ticking time bomb (bonnie)

elle n'aime pas les matins brandy. plutôt du genre oiseau de nuit, qui ne scintille que sous les étoiles, à la lumière vibrante des cendres de son joint. elle n'aime pas les matins. s'ennuie du chant des coqs et autres bêtes à plumes, et des réveils stridents quand le jour cherche encore à percer. elle n'aime pas les matins. ceux qui se ressemblent tous. donnant le tempo d'une énième journée où elle ne sera que l'ombre d'elle-même, le chemin à suivre à peine esquissé. une marionnette dont les fils se sont effrités, avec lesquels on ne peut plus jouer pour l'animer. les traces des nuits sans sommeil parsèment les traits de son visage. la bouche se déforme, poussée par les bâillements répétitifs qui hurlent l'envie de ne pas émerger. de ne rien voir d'une existence en pointillé, d'une vie désorganisée. des marques qu'elle tente de dissimuler sous le fard, un teint qu'elle s'essaie à illuminer pour cacher le brouillard. elle a la gueule des jours en noir et blanc. pressée de s'asphyxier, la fumée de l'herbe comme unique poison, à peine les deux pieds posés au sol. elle a l'humeur mauvaise des jours trop souvent répétés.
les minutes et les heures défilent, comme s'écouleraient les grains de sable d'un sablier imaginaire. la route se trace. ses pas foulent les trottoirs usés d'avoir été trop empruntés. ils sont vieux comme le monde. pourtant, malgré ses maigres années au compteur, elle se sent aussi lasse qu'eux. un énième appel de sa soeur qu'elle a laissé couler la veille. des nouvelles qu'elle se borne à garder égoïstement. un signe qu'elle refuse de donner, la pire version d'elle-même qu'elle dissimule à l'abri des regards, à l'abri des siens. les rues sont presque désertes. les new yorkais préférant ne pas quitter leur lit un dimanche matin. elle est de ceux qui n'ont pas eux le choix, de ceux que les bras de morphée ont rejeté. et elle se refuse déjà à ces heures interminables colorées en gris. le café du coin est là. affiché devant ses yeux cernés au réveil, maquillés et camouflés désormais. il s'ancre dans le décor, en a toujours fait partie. et les habitués se le sont appropriés. la porte qu'elle efface sur son passage, la file d'attente et les visages figés auxquels elle se rajoute. elle n'apercevra réellement la lumière du jour qu'à l'instant où le liquide réchauffera sa gorge autant que son âme. c'est dans un demi-tour, dont elle a le secret, et quelques regards circulaires, qui ont fait passer le temps, qu'elle l'aperçoit. tout en elle se raidit presque instantanément. pourtant aussi, imperceptiblement. les êtres autour d'elle ne feront pas la différence. quand elle sait combien ça l'a brusqué. agaçante dans sa perfection, même les matins pluvieux. énervante dans sa façon de se tenir et de contrôler tout ce qui l'entoure. détestable dans les manipulations qu'elle réserve à tous et auxquelles personne ne résiste. sauf toi. incapable de duper brandy. celle qui avait toujours vu clair dans son jeu vicieux. celle dont les défenses l'avaient toujours savamment expulsé. émergeant étrangement vite de la pire des manières, c'est de ses iris sombres qu'elle la fusille. la langue de vipère s'aiguisant déjà dans le même rythme. elle se détourne presque aussitôt d'un tableau qui lui déplaît. s'agite et prend sa commande à toute vitesse pour fuir le théâtre d'un drame annoncé. d'une énième bataille pas encore amorcée. tu le sais que tu ne résisteras pas si elle vient t'attaquer. à l'aide de ses ongles aiguisés et de ses remarques acérées. t'as jamais voulu d'elle dans la vie de narek, et tu t'es jamais gêné pour le formuler. de mille-et-une manières qui n'avaient pas eu, une seule fois, l'effet escompté. omniprésence virale. poupée modelée. princesse toxique. araignée drapée de soie pour masquer ses plus viles desseins. plus apte à empoisonner l'existence d'autrui qu'à l'embellir. elle a tout d'un ange extérieurement mais elle cache le pire des démons quand on gratte sous la surface. t'as jamais voulu d'elle dans la vie de narek, parce que tu supportes pas qu'on touche aux tiens. encore moins qu'on les malmène autant qu'elle le faisait. en toi, ça résonnait trop fort. l'évidence qu'elle ne le méritait pas. trop de fois, ça l'a fait vriller de la voir débarquer comme si elle n'avait jamais claqué la porte. comme si elle était partie la veille alors que ça faisait des semaines. sa seule silhouette dans son champ de vision suffit à l'irriter, à lui faire voir rouge. le gobelet fumant qu'elle attrape, avant de battre en retraite. de se retrancher dans un coin de la pièce, comme si elle pouvait échapper aux relents d'une présence non désirée. l'atmosphère est presque étouffante. de toutes ses forces, elle s'obstine à oublier. priant tous les dieux pour qu'elle ne se manifeste pas. t'as jamais cru en rien brandy. pourtant, là, t'aurais bien essayé.