Immobile, le regard sur la porte noire, Zende se remémorait le numéro que lui avait donné la personne au téléphone. Oui, c'était bien ici. La lumière blafarde dans le couloir lui suggérait de rentrer rapidement dans cette chambre. Pour retrouver des couleurs, un peu de chaleur aussi. Les hôtels, il connaissait ça le footballeur. Endroit idéal pour planquer ses combines même si, dans son cas, elles ne concernaient absolument pas des substances illicites. C'était le lieu où il cachait ses embrassades, ses étreintes. Il se sentait libre aussi, libre se suivre ses envies. Il regardait à gauche et à droite mais le troisième étage restait désespérément vide. Point de visiteurs ou de personnel de ménage, même les chambres étaient silencieuses. Il se racla la gorge avant de frapper un coup et entrer directement. Il ne savait pas trop comment faire alors il avait choisi de signaler son arrivée sans pour autant attendre qu'elle lui dise d'entrer. À l'accoutumée, les clients devaient l'attendre dans leurs propres chambres. Dans le cas de Zende, c'était préférable que ce soit sur un terrain neutre, surtout pas une chambre à son nom pour éviter que le staff ne vienne foutre son nez dedans.
Il entra donc, vêtu de son jean noir troué, d'un polo blanc et d'une veste en cuir marron. Il aurait pu faire plus discret mais il avait envie de soigner son look. Ça lui arrivait des fois, surtout depuis qu'il avait commencé sa carrière. Son agent lui répétait qu'il fallait bien se saper alors il l'écoutait. Il avait envie de s'appliquer et parfois, il voyait bien qu'autant de gars que de filles pouvaient le regarder. Il s'était alors dit que ce n'était pas une si mauvaise idée au final.
Allongée sur le lit, une poupée brune chétive semblait l'attendre. Un visage empreint d'une possible mélancolie ou de tristesse. Elle avait les traits fins qui la rendait si angélique, si douce. Ses yeux , d'un marron si brillant semblaient le balayer rapidement. Il avait la curieuse sensation de la comprendre, de l'imaginer. Il était certainement le cinquième ou le dixième client de sa journée. Il n'en savait rien, bien sûr mais il y pensait. Qu'avait t-il à lui donner, lui? Il se répétait qu'il pouvait le faire, qu'il pouvait essayer rien qu'une fois. Il trouvait beau le corps d'une femme, il n'avait juste pas d'attirance.
Il resta face au lit, la contemplant en la dévisageant légèrement. En vérité, il était mal à l'aise. Il avait pensé que ce serait comme face à un homme, qu'il serait capable de faire son beau et la draguer ouvertement mais il ne se sentait pas capable. Un blanc s'installa alors, il regardait ses baskets Nike avec un air concentré. Il ne voulait pas la fixer et encore moins mettre un mot sur sa gêne. Il déglutit avant de marcher en direction de la table de nuit. « Tu avais dis combien déjà? Je te pose le total ici...». Il ne lui adressait pas un seul regard, ouvrant son portefeuille pour plonger la tête dedans. Et il restait immobile , attendant sa réponse. Un frisson d'angoisse et d'appréhension le parcourait soudainement. Il essaya de donner le change pour ne pas réaliser qu'il s'était lui-même piégé. Qu'on ne choisissait pas son orientation sexuelle par hasard.
Il grinça des dents avant de lui demander, un peu par curiosité mais surtout pour ne pas laisser le doute s'installer davantage. «Enfin, tu fais comme ça avec les clients, non?»
Sa voix même le trahissait, jonglant entre un ton agressif et apeuré. Il voulait juste passer sa commande, Zende. Il croyait que c'était aussi simple que de se rendre au fast food. Et pourtant, il était clair qu'il en tremblait, d'avance. Idiot qui croyait troquer les hommes par une femme, idiot qui pensait encore qu'elle ne verrait rien.
Allongée sur le lit de cette chambre d’hôtel, elle attend, portable à la main. Elle attend, anxieuse, parce qu’elle n’est pas vraiment à son aise. Parce qu’elle a certainement repris le travail bien trop tôt, après son agression. Mais elle en a besoin. Véritablement besoin. Le loyer ne se payera pas seul, et ses frais de scolarité non plus. L’habitude de devoir se débrouiller seule, l’habitude de devoir s’en sortir. Toute sa vie a été ainsi, et il n’y a aucune raison pour que cela change, aujourd’hui. Aucune raison pour qu’elle soit épargnée, à présent. Alors elle garde pourtant cette appréhension en elle. Cette peur de ne pas être cabale de voir un client. Ou bien, peut-être revoir un client. Parce que t’as cette mémoire défectueuse, Faye. Tous les souvenirs que tu as oubliés. Ces deux derniers mois que tu as oubliés. Et elle se sent vulnérable, plus qu’elle ne l’a jamais été. Elle se sent vulnérable, avec l’horrible impression que n’importe qui pourrait vouloir profiter d’elle. La sensation que n’importe qui pourrait parvenir à profiter d’elle. C’est cette insécurité qui ne la quitte plus, depuis qu’elle a quitté l’hôpital. Depuis qu’elle a retrouvé sa vie, presque comme avant. Avec ce trou béant, dans son esprit, dans son cœur. Et l’impression que cela pourrait arriver de nouveau. L’impression qu’elle pourrait se retrouver de nouveau laissée pour morte, au beau milieu d’une ruelle. D’autant plus avec sa jambe plus fragile, désormais. Avec les douleurs qui persistent. Et les clients de ce soir, elle ne sait rien de lui. Tout du moins, elle ne se rappelle de rien de lui. Elle n’a qu’une seule information, il est footballeur. L’avis qu’elle s’est déjà fait, parce que les footballeurs, elle les connait. Nombreux sont de ces clients, et ils sont souvent bien trop vaniteux. Certains ont même du mal à encaisser le fait qu’elle ne couchera pas avec eux. T’es pas une prostituée, Faye. T’es escort girl. T’es là pour leur faire passer un bon moment, mais jamais tu n’iras plus loin avec un homme qui ne te plait pas. Pourtant, celui de ce soir, Zende, il a l’air différent. Elle peut le voir, le sentir, dès l’instant où il entre dans la pièce. Elle se redresse alors, plonge son regard dans le sien, et voit combien il semble mal à l’aise. Fermé. Etrange comportement, quand, d’habitude, les hommes sont plutôt impatients. Pressés, à l’idée de profiter de cette soirée avec elle. - Bonsoir. Qu’elle commence par dire, avant toute chose. Il s’agit là du minimum de politesse. Mais elle reprend rapidement, répondant à sa question. - C’est 100 dollars, et tu peux les poser là, oui. Et puis elle se lève finalement, maintenant son regard sur lui. Elle cherche à comprendre, pourquoi il se comporte de cette façon. Elle cherche à comprendre, pourquoi il fait appel à elle, si il n’en a pas réellement envie. - Tu ne m’as pas vraiment l’air à l’aise… Qu’elle reprend, alors qu’il se comporte comme une personne tout sauf décontractée.
Il n'a pas l'habitude de cela, Zende. Il sait qu'il faut faire semblant, il en a souvent l'habitude quand il doit parler avec les journalistes. Il sait bien qu'il doit jouer à l'hétéro, à l'homme à femmes pour perfectionner son image. Il ignore si ce sont les histoires qu'il a entendu plus jeune ou bien l'idéal qu'il conçoit pour construire ce personnage. Il sait qu'il aurait pu prétendre être lui-même sans fard. Sans faux semblants. Il se demande si cela n'est pas trop tard, maintenant. Il touche enfin au succès, à cette notoriété à laquelle il a tant rêvé pendant son adolescence. Admettre qu'il était un menteur mettait à mal cette image si lisse qu'il voulait adopter et montrer à ses fans et au monde sportif. Alors, il s'était dit que de voir une escort femme l'aiderait sûrement. A se sentir à l'aise, à faire comme s'il était hétéro au moins une nuit. Il avait songé à cela avant de sauter le pas, ce soir même. Le malaise qui s'installait à peine quelques minutes après son entrée lui prouvait bien qu'il s'était trompé. Fourvoyé dans un nouveau mensonge, à croire qu'il les collectionnait.
Il hocha la tête à l'écoute de ce tarif et sortit son portefeuille. Il voulait régler l'argent au plus vite, surtout si elle en avait besoin. Elle semblait si juvénile, si sensible et si belle qu'il en était subjugué. Conscient qu'il n'aurait rien d'autre que sa compagnie et qu'il ne pourrait pas non plus lui dire tant de choses... car c'était son métier au final. Ecouter les hommes et peut être faire plus. Il ne changeait pas des autres, il n'était pas mieux que les autres, non plus. Il sort les billets et les pose sur la table. « Voici, il y a le compte.». Il était toujours droit comme un I, l'observant par intermittence pour ne pas croiser son regard. Il se demandait si elle avait percuté qu'il n'était pas dans son élément. On aurait dit une poule avec un couteau. Quelques secondes de silence passent de nouveau, Zende espère s'en tirer de cette façon.Attendant que l'heure file et qu'il n'ait pas besoin de se justifier, d'expliquer.
Brusquement, elle se lève, coupant court à toute autre interprétation possible. Elle voulait parler, expliquer. Bref elle voulait capter le contact. Elle appuya exactement sur le point sensible : son manque d'assurance, de confiance dans sa démarche. Il fit une grimace, preuve qu'il était démasqué. Il passa une main derrière sa nuque et répondit, d'abord la tête en biais sans la voir réellement.
«Je ne suis pas très à l'aise... avec ce genre de service. »
Il mentait, encore une fois. Il avait déjà payé les services d'un mec pour un peu plus que cela. Deux ou trois fois il en avait eu, avait couché avec eux pour mieux les débouter par la suite. La vérité c'était qu'il était foutrement mal à l'aise avec les femmes. Et le fait d'être avec la demoiselle le lui prouvait une nouvelle fois que c'était vrai.
Il ne sût pas pourquoi mais il se sentait en confiance avec la jeune femme et... mentir commençait à lui peser. Il soupira, baissant la tête avant de la regarder dans les yeux cette fois et lui dire, d'une voix plus basse.
«Enfin, on va juste parler... non?»
Histoire d'être sûr qu'il n'y aurait rien de physique entre eux. Il était perdu et le simple fait d'imaginer qu'il devait aller plus loin le faisait flipper. Il espérait sincèrement que Faye dissipe cette possibilité, qu'elle lui dise qu'ils ne parleraient que de la pluie et du beau temps. Qu'elle ne l'oblige pas à dévoiler réellement qui il était et qui il aimait, en réalité. Qu'elle ne le perce pas à jour. Pas maintenant.