Beauty and the Beast - Gigi

Et te voilà, au milieu de ces prédateurs.
Ces requins qui te reluquent.
Sourire presque mauvais qui se dessine sur tes lèvres, si seulement ils savaient.
S'ils savaient qu'avec rien qu'un battement de cils tu pourrais les faire disparaître de la surface de la Terre. S'ils savaient que tu étais la petite protégée de la plus terrifiante des triades chinoises. S'ils savaient que tu fuyais ton paternel aussi...

Tu ne sais pas pourquoi tu as fini par atterrir dans ce bar malfamé.
Disons que ton début de soirée était pas folichon, qu'avec tes amis de la fac, tu t'es rapidement ennuyée, trop coincés, trop...différents de toi. De ceux que tu avais l'habitude de fréquenter quand tu étais encore à Hong Kong. Faut dire aussi qu'ils étaient tous fils ou filles de membres des Sun Yee On, donc forcément, vous aviez plusieurs choses en commun.
Ici... tu ne peux tout bonnement leur dévoiler qui tu es.
Quel est ton héritage.
Jamais.

Tu ne peux pas non plus leur dire que tu es fiancée, qu'c'est un lourd secret que tu te dois de garder pour toi, ils ne comprendraient pas.
Trop de difficultés.

Alors c'est pour ça que t'as fini ici, prétextant que tu ne te sentais pas bien, que tu voulais rentrer chez toi.
Mais au lieu de retourner dans le Queens, ton quartier depuis quelques années, voilà que tu es venue te perdre dans le Bronx, peut-être pour flirter inconsciemment avec le danger.
Pour ressentir ce que tu ressentais lorsque tu étais encore chez toi, d'flirter avec l'inconnu.
Avec ces requins autour de toi.

Lèvre inférieure que tu te mords, tes pieds te traînent jusqu'au comptoir du bar, pour te commander quelques shots de tequila, déjà légèrement éméchée par le moment passé avec tes amis. Des substituts plutôt.
Pas de réels amis à la fac. Des connaissances. Rien d'autre.

La veille,
Ses poings avaient servi.
La veille,
Des os s’étaient fracturés,
Requiem assourdissant.
Des cris, des hurlements, des supplications,
Son oreille sourde demeurait insensible,
Alors que ses lèvres exigeaient des réponses.

Gigi inspecta le reflet que lui renvoyait le miroir, il était épuisé, plus qu’à l’accoutumée. Son regard se posa ensuite sur ses poings qui avaient conservés les traces de ses activités nocturnes. Fendus par endroit, zébrés par d’autres, ils n’avaient pourtant pas porté le coup fatal, pas encore. Il poussa un long soupir avant de se baisser pour s’asperger le visage d’eau fraîche. Il devait rejoindre Franco dans une dizaine de minutes, tout comme il savait que son ami avait également invitée son hobbie du moment, une brune à peine majeure qui tapinait régulièrement dans sa rue donc il ne le rejoindrait que plus tard. Elle était bonne lui avait-il dit une fois, si jeune et pourtant si expérimentée, les deux amis s’étaient esclaffés. Le choc des générations faisait que les jeunes filles choisissaient d’être putes plutôt qu’épouses. Non pas que Gigi s’en formalisait, il écumait assez les clubs prévus à cet effet pour ne plus s’en soucier.

Et maintenant ?
Rien.
Seulement le vide.
Et maintenant ?
Comme d’habitude,
On panse l’âme avec du scotch.

Il ramena sa carcasse esseulée vers le bar afin continuer sur sa belle lancée en attendant que l’autre énergumène cesse de vouloir prouver à la gamine qu’il est endurant et qu’il ramène afin son cul. Perdu dans ses plaintes silencieuses, il ne remarqua lors corps étranger devant lui que lorsqu’il lui rentra dedans. « Merde, navré » il rattrapa l’inconnue de justesse et sa main posée sur l’épaule annonce un corps frêle, fragile qui se briserait aisément s’il la brusquait soudainement. « Ca va ? » il prit sa voix la plus douce à l’image de ses expressions faciales, c’était ainsi que l’on s’adressait à un membre du sexe féminin. Ses prunelles s’attardèrent sur la jeune femme dont il en découvrit les traits et sa mémoire marqua une pause. « Ca alors, Azur ! » Décidément, cette ville était beaucoup plus étroite que l’on voulait bien nous faire croire. « J’ignorais que ça aussi, c’était son terrain de jeu » Il esquissa un sourire, le masque social était enfilé.

Des requins aux sourires carnassiers.
Qui doivent penser que tu n'es qu'une brebis égarée, loin de ton terrain de jeu.
Si seulement ils savaient...
Ils te font sourire ces imbéciles heureux, ou alors c'est parce que toi aussi t'es dans un état joyeux, que rien ne te fait peur. Ils doivent penser aussi que tu pourrais facilement leur tomber dans les bras, qu'ils pourraient te faire feuler, t'apprivoiser le temps d'une soirée.
Ça se pourrait très bien.
Faut dire que quand tu sors, quand tu vas en cours, tu laisses ce caillou sur ta table de chevet, tu préfères te sentir libre plutôt que d'avoir la corde au cou, plutôt que de tenir ton rôle de fiancée.

Ils t'observent alors que tu titubes, ou bien tu veux leur faire croire que c'est le cas, si ça s'trouve t'es encore très lucide, tu joues juste un jeu, pour voir qui viendra s'brûler les ailes et venir te charmer. Pas de caillou trop lourd à ton annulaire. Rien de tout ça. Personne ne saura que tu es censée appartenir à un autre, sauf si tu invites quelqu'un chez toi, mais en général c'est quelque chose que tu évites.
Toujours en titubant, tu dois avouer que tu as quand même du mal à arriver jusqu'au comptoir, la preuve, tu as été tellement lente qu'on te bouscule.
Sûrement sans le faire exprès, lorsqu'une main masculine te retiens de justesse, pour t'éviter une chute douloureuse.
Bon d'accord.
T'es un peu trop éméchée.
Et venir ici ce n'était pas une bonne idée.

Tu te retournes vers l'inconnu qui t'as rattrapée.
Tu les connais que trop bien ses traits.
Cette voix.
Ce parfum.

« Si je m'attendais à vous croiser ici. » politesse oblige, peut-être parce qu'il est plus âgé que toi. Ou peut-être parce qu'au fond, cet homme italien t’intimide un peu.
« Faut croire que je ne suis pas si innocente que ça. » sourire presque taquin, tu sais très bien qui il est et pour qui il bosse. Mais tu feras comme si tout allait bien.
Comme si c'était normal de le croiser ici, comme on croise une vieille connaissance.
Puis y'a ce rire presque hilare qui s'échappe de tes lèvres, un rire pourtant doux, comme une caresse qui pourrait charmer les autres.

Tu te mets sur la pointe de tes pieds pour te retrouver au niveau de l'oreille de Gigi, joueuse, un poil brûlante dans tes mots.
« Avouez vous êtes là pour me surveiller... l'homme de main des Genovese s'inquiète pour moi ou bien ils vous ont envoyé jusqu'ici pour voir si je ne fais pas de bêtises ? » tu lui susurres à l'oreille, ta main venant se glisser sur son avant-bras.