Démence irrésistible - Zakir

Par moment, mon souffle coupé, l’oxygène contenue dans mes poumons à un goût d’oppression. J’imagine le gaz poignarder mes bronches, que la violence plonge instantanément dans un état de putréfaction et de nécrose. Et mon corps, violacé par le manque, l’abandon de cet élément précieux, tombe à la renverse au milieu d’un cortège d’inconnus. En ces instants précis, j’aimerai que l’air me manque plus souvent, que l’asphyxie m’assaille des milliers de jours consécutifs, sans jamais qu’elle ne me vole mes nuits. Ces mots qui pèsent sur mon corps, une existence fragile au rythme des syllabes.

Ses hanches à peine parsemées de chair se balancent au rythme elliptique du son qui saisit la bâtisse. Les corps étriqués en balancement se confondent en une orgie. Elle sent contre elle des désirs absurdes par dessus l’haleine alcoolisée des gens autour d’elle. Charlie tient ses prunelles fermées, risquent un oeil quand la planète cesse d’osciller, découvre un décor aux multitudes de néons colorés. Des mains se posent sur sa peau ; la sensation qu’on la traverse. Elle courbe ses cervicales, le crâne lourd d’intensité. Elle aimerait s’allonger sur la piste, une oreille contre le sol dégueulasse, elle sent que c’est là que son coeur bat, putride. La belle ondoie ainsi, des heures durant, déchaînée par les drogues prises çà et là dans le creux de paumes obscures.

Les ailes de l’enfant se consument, trop près de la chute, d’une réalité qu’elle veut échapper. Les voix familières de ses patients cessent de se confondre dans sa cervelle, la soif marque la fin de ses exaltations. Elle gît désormais entre les mains d’un crépuscule que les lueurs du bar viennent briser. Son visage maculé de perles salées, le rejeton O’Connell se laisse saisir par la brise nocturne du calme qui embrasse son épiderme et sèche ses larmes de frénésie. Ses opales prolifèrent dans un néant elliptique, une descente infernale vers des contrées qu’elle exècre.

C’est le tumulte à l’autre extrémité du bar qui l’extirpe de sa torpeur ; l’homme, comme elle, semble déshydraté et vide avec une limpidité absolue une quantité de verres, torturé par le désir de s’assouvir. Elle décoche un rictus.

« - Existe-t-il des passions plus violentes que la soif? La voix est haute et claire, à l’autre bout du bar, parmi le bruit qui décante l’espace, elle fait en sorte de se faire entendre. »

@Zakir Jamal

L’aube percera l’obscurité dans quelques instants, accueillant les derniers trépas, les biles inconnus, confuses déposées vaillamment sur le bord du trottoir. Charlie, elle, continuerait de voir la nuit dans les prunelles du garçon. Ce sont ses mots qui lui disent qu’il est enlisé dans la nuit, il parle, nargue, courtise et la douce y voit déjà le crépuscule renaître, inévitablement. Elle sent que chez lui le temps presse, qu’il exsude de ses pores, il n’a pas le temps d’attendre que la gamine lui réponde, peut-être craint-il qu’elle objecte et qu’alors le temps perdu ne revienne jamais. Elle lit dans ces opales brunes, dans ce corps frêle qui prend les apparences d’une cage pour cette âme d’aventures. Des secondes perdues, une fois de plus, dans le regard inconnu, et bientôt la lumière d’un sourire qui s’abat sur le verre

La rythmique bat de plus bel, nourrit les dernières valses d’élans macabres. C’est l’instant qui la maintient en vie et sa chair qui ne connait que déchéance elliptique meurt d’y retourner. Le verre se vide, se déverse librement dans ses entrailles. Elle n’a pas envie de discuter, les mots vacillent déjà dans sa tête, prennent possession de ses lèvres si souvent. C’est l’énergie du corps qu’elle supplie, la tête est ailleurs.

Sa main se dépose sur l’avant-bras de ce nouveau partenaire, qu’elle entraîne rapidement, féline, sur la piste de danse. Un amas humain au coeur de la piste force les deux enfants à réduire leur proximité, davantage encore entrainés par leurs mouvements. La basse à peine perceptible marque la cadence des corps qui s’agitent, enivrés. Le faisceau de lumière bleue qui se déverse sur le cortège laisse entrevoir aux opales de Charlie les marques que des frénésies inconnues ont abandonné sur son partenaire. Des marques fluorescentes qui retracent les empreintes, les emprises de jeunes femmes, le long de ses bras, sur son visage, et ailleurs contre sa nuque, où des lèvres ont porté leur scellé. Lentement, geste vif calomnié par l’éthanol et la drogue, elle brise de son pouce la trace de ce baiser finement déposé à côté de sa pomme d’Adam. Ses yeux enfin se lèvent vers les siens, elle est légère et transporté par les notes.

Bientôt, l’aube reprend ses droits.
Et il est temps pour les deux êtres de se voir balayés par la brise matinale.

@Zakir Jamal