within dark illusion. (roseen)

Il y a dans ce monde des étoiles qui ne savent plus comment briller, et il y a celles qui n’ont jamais su. Roseen a dans le creux de sa cervelle ce petit corps céleste à la crinière dorée. Cette petite nébuleuse qui s’agitait autrefois sous ses prunelles curieuses, et qui ne porte de joie que le patronyme. Elle l’avait vue tandis qu’elle époussetait des meubles déjà étincelants, que cette pénible existence sanctionnait la clarté qu’elle échafaudait d’un petit fragment de cristal qui recouvrait désormais son sang. À cet instant, Roseen s’était demandée si la lumière n’avait jamais effleuré ce délicat brin d’être, pansant cette plaie superficielle où se cachait réellement de plaies plus béantes. À l’enfant, il ne lui avait fallu que trop peu pour faire de Joy sa rose éternelle, fleur légère sous le verre impénétrable de sa coupe. De cette poupée, Roseen avait à son tour épousseté les particules délétères qui avaient entériné l’estime entière qu’elle eût un jour d’elle-même. Et quand elle lui apparaissait, elle l’assénait alors du tendre amour dont l’univers l’avait privé. Petite Cassiopée déchue entre mes doigts renaît. C’était ainsi dès lors que ses opales étaient bénies de son portrait, comme à présent où le visage de l’immaculée s’embrase d’un sourire qu’elle ne semble jamais avoir quitté. Roseen lui offre cet éclat, reconnaissante de trouver cet orphelin sur le pallier de sa demeure. « - Joy! Oh, on dirait bien que mes voeux ont été exaucés, l’enthousiasme qui ne se fane jamais, se dégage du sentier pour la laisser s’instiller dans ce havre délaissé, conquis par le Rien d’un amoncellement de desseins. Tu as une petite mine, mais regarde Joy, regarde comme c’est beau ici! ». D’un mouvement gracile, elle désigne ce salon à peine meublé, seuls quelques cartons éparpillés et des livres entassés servent aux décorations du logis. Il n’y a rien de plus primaire, rien de plus facétieux ; pourtant Roseen décèle dans ce fichtre néant de goût une beauté inaccessible. Et c’était ainsi qu’elle avait toujours déniché ce qu’il y avait de plus beau, et à ce stade, Joy ne pouvait plus être surprise des élans excentriques de la jeune femme. La douce se frotte le menton du bout des doigts en jaugeant son art « - Est-ce que tu aurais passé une mauvaise journée? demande curieuse qu’elle complète instamment. C’est toujours ce que les gens disent quand ils font la même moue que toi. Qu’ils ont passé une mauvaise journée ». Elle semble étrangère, à tout elle l’est, jusqu’aux coutumes humaines.

« Je t’espère toujours enfin » au-delà des réjouissances, le coeur qui s’émeut devant cette fleur car il n’y a là rien d’autre que vérités, absconses peut-être pour Joy qui les subit « d’ailleurs, je t’espère toujours, toi plus que les autres ». Elle a laissé vaciller sa réplique dans la banalité, sans un sourire pourtant en digne tremplin de cet amour qu’elle écoule.
Les mains qu’elle avait accroché à sa taille tombe le long de son corps quand l’enfant salue sa frénésie. Les prunelles toujours éparpillées en direction de ce grand rien qui fustige de toute part, petite construction de son imaginaire. Roseen a la tête qui tourne des merveilles qui cascadent entre ses tempes, et le noir des idées de la blonde lui semble subitement lointain. La positive que sa perle appose l’implore de terminer son séjour sur Terre, elle fronce les sourcils. Elle a l’air d’avoir volé aux félins cette mine agitée. Du trouble, elle ne connait que celui des autres, et à celui de cette enfant de chagrin, elle en connait trop.
« Est-ce que tu veux m’en parler? Je suis désolée, je n’ai rien pour panser ces mauvais événements. J’ai toujours trouver ça curieux que ce monde n’ait aucun soin à prodiguer aux peines de l’âme » des orbes lointaines qui percutent la tristesse de son amie. L’irréelle approche sa nuée pour serrer cette petite ombre contre son coeur. « Je crois que ça ne s’en va jamais, toutes ces choses qui vous bousculent. Mais ce n’est pas ta faute Joy, tu n’es que le réceptacle d’un univers qui a pleuré ses larmes sur toi » murmures confus, on y trouve toutefois l’affection que l’on cherche. Entre ses mains désormais, elle contient ce visage d’angelot, dépose un vif baiser contre son front pour se dégager de l’étreinte prestement, divertie par l’espace. « Alors dis-moi, quelles sont les larmes qui t’ont noyé aujourd’hui? » elle demande à la recherche de quelque vaisselle pour servir sa délicate convive.

Une fois encore, la nymphette balance ses épaules dans l’air « tu n’as rien fait, Joy, il n’y a rien que tu puisses faire dans ce monde qui puisse justifier qu’il te punisse ainsi » la certitude qui transperce les sens ; on la voit, la sent, la touche, on y goûte et on l’entend, cette profonde certitude que Roseen a dans le coeur, celle qui dit qu’il n’existe pas de destin, seul le hasard. Elle fouille dans le désastre de son appartement, puis d’un coup, dans les fleuves glacés de ses yeux à elle. Joy, constellation de son amour. Tout discernement qui s’étouffe tant la blonde est chérie.
Mais la brune ne perçoit pas que, dans l’harmonie de sa voix, elle se perd. Des démons qu’elle ne connait pas encore car il ne lui semble qu’imaginaire. Elle pense que la Terre ne peut regorger d’êtres d’immondices, d’égoïsmes. Dans les bras des autres elle s’abandonne, Roseen, on croit qu’elle aime démesurément, qu’il n’y a que tendresses entre ses paumes, petite diabétique de l’amour. Il n’en n’est rien ; elle n’aime pas, elle admire. Le mythe s’effondre quand sous l’amas des passions, ne se trouve que le vide vertigineux de ceux qui ne sont secoués d’aucune émotion.
Pourtant, cette tête dorée remue autre chose à l’intérieur de la poupée, elle remue l’inexistant et à l’entendre cracher ses maux, Roseen a du mal à contenir ses étourdissements. Elle cède sous les confessions désolantes, arrachantes de son joyaux ; un verre qui s’éclate contre le carrelage en mince démonstration de ce qu’il se trame en elle à cet instant-là. Elle sourit aux débris qui juchent le sol, fracas des émotions qu’elle ne connait guère. Roseen ignore que ces lambeaux de verre sont ceux de sa colère, alors un sourire jaillit comme s’il fallait y trouver quelque chose d’amusant. « Il ne te touchera plus jamais » téméraire, horrifiante, cette vérité qu’elle exulte sobrement. Elle ne ramasse pas les bouts de verre, attrape un autre récipient qu’elle remplit d’eau fraîche pour le servir à son amie. « Ne marche pas là-bas » la boisson qu’elle tend, profite de la proximité pour caresser la joue de l’enfant de la pulpe de son pouce. Elle s’écarte, s’installe sur ce piètre divan posé en travers de la pièce. « Et tu ne seras jamais une mauvaise compagnie à mes yeux » personne ne l’est « jamais », elle insiste.
Peut-être qu’un jour, elle lui ramènera les étoiles ; elle en est sûre.

Joy a la réplique qui crépite en même temps que les éclats de verre sur le sol ; parce qu’elle avait peur qu’en même temps que le cristal, qu’en même temps qu’elle-même finalement, Roseen s’effondre aussi. Peut-être est-ce un peu le cas alors que le sourire s’étire sur ses lèvres, elle a le coeur qui chevrote, des à-coups qu’elle ignore allègrement pour tendre le breuvage à son amie. Derrière elle, les débris restent sur le carrelage, piètre décoration de ce logis hanté des deux spectres Campbell. Quand la nymphette retournera sur ses pas, rencontrant encore ces sentiments inconnus, ébranlée, elle en ramassera les morceaux s’enfonçant dans les affres du déni.
L’automate s’affale sur le canapé, acquiesce à la demande du poupon aux milles fêlures. Elle réclame, les tendresses ravagées de Roseen qui ne sait plus donner autre chose qu’elle-même, tombée dans les sables mouvants des ressentiments. Autour des épaules de Joy, ses bras tombent comme une étole, sa joue posée contre le haut de sa tête. « Hier, j’ai parlé à la nuit et elle m’a dit que les choses iraient mieux pour toi » elle affirme à voix basse ces sornettes venues d’ailleurs, des espoirs qui lui mangent l’esprit, ces illusions-déboires. De Joy, elle n’a jamais vu que des apparences dociles, surannées par ce que les autres lui ont trop pris. Elle imaginait peu qu’il puisse se cacher autre chose, ce qu’elle avait entre les doigts ne servant que son bonheur en l’instant. Roseen se demande si son amie sera un jour capable de vivre paisiblement, loin du calvaire existentiel présent. « Je suis contente que tu sois venue me trouver, j’aurai voulu te trouver la première, avant ça » avant que des mains abruptes l’agrippent, que la langue du prévenu fourche de désir. Elle se confie, les soucoupes dans le vide, comme à ses songes qui se sont longtemps amassés sans qu’elle ne leur offre de réponse. Subitement, la blonde s’extirpe de l’étreinte, chevauche les cartons pour disparaître parmi une des portes du couloir. « Il faut que tu viennes ici » à l’autre bout de son aimée, elle crie pour l’attirer dans ses ondes. Du même temps, elle s’affole autour de sa chambre à peine aménagée, extorque des coins de la pièce quelques pots de peinture, le poupon apparaît dans l’encadrement de la porte, la mine curieuse. « Ce mur me déprime, tous les soirs, il est dans mes cauchemars » elle désigne du menton ce mur crème, rien de plus commun, la nymphette s’agite, tend un pinceau à son acolyte « on va le peindre ensemble ». Roseen virevolte dans la pièce, ouvre les pots de peinture polychrome, quelques éclaboussures tâchent le sol. Son coeur se revigore de l’étalage de couleurs qu’elle darde de ses lunes frénétiques. « Allez, dépêche-toi! » elle s’exclame, enjouée.

Roseen voudrait voiler les souffrances de Joy sous les baisers et les éteindre par l’amour, parce que l’étreinte de ses plaies force la rêveuse à fuir.
Il y a la sensation curieuse et douloureuse d’une aiguille qui marche sur son coeur. Elle se trouble, l’enfant, de ce corps étranger qui habite subitement le sien, qui même quand elle s’arrache aux tendresses de la blonde, continue de trainer sa lame quelques secondes encore.
Un trouble qui s’efface définitivement au moment où le « poc » des pots de peinture retentit. Les grandes billes bleuâtres font irruption derrière l’embrasure de la porte en même temps que ses éclats de rire raillent les émulsions de la môme. Joy ne se fait pas prier davantage, empoigne quelques têtes velues qui feront irradier les couleurs sur le mur pâle ; puis c’est la teinte de ses sentiments à elle qui brutalise soudainement l’âme vierge du chérubin. Et ses lunes se froissent subitement, tressaille une fois encore contre le tissus de ses entrailles cette épine sévèrement aiguisée, la même qui frappait à ses portes l’instant d’avant.
Une douleur, l’échos de quelque chose d’infiniment plus fort, qu’elle a déjà croisé ailleurs, sur les marches de l’interdit, sans jamais savoir ce que c’était ou peut-être était-ce la volonté de persévérer dans une ignorance consciente, dominer les coups. Elle connait l’amour, Roseen, pour le partager avec chacun, mais sa réciproque est une réalité violente, pénible à endurer, même dans ses yeux à elle.
D’une main elle balaye l’air dans une délicatesse sourde, nue, l’appose contre la joue bombée de la nymphe et ferme les yeux. « Tu as le coeur grand » elle pose ses opales sur son visage, une rencontre meurtrière, assassine « mais je ne sais pas s’il est assez grand pour contenir mon amour ». Sa main retombe. Elle retrousse ses lèvres en un large sourire, plus large encore que le trou de peine qui s’étend en elle ; c’est ce que c’est d’aimer sans subterfuge, exposée, dans la certitude d’une fin tragique.
La brune fait volteface, l’esprit s’échappe par la porte de l’art ; pinceau en main, imbibé de peinture, elle s’applique sur la surface, et Joy, subitement, n’existe plus.