heartless (roseen)

c’était il y a trois mois. l’éclat de l’obus meurtrier avait à jamais changer le cours de ta vie. convalescence que tu avais dû passer à damas, dans le plus grand des secrets. les tiens ignoraient le fait que tu respirais toujours, n’étant pas tombé sous les bombes. sonne le jour où tu foules de nouveau le sol américain.

la pupille restante perdue à travers le hublot, tu regardes les couches vaporeuses qui défilent devant toi. tes pensées sont loin d’être à la fête. des tourments qui sèment le trouble dans ton esprit déjà bien embrumé. cette nuit, tu as pu fermer l’oeil quelques heures. un miracle, tes nuits sont désormais hantées par des images de l’enfer où tu as rôti durant presque deux longues années. retrouver la civilisation occidentale, loin de la misère que tu as croisé sur ton chemin. une perspective qui te comprime la poitrine, comme tous les pans de ta vie que tu as laissé dans le queens. elle a les cheveux blonds, dans tes souvenirs. si loin la dernière fois que tu as croisé ce doux regard, senti sa délicate essence fleurie qui lui va si bien. des détails qui t’ont fait tenir, chaque seconde, en syrie. tu t’étais accroché à l’idée de pouvoir la revoir un jour, que tu n’allais pas perdre la vie dans ce désert aride. roseen. ce seul prénom suffit à te filer la chair de poule, isaac. elle est ton sang, ta sœur. tu pourrais donner ta vie pour la sienne, il est évident. peut-être qu’elle t’attend déjà à l’aéroport, d’ailleurs. tu l’espères vivement, malgré le poids de toutes tes peurs qui font surface alors que l’avion amorce sa descente sur la ville ne dort jamais. le temps semble radieux, le soleil bien haut dans le ciel de décembre. ta veste sur le dos, tu vas récupérer ton unique sac, maigre souvenirs que tu aurais peut-être préférer voir sombrer dans la fournaise. les regards se posent sur toi, nombreux. ce pansement immaculé sur ton œil gauche tranche avec ton teint hâlé. ils doivent se demander, les passants. qu’est-ce que tu as bien pu vivre ? les dents serrées, tu essaies d’ignorer ce que l’on peut bien imaginer de toi. c’est mieux ainsi, au risque de voir la foudre de l’ex-soldat s’abattre. tu passes ton chemin, rapidement, en te dirigeant vers la sortie. tu as essuyé la foule du regard sans la moindre trace d’une petite blonde en vue. tu poses tes lunettes de soleil sur ton nez avant de trouver l’air du dehors. ton premier réflexe est ce tube de cancer entre tes lèvres que tu fais rougir, bouffée de nicotine salvatrice. des heures enfermées dans cette carlingue, commençaient vraiment à peser sur ton état émotionnel. tu vas t’adosser quelques instants, au soleil, contre une baie vitrée. lorsque soudain, elle apparaît dans ton champ de vision. ton cœur semble rater un battement. ta respiration prend une longue pause. tu te détaches de là, la laisse venir à toi. il est difficile de décrire quelles sont tes pensées à cet instant hors du temps. frêle petit corps qui est maintenant face à toi, tu déglutis difficilement. protège-moi de ce monde à la dérive. « roseen... » tes lèvres se pincent. derrière les verres fumés, il s’est engagé une lutte acharnée pour ne pas de perles salées s’échappent de ton unique oeil. tu poses doucement ta main libre sur sa joue, avec une douceur mystique. elle est la porcelaine des plus sacrées, celle que tu ne voudras jamais briser. tu voudrais pouvoir tout lui dire, tout lui raconter. seulement, ce qui t’est arriver ne peut qu’être effleurer. jamais proche de la vérité. tu viens délicatement remettre une mèche de ses cheveux fins derrière son oreille, sans trouver le moindre mot. a-t-elle lu tes lettres ? a-t-elle souvent penser à toi ? comment va-t-elle ? que devient-elle ? autant de sujets que tu pourrais aborder. seulement, il t’est impossible d’aligner une phrase. en proie à une émotion dévorante, pourtant toute en retenue. myocarde broyé dans le conflit, semble soudain battre à vive allure. « oh, roseen. » seule supplique que tu arrives à articuler, alors que tu la prends dans tes bras. elle va te réanimer. te faire sortir de la tombe que l’on t’avait déjà creuser.

le retour à la réalité, la ville lumière qui te tend les bras. loin de ces contrées désertiques et arides que tu ne voudrais même plus croiser en rêve, tu as maintenant peur d’un retour à la vie civilisée. peur de ne pas retrouver une place après ce que tu as pu vivre, même si tu le cache sous un épais masque de rage et de colère. pourtant, le seul trait qui déchire cette toile de révolte, ce sont ses beaux yeux clairs. aussi purs que les tiens, le sang de ton sang. la cadette campbell, dont tu finis par croiser le regard sur cette esplanade bondée. sous le soleil américain, tu sembles perdre tous tes moyens. des mois sans avoir pu la voir, la sentir près de toi. tu l’admires de ton orbe unique, elle est toujours solaire. les quelques mèches de cheveux qui s’agitent sous la brise, effleurent ses lèvres rosées. portrait des plus satisfaisant pour ton âme déchirée, qui semble te faire oublier momentanément la douleur. ça, c’était avant qu’elle ouvre la bouche. tu encaisses un premier revers, allant jusqu’à la câliner pour faire passer le mauvais travers. les dents serrées, la deuxième salve est de trop pour toi. « tu crois que j’ai réellement eu le choix, roseen ? » ta voix claque dans l’air, tout près de son oreille. elle se défait de toi et tu le vis comme un abandon. elle te fuit et tu ne le supporte pas plus d’une simple seconde. toi qui avait imaginé cet instant des centaines de fois, pour essayer de tenir sous les balles ennemies. elle vient de le fouler au pied, a réduit la seule raison qui l’avait ramené à la maison. tu enlèves tes lunettes de soleil, que tu glisse son ton crâne. « putain mais t’es vraiment à côté d'la plaque. » tu ne sais pas qu’elle ne pourra jamais comprendre ce que tu as vécu, surmonter pour arriver aujourd’hui, devant elle. « va t’faire voir, roseen. » que tu hurles avant de passer à côté d’elle pour siffler un taxi, un peu plus long. l’élexir de rage ronge chaque parcelle d’un cerveau fatigué, usé.  tu es simultanément ma plus grande force et ma plus belle déception.