Et il mangera le fruit défendu

traits de caractère / Il est de ces personnes dont on ne parle pas ; les mots ne pourraient les qualifier. Il est de ces personnes que l’on craint, tremblant devant leur présence si injustifiées. Grisha est de ces gens immorales, à la stature de pierre, au visage souriant, avenant ; pourtant le rictus se fait insistant, les lippes se hissent et forment des paroles gourmandes, gourmandes d’humour salace et rabaissant. Grisha c’est l’Homme, l’homme dressé, éduqué, dorloté par une famille de mafieux, mais surtout, par une famille orthodoxe russe. Un empire se construisait sous l’égide du gouvernement de ces temps anciens où tourmentait le communisme. Grisha vénère sa famille, Grisha ordonne aux Autres, ces autres si fragiles, ces silhouettes de glaise dont il ne ressent rien qu’un plaisir prédateur. Bleue dit de lui qu’il ressemble à un Orque, Bleue a souvent raison. La famille importe et qu’importe ce qui traîne sous les chaussures vernies, un amas de corps, des charognes ou des têtes alanguies, il tue Grisha, il fait ce qu’il a à faire, pragmatique, il pénètre les secrets, surveille. Despote, il ordonne, organise. Mais à l’écoute. Mais protecteur. Mais aimant comme un amour assassin, cannibale. Grisha souffle les têtes, il se moque des erreurs, non monsieur n’en fait pas car un roi n’en fait pas. Il se faufile, provoque par soucis d’ennui, par peur d’une vacuité qu’il fuie. Il meurtrie et ne voit dans ses actes qu’une normalité libertine qu’on lui a offert depuis sa naissance. Son jumeau, son extension de lui même pourrait dévoiler une facette plus subtile, plus banale, plus obéissante à la loi de la société…  

Père est mort, son cadavre exposé dans une boite. Père est mort ! Grisha, vêtu d’un costume noir, noir charbon, noir ébène, noir nuit, noir, reste figé devant le cercueil, les main croisées, les bras croisés, droit comme un justicier autoritaire, le visage de l’héritage. Cette foule s’amasse, se déplace, s’excuse pour cette mort brutale, les chuchotements et son jumeau, un double qu’il ne voit pas. Il observe dans cette multitude l’absence de son coeur, il sait qu’il viendra, il sait, aussi, que son jumeau le fera, pour lui. La mère est crevée depuis un an, c’était au tour du patriarche de trouver la faucheuse dans une voiture bardée d’explosifs, en Russie. Il a tout fait pour rapatrier les lambeaux, un bras, un torse, vous êtes déraisonnable monsieur Orlov. Il n’y a pas de raison quand il s’agit de famille a-t-il répondu, agacé, énervé, la violence contenue dans ses mains, dans ses bras. Les petits soldats serrent la main, demandent des nouvelles de la fillette, elle ne vous accompagne pas, ce n’est pas l’endroit pour une gosse de seize ans, la mort attendra pour la conscience de la fée mais le fils du frère, le neveux, présentable et sultan suit les traces de la folie. Deux statues joignent les prières, elles s’assied lorsque, enfin, le frère arrive. Tu avais rendez-vous ? Des patients ? Père n’était peut-être pas bienveillant envers ta personne, il s’agit tout de même de ton père, de notre père. Il répète Père, père père, comme si ce terme allait ramener la carcasse à la vie, comme si, son deuil il ne devait pas le faire. Oui, il est triste, d’une tristesse gluante dans les entrailles, un sentiment de lourdeur, peut être un vide dans les tréfonds de ses poumons. Si je te perds, que deviendrais-je questionne-t-il son frère. Tu m’abandonnes. Ce n’est pas le moment pour ces mots, pour ces paroles cruelle, la colère afflue le corps, c’est toute la psyché qui cogne, bouillonne. Père est mort. Il serait prêt à massacrer ces hypocrites alignés sur les bancs de l’Église, ils ont l’allure de fantôme, ils ne désirent que l’argent enfoui dans les comptes remplis de Suisse. Là dessous errent les secrets, le mal, le vice rampant, infernal, les délations, les accords avec le gouvernement, les pots de vin. Grisha gère, ce n’est pas un problème. Ton cabinet te plaît. J’ai mal aux muscles. Parce que le jumeau a refusé l’atavisme, il lui réclame sa présence constante, il lui en veut. La rancune, putain de rancune, rogne, dévore, mais l’amour fracasse et il n’admire qu’une face, la sienne.