such a fine line (raphaël)

traits de caractère / Y en aura pour vous dire que c’est prévisible, que Raphaël termine dans un hôpital psychiatrique. Parce qu’y a qu’à voir sa famille. White trash et pire que ça. Pas d’quoi bien commencer dans la vie. N’empêche que c’est un bon gars, Raph et qu’il a toujours su comment nouer des liens solides en dehors du cercle familial. Pas toujours avec les personnes les plus recommandables, parce qu’il avait pas toujours le choix. C’est qu’il fallait déjà trouver les gamins qui n’avaient pas peur de lui à cause de ses parents. Ah ça, l’exclusion sociale, il connaît bien. C’est sûrement pour ça qu’il travaille avec des jeunes paumés, d’ailleurs. Sous des airs de loyauté indéfectible, Raph sait bien que c’est lui contre le monde. Il a du mal à faire pleinement confiance. Puis peut-être que les autres ne devraient pas trop lui faire confiance non plus. Parce qu’y a toujours eu cette intensité dangereuse à ses émotions, cette facilité avec laquelle elles prennent toute la place, à en efface totalement la réalité. C’est pour ça que, même s’il fuit la violence, il n’est pas toujours en contrôle.

C’est peut-être bien à cause de la solitude que ça a commencé. Difficile à dire, parce qu’elle a toujours été là. Dès les premières minutes de vie, bébé abandonné par une maman trop facilement distraite. C’est pas qu’elle n’en voulait pas, c’est qu’elle ne pouvait pas. Esprit fragile, rongé par l’alcool et par cette folie qui la rendait si attachante et si dangereuse à la fois. Un de ces êtres pas vraiment faits pour la vie, avec des idéaux plein le crâne, de l’amour plein le cœur et des bleus plein le corps. Bipolaire jamais traitée, parce qu’elle a jamais vu l’ombre d’un médecin. Pas besoin d’ça. Pas besoin puis pas les moyens, aussi. Surtout pas d’un psychiatre. Parce que c’est bien un truc de riche ça, les psychiatres. La maladie mentale, de là d’où elle vient Sophie, ça n’existe pas.

Sophie elle a fait un enfant parce qu’elle est tombée amoureuse. Bob, il s’appelait. Un vrai bonhomme et puis elle aimait bien comment ça faisait dans la bouche, Bob. Ça roule sur la langue et ça explose sur les lèvres. Bob. Il avait rien à part un sourire et une carrure imposante, le genre qui rassure. Après avoir baroudé toute seule pendant des années – et fait des rencontres qui lui avaient laissé tous ces bleus sur le corps – ça lui a fait du bien, à la Sophie, de pouvoir se reposer sur un Bob. On traverse pas deux continents avec un pet au casque en en sortant indemne. Alors tomber sur Bob, ça lui a donné l’impression d’arriver enfin à la maison. Et lui, il était assez solide pour encaisser les ras-de-marrés de sa folie, assez fou, lui aussi pour aimer ça.

Ça ressemblait un peu à la bohème au début. D’amour et d’eau fraiche, qu’ils vivaient. Puis l’eau est devenue du vin, l’amour de la drogue. Ça a pas duré bien longtemps, l’idylle. Tempêtes en mer de plus en plus fréquentes jusqu’à ce que Sophie disparaisse, emportée pour de bon. Laissant un Bob au crâne dévasté – parce que l’amour c’est dans la tête, l’cœur il a l’beau rôle mais il a rien à voir lal’d’dans – sans plus personne pour lui dire que son prénom ridicule roule sur la langue et explose sur les lèvres. Dévasté et sans aucune envie de s’occuper d’un gosse, toute sa vie centrée sur les combines censées sur lui rapporter de quoi s’offrir sa prochaine dose.

C’est pour ça que Raphaël, il est seul depuis le début. Seul avec ses pensées et autant d’amis imaginaires qu’il n’en voulait. Imagination débordante, puissante, bien trop souvent confondue avec la réalité, depuis le plus jeune âge. Raphaël, tout comme sa mère, c’est un voilier sur l’océan. Balloté par ses émotions, jamais très longtemps stable. Pourtant, il tient le cap. Un bon gars, un cœur en or, une carapace forgée au contact de la rue. Il sait bien qu’il ne peut pas se laisser marcher dessus. Justement parce qu’il est seul, contre le reste du monde. Mais aussi parce qu’il est gay et assez courageux – ou imprudent – pour le revendiquer. Y en a eu, des coups, qui sont tombés à cause de ça.

Peut-être qu’il n’en pouvait plus, de mener son voilier dans la tempête. Peut-être que c’était devenu trop difficile, de le faire tout seul. En tout cas, sa santé mentale s’est dégradée. Ça a pris plusieurs semaines. Des sautes d’humeurs. Des prises de risques. Des nuits entières sans sommeil. Le retour des amis imaginaire. Et puis ce mal au cœur, surtout ce mal au cœur, à cause du monde. Qui est si dur. Si violent. Pour les jeunes du collège défavorisé qui l’emploie.

Surtout Élena. Ça se voyait qu’elle se faisait violer par son beau-père, Élena. Y avait qu’à voir les traces bleutées sur sa peau. Y avait qu’à voir comme elle hurlait dès qu’un homme s’approchait d’elle. Y avait qu’à voir comme elle aguichait les garçons. Comme elle se mettait en danger. Il pouvait pas laisser faire. Alors il l’a hébergée chez lui. Et dès la première nuit, il a su qu’il devait faire quelque chose. Parce qu’elle a pleuré, beaucoup. Comme un barrage qui craque, elle s’est mise à parler. Tout lui raconter. Qu’est-ce que ça lui a fait mal au cœur. Qu’est-ce que ça l’a rendu fou. Il a essayé de rester raisonnable mais plus les jours passaient plus il savait qu’il devait la venger. La protéger. Puis un jour, il a su exactement quoi faire. Brûler la maison de fils de pute, et lui avec, enfermé à l’intérieur.

Le plan était parfait jusqu’à ce qu’Élena se jette dans les flammes pour sauver son beau-père. Jusqu’à ce qu’il courre derrière elle pour l’en empêcher au lieu de fuir le lieu du crime. C’est comme ça qu’il s’est fait choper. Il a rien compris. On l’a envoyé à l’HP. Il a rien compris, à Élena, à la vie, à la violence, à l’amour, à la famille. Putain, il comprend plus rien à rien et il ne veut plus faire d’efforts. Tant pis s’il doit y rester pour toujours, dans cet hôpital.