« Je vais te casser la tête. » Il feule, le bougre. Il crache son venin dans ta figure et se chauffant les poignets dans l’anticipation. Toi tu te tournes pour lui faire face, pour essayer de comprendre ce qui est en train de se passer. Et quand tu le vois face à toi, quand tu reconnais sa bonne gueule, t’y vois soudainement bien plus clair.
C’est lui que t’as vu avec son mec un peu plus tôt, avec un beau p’tit minet blond qui a attiré ton attention. Et visiblement, t’avais attiré la sienne vu comme il te bouffait du regard, vu comme il s’est approché ensuite avec l’intention de te prendre dans ses filets. Et toi, t’avais bien l’intention de le prendre dans les tiens, armé de ton plus beau sourire.
Tu te l’es envoyé ya à peine une heure, dans l’une des chambres du haut.
Et maintenant, il te fixe, planqué à quelques mètres derrière son copain, sourire mutin au coin de ses lèvres et regard brillant.
Putain. T’es tombé sur l’un de ces mecs qui doivent faire ça souvent, Qui doivent kiffer rendre leurs mecs jaloux à c’point.
T’apprécies pas des masses quand ça devient l’histoire du serpent qui se mord la queue - quand à la fin, c’est toi qui te fait avoir à ton propre jeu. Ya ta fierté qu’en prend un coup même si t’es le premier à reconnaître quand on a été meilleur que toi. On t’y reprendra plus… tout ça, tout ça. Mais en attendant, ya le poing du mec qui vient rencontrer ta belle gueule. Et on risque pas de niquer ton putain de gagne pain comme ça. Ta réponse ne se fait pas attendre quand c’est ton poing quand tu lui balances à ton tour, quand la violence du choc le fait basculer en arrière et que t’en profite pour frapper à nouveau, pour le faire perdre l’équilibre. Et quand il est au sol, quand il fait mine que t’as gagné, tu l’écoutes pas.
Tu continues de frapper.
Tu feules quand on s’approche d’un peu trop près, quand l’infirmière des urgences se met à toucher ta pommette ouverte. T’es à deux doigts de la mordre après avoir grogné comme l’animal que tu es, au fond. Ya ta psy qui te demande de te calmer mais t’es sur les nerfs, à vif après t’être loupé en beauté. Faut croire que t’as perdu de ton savoir faire depuis cette histoire avec Ilyès. Peut-être que, ça yest, t’as perdu la main.
Elle t’a recousu finalement sous l’oeil de ta psy, putain de faucon qui ne te perd pas du regard, prête à bondir si tu fais mine de te rebeller. T’as l’admiration pour la meuf, quand même. C’est sans doute la seule dont tu respectes l’autorité. Et quand les flics sont partis, quand l’infirmière a terminé son boulot, on t’amène dans une pièce pour t’y laisser, priant ton accompagnatrice forcée de bien vouloir attendre dehors et toi de bien vouloir t’asseoir.
Alors t’as posé ton cul sur la chaise, comme un con.
Tu finis par te lever. You’re not the boss of me. Tu fais le tour de la pièce, inspectant tranquillement les alentours en attendant qu’on veuille bien te tirer de ton ennui. Et puis, sans ta psy pour te fliquer, peut-être que t’auras l’occasion de mordre un peu, cette fois.
C'est quand même con d'être médecin aux urgences, parce que vous servez un peu, souvent à rien. T'es pas à ta place, forcé par la père. Tu serais mieux au milieu de tes cadavres, à les préparer pour leur derniers aurevoir, à momifier tes expériences. Heureusement que y'a Cahal pour te satisfaire un peu, t'empêcher de plonger vers la folie et l'envie de découper l'un de tes patients. Tu serais plus heureux à la morgue, même avec ses odeurs bizarres. Y'a ce dossier déjà presque régler qu'on te files entre les mains quand t'as plus rien d'urgent, plus de vie à sauver, de trous dans les chairs à colmater. Un truc banal, qui a pas vraiment besoin de ton attention. Une procédure conne pour pas que le patient ne revienne contre l'hôpital. Ça te fait chier grave, toute cette paperasse à peine lisible tellement c'est mal écrit. Tu dois t'occuper d'un type qui s'est battu, qui a été recousu déjà et que tu dois maintenant examiner avant de lui donner son congé. Vous êtes un peu comme les dentistes, l'hygiéniste fait tout le boulot et le dentiste viens juste vérifier, puis ramasse le gros chèque étant donné les études supérieures et tous les sacrifices qui sont viennent avec. Paraît pourtant que les dentistes ont le plus haut taux de suicide dans toutes les professions. Tu comprends quand même un peu, ce que c'est d'avoir l'impression de pas servir à grand-chose, de t'emmerder comme quand tu parcours brièvement le dossier du gars, tu pourrais te flinguer, toi aussi, pour pas être là. Avec ta chance, tu risquerais certainement de te rater, finir légume avec Macaria pour te torturer et te cracher à la gueule pour te punir le reste de ta vie.
Tu soupires longuement en fouillant le dossier, en te dirigeant vers la salle d'examen où t'entres finalement, le dossier en main, refermant la porte derrière toi pour découvrir ton patient, charmant petit mec, à peine plus vieux que toi, qui fait le tour de la pièce, tu t'avances à peine vers lui, tendant la main.
« Bonjour, Docteur Hadad. Enchanté. Veuillez prendre place sur la table d'examen, Monsieur Milligan, ce sera bref. »
Que tu lui lances, directif, le quittant déjà pour poser son dossier sur ton bureau, t'avançant pour tirer le papier sur le petit comptoir où il doit s'asseoir pour que tu l'examines. Tournant te tête vers lui, que t'attend. Sa gueule te dit brièvement quelque chose, son nom rien du tout. Tu crois pas déjà l'avoir vu comme patient, non, tu cherches.
T’as pas envie de rester en place, pas envie de les écouter. L’adrénaline est encore dans tes veines, à s’échapper de toi par vagues. T’as envie de sortir, de retrouver ce connard que t’as déjà tabassé, histoire de terminer le travail en beauté. On t’a pas laissé faire. On vous a séparés, appelé la police et vous vous êtes retrouvez là avant même que tu ne puisses réellement lui exploser sa face.
Il a osé foutre en l’air ton visage.
On pourrait croire que c’est rien, que bientôt tout sera guéri et que toute trace aura disparu. Sauf qu’en attendant, t’es bon à rien. En attendant, tu ne peux plus exercer ton métier. Putain de mannequin à la gueule recousue. Tu vas en louper des contrats à cause de ce con, à cause de ce qu’il t’a fait, mais aussi à cause de la claque que cela va foutre à ta réputation. Putain de bouffon. Tu le tuerais. Et c’est bien pour cela que ta psychologue a été appelée immédiatement - consigne donnée dans ton dossier. Elle ne peut pas se permettre de ne pas suivre son petit psychopathe, de ne pas vérifier qu’il n’a tué personne.
T’as jamais eu envie de tuer quelqu’un. Jusqu’à maintenant.
Le pire, c’est que tu sais que t’en es capable. Tu sais que tu l’aurais sûrement fait si l’on nous vous avait pas séparés. C’est grisant d’y penser, de te dire que tu pourrais le faire sans jamais te sentir coupable. Tu pourrais arrêter sa vie pour l’affront qu’il t’a fait, pour la merde qu’il vient de foutre dans ta vie. Tu pourrais.
Ya un p’tit jeune qui s’approche, main tendue vers toi et dossier dans l’autre. « Bonjour, Docteur Hadad. Enchanté. Veuillez prendre place sur la table d'examen, Monsieur Milligan, ce sera bref. » Il se présente, siffle un ordre et tu arques un sourcil. Il semble bien jeune pour un médecin. Ils t’ont quand même pas envoyé un putain d’étudiant, si ? « T’es vachement jeune pour un médecin. » Tu fronces finalement les sourcils et décide d’obéir, histoire de. Peut-être que t’auras l’occasion de le foutre dans ta poche et de sortir de cette merde. Peut-être pour retrouver le mec. Peut-être pour rentrer chez toi. Peut-être pour trouver un p’tit mec et le baiser jusqu’à ce que les coups de reins te fassent oublier ta colère. Tu prends finalement place sur table d’examen même si ça t’emmerde salement, le regard fixé, fixé sur le visage du docteur. Il est pas si désagréable à regarder. Peut-être que tu peux jouer l’jeu, au moins une fois.