so blue all the time. (dambi)

- i'm so blue all the time
and that's just how i feel -

— @dambi lin

Affalée sur son canapé, elle en a assez. Elle en a assez de se morfondre. Assez de se torturer l’esprit avec des pensées qu’elle ne maîtrise pas, qu’elle ne contrôle pas. Les mêmes mots qui reviennent, encore. Les mêmes mots qui reviennent, en boucle. Ceux qu’elle a trouvé dans cette lettre. Ceux qu’elle a trouvé lorsqu’elle a tout découvert. Cette vérité sur elle, sur sa naissance, sur ses origines. Cette vérité sur sa mère, sa vraie mère, prostituée. Et le monde qui s’effondre, parce qu’elle s’était toujours interdite d’y songer. Après tout, t’as une famille en or, Joy. T’as une famille incroyable. Une famille qui t’aime. Des parents parfaits, des frères et sœurs qui sont ta lumière. T’as tout l’amour du monde, et pourtant tu penses constamment à celle qui n’a pas pu te l’offrir. C’est trop. Trop douloureux. C’est bien trop déchirant, ce sentiment de culpabilité qui dévore ses entrailles. Et c’est finalement à force de zapper à l’aide de sa télécommande, qu’elle se décide à bouger. Sortir. Faire la fête. Tout ce qu’il lui faut pour oublier. Et si elle peut en profiter pour rencontrer des personnes friquées, elle aura tout gagné. Mais alors qu’elle s’apprête à enfiler une paire de talons, quelqu’un frappe à sa porte. Intriguée, elle se dirige jusqu’à cette dernière pour l’ouvrir, et tomber face à ce petit minois qu’elle ne connait que trop bien. - Dambi ? Un sourire s’installe sur ses lèvres, parce qu’elle ne la connait que trop bien, Dambi. Elle est une cliente, une habituée. Non pas de l’hôtel, mais bien une cliente personnelle à qui elle prédit l’avenir régulièrement. Prédire est un grand mot, Joy. Tu supposes, surtout. Tu arnaques, surtout. Mais Dambi, elle a l’air de s’en amuser, à chaque fois. Et chaque fois, elle revient. - Je suis désolée, mais tu sais que je ne consulte pas ce soir… Deux soirs par semaine, seulement. Deux soirs durant lesquels elle vend son âme au diable, Joy. Sans aucune culpabilité. Parce qu’elle est ailleurs, ta culpabilité. Parce qu’elle est ancrée en toi comme si petit à petit, elle prenait la place de ton cœur. Mais Dambi, elle n’a pas l’air comme d’habitude, ce soir. Elle n’a pas l’air bien. Son sourire est absent et ses yeux sont luisants. - Ça va ? Une question qu’elle ne devrait pas poser. Elle ne devrait pas s’y risquer, parce que Dambi ne doit pas être son amie, mais seulement une cliente. Parce qu’elle est elle-même bien trop ravagée pour pouvoir aider.

les doigts frappent la porte;
dans l'attente sublime que celle-ci s'ouvre.
il le faut.
ça doit se passer comme ça.
elle en a besoin;
de cette porte ouverte.
juste là.
rien qu'encore une fois.

-- y a la pluie qu'a trempé jusqu'à ses os... 'heureusement qu'existe le maquillage waterproof' qu'elle a songé tout le long du chemin. faut dire qu'elle s'en tartine un peu trop la tronche, pour se donner un genre. pour se donner quelques années de plus... marre de cet air juvénile, de ce faciès délicat à qui l'on souhaite offrir le bon dieu sans confession. alors, elle se tartine de noir et de rouge, joue de ses charmes peu dissimulés d'un sourire à la malice volubile. mais y a la pluie qui tente de tout gâcher, à moins que ce ne soit là que les larmes qu'elle n'ose verser; colère, frustration et peine s'acharnent sur son minois, tentant d'abattre son sourire; et la drogue n'y remède pas.

alors là voilà
devant chez joy
un soir, juste comme ça.
et, joy.
tu sais quoi?
amaury, vraiment ne m'aime pas.
comme tout l'monde tu me diras!
mais ça va
je m'aime!
alors...
ça va.

-"dambi?"

y a le visage de la voyante à deux balles, et les yeux se plissent d'une joie bienfaisante. drôle de binôme que voilà, mais dambi ça lui va. elle l'aime bien, cette étrange de nana. ça dure un instant, parce qu'après ça revient; toutes les raisons pour ne pas se sentir bien.

-"je suis désolée, mais tu sais que je ne consulte pas ce soir…"

battements de cils, oops. la demoiselle avait presque oublié; mais même si elle s'en était rappelée, y aurait eu de grandes chances pour qu'elle se soit pointée. un soupir s'échappe de ses lèvres, pas un mot pour le moment.

-"ça va?"

-"non."

dambi se met à rire un peu, nerveuse. la pluie à la place de ses larmes, les frissons de froid à la place de ceux d'incompréhension. là, dambi tout ce qu'elle veut c'est rentrer dans la pièce, entendre les dires farfelus de joy et se rouler un joint.
et pleurer un peu
peut-être
sait-on jamais
y en a qui disent que ça fait du bien.

-"j'peux vraiment pas rentrer hein? joy, s'il te plaît."

gamine capricieuse tâte ses poches, en sort quelques billets.

-"j'veux pas te traiter comme une catin hein... mais je te paye ta soirée si ça te dit. même pas besoin de sortir trinquer, le roomservice c'est pour moi."

déjà, dambi les force dans sa main, se rapproche un peu. la regarde, de plus près, mieux.

-"joy. s'il te plaît."

y a peut-être au fond de la gorge une ou deux larmes ensevelies;
elle a du les y oublier
quelques fois dans sa vie.

-"raconte moi des histoires."

@joy stevenson

- i'm so blue all the time
and that's just how i feel -

— @dambi lin

Les larmes menaçant de couler. La voix fébrile. Les mains tremblantes. Elle connait, Joy. Elle ne connait que trop bien, cet état de détresse. Pour l’avoir traversé de nombreuses fois déjà. Pour l’avoir observé de nombreuses fois déjà. La souffrance, elle la discerne. Elle la discerne, dans le regard de la brune. Dans le regard de cette fille qui ne devrait pas être là, qui ne devrait pas être devant sa porte. Tu ne sais pas que ce t’as fait, Joy, pour que ses pas l’entraînent jusqu’à toi. Tu ne sais pas ce que t’as fait, pour que l’aide, elle te la demande à toi. Peut-être qu’au fond, t’es bonne pour ça. Peut-être qu’au fond, c’est juste que tu ne le sais pas.
Elle joue la carte de la transparence, l’honnêteté, la sincérité qu’elle ne souhaite pas cacher. Qu’elle ne peut certainement pas cacher. Un faible non. Un unique non. Non, elle ne va pas bien. Non, elle n’est pas prête à lui sourire pour préserver les apparences. Et tu préfères ça, Joy. Tu préfèreras toujours l’honnêteté aux faux-semblants. C’est peut-être ironique, venant d’elle. Venant de l’usurpatrice qui vole les quelques âmes en quête d’avenir, qui exploite les carcasses emplies de pognons. Mais dans ses sentiments, elle est sincère, foncièrement sincère, toujours. Sincère. C’est pour cette raison que son sang ne fait qu’un tour, lorsqu’elle entend ce mot. Catin.

Catin, le mot interdit.
Catin, le mot perverti.

Elle ne le sait pas, Dambi, mais elle appuie exactement sur son plus gros point faible, en utilisant ce mot. Catin, comme sa mère. Comme cette mère biologique, obligée de l’abandonner pour ne pas lui infliger une vie misérable. Catin, comme cette mère que tu recherches, désespérément, ne supportant plus de ne pas savoir si elle va bien. Et cette peur, au fond de toi. Cette peur de finir comme elle. Cette peur de vivre la même vie. - Ne dis pas de conneries. Qu’elle lâche, beaucoup plus brutalement. Qu’elle lâche, instinctivement. Parce que non, elle n’est pas une catin. Jamais elle n’en sera une. Jamais. - Garde ton argent. La blonde n’en veut pas. Elle n’en veut pas, lorsque d’ordinaire, elle aurait accepté sans discuter. Sans même hésiter. Mais ce mot, il est une véritable prise de conscience. Un électrochoc qui parcourt son être. Qui déraille son esprit.
Pourtant, Dambi est toujours là. L’âme en peine. Dambi est toujours devant elle, menaçant de s’effondrer d’un instant à l’autre, ne sachant plus se relever. Et d’une voix plus douce, elle reprend finalement la parole, Joy. - Entre et installe-toi… Dégageant le passage, elle referme rapidement la porte derrière elle. Elle n’est pas habituée à la recevoir de cette façon, elle qui n’est censée être qu’une cliente. - Qu’est-ce que je te sers ? Prête à lui servir un petit remontant. Prête à lui faire oublier ses peines. Parce que t’es comme ça, Joy, un cœur énorme, caché sous cette apparence superficielle.