. « Je te préviens, elle n’aura aucun traitement de faveur malgré ta recommandation. Elle sera traitée avec la même sévérité que mes autres demoiselles. » Elle regarde par la fenêtre, laisse le paysage circuler sous ses yeux. Pour que Savas lui recommande, c’est qu’elle devait certainement être douée, Colomba n’en doutait pas. Elle était donc assez impatiente de l’entendre se produire face à elle, de savoir ce qu’elle avait dans le ventre. Se penchant légèrement vers son époux, comme pour lui faire une confidence, elle lui murmure. « J’espère que tu es conscient que tu auras une dette envers moi, après ça. » Elle lui fait un clin d’œil, ravie d’avoir une longueur d’avance. Elle verrait bien comment mettre cette petite avance à profit.