famille fracassée. (etsuko)

allongé sur ton lit, les yeux rivés vers la fenêtre pour observer le soleil qui brille à l'extérieur.
la musique te berce et apaise tes douleurs. un léger sourire flotte sur tes lèvres. t'as l'impression (mais tu ne veux pas te faire des idées) que les choses vont un peu mieux ces derniers temps. tu fais de jolies rencontres, des personnes te tendent la main. mais les faux espoirs ne sont jamais loin avec toi alors t'essaies de pas trop t'emballer.
tu finis par t'extirper de ton lit quand tu sens ton estomac se contracter. une faim qui commence à se faire entendre.
normalement t'es seul à la maison aujourd'hui, t'as pas voulu accompagner les autres à une sortie. et personne ne t'a franchement forcé pour venir. ils s'en moquent que tu sois là ou non, tu penses même que ça les arrange que tu ne sois pas là pour leur gâcher le plaisir de passer une journée en famille au parc.
tu descends dans la cuisine pour sortir des sushis du frigo. les baguettes dans l'autre main tu t'apprêtes à t'installer à la table pour manger. sauf que tu sursautes en voyant ta cadette.
un soupir à peine audible frôle tes lèvres. tu pensais naïvement pouvoir être tranquille aujourd'hui mais visiblement le destin n'est pas de ton côté. même ta cadette t'effraie un peu. pas comme les autres en revanche, elle n'a simplement jamais levé le petit doigt pour te défendre. mais de toute façon ce n'est pas son rôle, c'est toi l'aîné. c'est quand même pas le grand amour.
ou plutôt tu ne sais pas trop comment te comporter avec elle. tu peux peut-être te montrer un peu plus amical et enjoué mais tu marches quand même sur des œufs, avec la peur qu'elle se rebiffe à tout moment. « je m'attendais pas à te voir ici. t'es pas partie avec les autres ? » si elle est là c'est que t'as déjà la réponse.
mais encore une fois tu ne sais pas quoi dire quand elle est dans les parages. c'est peut-être celle que tu supportes le plus dans ta fratrie mais vous n'êtes pas au point de faire des batailles d'oreillers.
« tu veux manger un truc avec moi ? » t'essaies pas de jouer au grand frère protecteur, les marques violacées sur ton visage prouvent que t'es pas fait pour ce rôle. parce que elle non plus ne connaît rien de la rage qui bat en toi, elle ne sait pas que tes poings frappent douloureusement eux aussi.

@etsuko sakai

agacée par ton manque de productivité depuis le début de la journée, tu craques. tu laisses tomber ton crayon à papier sur le bureau qui roule pour finir par tomber sur le sol, puis tu te lèves d'un coup sec. t'en as marre, là. vraiment marre. t'attrapes ta dernière tentative, la froisse entre tes mains et l'envoie valser dans la poubelle. même pour une créatrice de génie telle que toi, il y a des jours sans. tu pestes parce que tu manques de temps pour rendre ton projet et qu'il y a parmi tes camarades des belles idées. tu ne veux pas te faire voler la vedette. mais tu veux pas non plus voler le travail des autres pour te l'approprier. t'es capable de faire des crasses, etsuko mais tu as des limites. seulement parce que tu refuses de penser que d'autres ont plus de talents que toi, en fait. parce que c'est ton destin de briller, grâce à ton travail. une sensation désagréable te traverse le ventre, t'as faim. c'est le moment opportun de faire une pause alors tu descends te servir dans la cuisine, consciente que tu ne trouveras personne sur ton chemin pour passer tes nerfs. ils sont tous partis te semble t-il, pour une balade en famille à laquelle tu n'as pas souhaité te joindre. t'avais du travail as-tu prétexté. ce n'était pas faux, mais ce n'était pas tout à fait vrai non plus. t'as un rendez-vous après, qui nécessite que tu puisses t'éclipser le moment venu en toute tranquillité. t'as pas besoin de questions indiscrètes parce que tu peux pas répondre, tu veux pas. ce serait très gênant. sujet épineux. t'es un peu surprise quand tu constates que tu n'es pas aussi seule que tu le pensais mais avec du recul, il n'y a pas de raisons. c'est normal que le bouc-émissaire de ces demoiselles ait cherché à fuir le reste de la famille. tu peux pas le blâmer pour ça, en revanche tu le peux pour sa stupidité. « si je suis là c'est que non, je ne suis pas partie avec eux. » pas étonnant que ce pauvre garçon se fasse marcher dessus, y compris par ceux de son sang. tu roules les yeux, blasée d'avances, mais tu tires quand même une chaise pour t'asseoir. « vas-y, file moi des sushis. » c'est pas que t'as envie de passer du temps avec lui pour une fois mais t'as rien de mieux à faire pour l'instant. t'as faim, déjà, et c'est pas la présence d'hijo qui va t'empêcher de bouffer. et puis tu sens que t'es pas prête de dessiner la perle qui va te faire rafler la meilleure note de la promo, donc... tu sais pas trop quoi lui dire à ton frère, vous parlez jamais ensemble. vous êtes pas proches, encore moins que tu l'es avec tes soeurs. étais-ce une bonne idée de dire oui ? « j'vais bouger après, et toi ? tu vas rester pour profiter de la maison pour toi tout seul ? » l'un comme l'autre, ça ne fera pas une grande différence. hijo n'est pas un problème, t'as pas de compte à lui rendre.

t'es carrément la brebis galeuse de la famille ; c'est quelque chose que t'as compris il y a plusieurs années, peut-être même dès que t'as commencé à parler ou marcher. tu peux pas forcer les gens à t'aimer mais c'est différent quand ceux qui partagent le même sang que toi passent le plus clair de leur temps à te rabaisser. et pourtant tu continues bêtement à être à leur service, à jouer au parfait fils gentil et serviable. même si la seule chose que tu récoltes ce sont des insultes, encore un peu plus chaque jour. t'as pas envie de riposter même si t'en es parfaitement capable, secret que tu gardes précieusement pour toi-même. ouais tu pourrais leur hurler dessus, hijo. il serait grand temps de leur balancer leurs quatre vérités, de leur crier qu'ils t'emmerdent. tous autant qu'ils sont, que t'en as ras le bol de les entendre et de les voir. tu pourrais aussi frapper votre père pour le remettre à sa place, pour l'empêcher de te cracher dessus et de te donner une gifle. mais tu sais très bien que tu ne vas pas le faire. parce que t'es juste pas comme eux.
mais ça te démange tellement.
encore plus maintenant que tu comprends que les choses vont de plus en plus mal pour toi. que tu commences à sérieusement craquer. que t'as peur de craquer. que les larmes tracent des sillons sur les joues du petit prince innocent que tu es. ils ne savent pas que leur méchanceté peut se retourner contre eux à tout moment.
parce que t'es devenu une putain de cocotte-minute.
et que t'en as marre. d'être fuis comme la peste, comme si t'étais atteint d'une maladie incurable ou de la coqueluche.
tu secoues la tête. ta main attrape le plat à sushis pour le tendre vers ta cadette. « tiens, sers-toi. » tu lui donnes également des baguettes avant de détourner le regard comme un petit animal battu. t'attrapes la bouteille d'eau pour vous servir un verre à tous les deux ; le silence est devenu pesant mais t'as aucune idée de sujet de conversation. c'est pas dans vos habitudes de vous retrouver ensemble.
mais elle brise le silence, c'est assez étonnant de sa part. tu fronces les sourcils. alors tu reprends la parole. « je sais pas encore. peut-être. mais j'ai des dessins à boucler pour la fac. »
tu lui sers un petit sourire. avant de recommencer à baragouiner quelques mots. « ça se passe bien tes études d'ailleurs ? je suis certain que t'es la meilleure de ta promo. »
ouais malgré toutes les crasses qu'ils te font t'as le cœur sur la main hijo. et bêtement tu t'intéresses au futur de ta sœur.

@etsuko sakai

la famille est une notion importante pour tout bon américain qui se respecte. c'est en tout cas que les émissions de télé ou encore les séries populaires s'évertuent à faire rentrer dans le crâne des téléspectateurs. et le monde il est tout beau, tout rose. elle l'est, c'est certain. dans une moindre mesure. tu aimes les tiens, etsuko, mais pas au point de sacrifier ta vie pour eux. soyons honnête, en cas d'apocalypse ou d'invasion zombie, c'est chacun pour sa poire. idéalement, ils se battront pour sauver ta peau mais pas l'inverse. tu es la cadette de la famille après tout, alors tu estimes avoir naturellement droit à ce type d'avantages. cependant, tu ne les vois pas vraiment se battre pour toi. peut-être seulement vos parents, les plus braves à tes yeux dans votre famille. les faux braves. les enfants, vous, vous êtes de la mauvaise graine. tous les même. même hijo, à sa façon, car vous êtes tous taillés dans le même bois. tu lâches un « merci » sec, comme si ce simple mot t'arrachait la bouche. t'as pas franchement l'habitude d'être agréable, pas avec lui. question d'habitude, en soi ton grand-frère ne t'as rien fait. tu suis simplement le mouvement, fais comme tes aînées. toi, tu sais rentrer dans le moule, etsuko. tu sais comment manœuvrer dans ce monde de requins. tu sais un peu moins comment faire pour lui parler normalement. comment être gentille. « quel genre de dessins ? » t'essayes de t'intéresser. vos domaines respectifs ne sont pas si éloignés l'un que l'autre, vous pourriez compter là-dessus pour vous comprendre. créer un véritable lien si jamais t'en éprouvais le désir. mais c'est pas le cas. « oui, je suis clairement au-dessus. » t'es on ne peut plus sérieuse dans tes propos. t'es encore qu'une étudiante qui a besoin de faire ses preuves mais ça t'empêche pas de te prendre pour n'importe qui. t'es convaincue d'être une future star de la mode même si certains jours comme aujourd'hui, créativité et inspiration manque à l'appel. « j'ai un défilé à préparer pour la fin de l'année. » un mini défilé. un projet de fin d'année sur lequel t'es pas encore en retard mais t'es tout juste dans les temps. il faut pas que tu traînes, faut que tu passes bientôt à l'étape supérieure. autrement dit, tu devrais suivre son exemple et rester à la maison pour terminer ton travail. mais t'as une vie bien remplie, toi.