Echange de bons procédés. (Charlie)

Qu'est-ce que tu fais là ? Devant toi, un immense building se dresse devant toi. Le coeur battant la chamade, tes mains sont moites. Tu ne sais pas ce qu'il t'as pris. Pourquoi as-tu pris ce rendez-vous ? Suite à ta dernière conversation avec Ella, tu te rend bien compte que tu ne peux pas rester ainsi. Tu ne peux pas vivre éternellement avec ce poids sur ta conscience. Ton beau père t'as détruit, réduisant à néant ce petit garçon souriant et remplis de joie de vivre que tu as été jusqu'à ce que cet home abuse de toi. Tu ne peux pas rester éternellement seul. Les gens ne peuvent pas te toucher, tu ne les laisses pas faire. Tu te contentes de vivre, ou de survivre plutôt. Tu vends ta drogue jour après jour, cotoyant des gens qui ne font pas attention à toi, à l'homme que tu es. Sauf Ella. La jeune femme est différente, elle te plait, elle t'attire. Ton coeur s'emballe dès que cette demoiselle se trouve près de toi. Tu déteste te prendre la tête. C'est en grande partie pour elle que tu te trouve ici, dans cet ascenseur te conduisant au cabinet d'une psychiatre. Jamais tu n'aurais pensé qu'un jour tu viendrais consulter une psy, pourtant t'es là. Devant la porte où le nom de la psy est inscrit sur une plaque dorée. Tu frappes, les mains tremblantes. Ton coeur bat vite, trop vite. Tu t'apprête à raconter pour la première fois à quelqu'un ce qu'il s'est passé. Ce qui t'es arrivé pour que tu en sois là aujourd'hui. Toi qui voulait être un danseur, tu n'as pas réussis à évoluer dans ce domaine. Tu n'es qu'un dealeur. Un homme vendant héroine, cocaine, ghd et n'importe quelle autre drogue encore. Tous les jours, tu prends le risque de te faire attraper par la police. T'aime vivre avec le danger. T'aime cette adrénaline jour après jour. La porte s'ouvre, timidement, tu entre en trainant des pieds. "Bonjour.. Thomas Farrel. J'avais rendez-vous pour une consultation.." Bégaies-tu en tentant, en vain, de cacher ton malaise.

La tourmente des flots enragés et cinglants ou l’accalmie paisible et monotone, une tempête tumultueuse qui irradie ces êtres, ébranle leur chair et leur os. Déflagration de peau qu’elle recueille au creux de ses paumes, ces artères meurtries qu’elle tente vainement de nouer les unes aux autres pour quelques secondes supplémentaires. Elle encense la vie de ceux qui l’exècre, les arrache aux bras de l’inéluctable fin.

« - Bonjour, Thomas Farrel, j’avais rendez-vous pour une consultation. »

Le voile de bois n’est plus là pour préserver le mystère, Charlie pose ses iris délicates et imperturbables sur l’Adam. Une anxiété déterminée embaume l’espace, l’effluve dense enserre les deux corps. Comme tant d’autres avant lui, Thomas appréhende ce rendez-vous, une méfiance familière qui réchauffe le coeur de la douce.

« - Charlie, enchantée. Elle l’intime, réduit cette proximité par son prénom, apprivoise la tension qui submerge l’homme. Je vous en prie, installez-vous. »

Et sa main, lentement, soulève l’air pour désigner une place sur un fauteuil non loin du sien. Les deux enfants prennent place dans un silence létal subitement enrayé par les assertions de la brune.

« - Thomas, à nouveau cette proximité, pendant cette première séance, vous allez devoir fixer vos attentes, je peux vous accompagner mais j’ai besoin de savoir quels événements vous ont amené à ce rendez-vous? »

De ses orbes impénétrables, Charlie sonde Thomas que les mots de la psychologue venaient de traverser subrepticement. Elle sent qu’il s’apprête à faire demi-tour, elle tremble à l’intérieur. Leurs yeux se rencontrent enfin, quelque instant dans le calme embarrassant des mots que l’on ne trouve pas.

« - Thomas, est-ce que vous pensez avoir besoin d’aide? »

Tu ne sais pas ce que tu fais ici, dans ce bureau. L'envie de tourner les talons et de prendre la fuite est immense mais c'est trop tard, tu as parlé. Tu t'es présenté et la femme devant toi te répond. Il est trop tard, tu ne peux plus reculer. Il faut que tu parle à quelqu'un de ce qui te ronge depuis de nombreuses années. Ces cauchemars doivent cesser. Peut-être devrais-tu en parler à un ou une amie, à quelqu'un qui te connait mais la peur d'être jugé par quelqu'un que tu estime beaucoup t'effraie. On dit souvent que c'est plus facile de se confier à quelqu'un, cela dit t'es mort de trouille. Ton coeur bat si fort dans ta poitrine, ta respiration se fait difficilement. Tu regarde la femme en face de toi. Elle te parle d'une voix douce et calme, tu n'as pas l'habitude de ce genre de comportement. T'es plutôt habitué à ce que l'on te crie dessus, sans cesse. Tu souris, timidement, à la jeune femme et entre dans son bureau. Mains dans les poches de ta veste en cuir, seul cadeau que ta mère t'es fait le jour de ta majorité, tu t'installe sur le divan de la femme. Tu n'ose pas la regarder dans les yeux, il le faudra bien. C'est toi qui a pris ce rendez-vous, c'est toi qui a besoin d'aide. Tu la regarde enfin droit dans les yeux. "Enchanté .." Bégaie-tu face à la femme assise juste en face de toi. La sentence tombe, il faut que tu lui parle de ce qui t'amène ici. Il faut que tu lui parle de cette soirée qui a chamboulé l'entièreté de ta vie, de cet homme qui t'as bousillé. Il t'as détruit, anéanti et, aujourd'hui, il continue de jouer le gentil mari avec ta mère à son bras. Tu veux le voir mort, tu veux qu'il crève mais tu sais aussi que ta mère est heureuse avec lui. Le sera-t-elle encore le jour où elle apprendra ce qu'il t'as fait ? L'amour rend aveugle, ta mère ne s'est jamais douté de rien même lorsqu'elle a découvert que tu refusais de t'alimenter. Personne ne le sait. Personne ne sait ce que tu as vécu ou traversé. "Je vais essayer d'être le plus précis possible mais ça va pas être facile .. Je traine ce fardeau depuis mes seize ans .." Précises-tu avant de te donner la force nécessaire Tu soupire et essai de trouver les mots justes pour lui parler de ça. Finalement, tu te résigne à apprendre un texte par coeur, tu laisses les mots sortir comme bon leur semble. "J'avais seize ans, je lisais un bouquin dans ma chambre et .. il est entré .. Il a commencé à me caresser avant de .." Tu t'arrête, les images te reviennent en tête rien qu'à parler de cette soirée qui a détruit ta vie. "Il a abusé de moi .. Je parle de mon beau-père.." Tu trembles, ta voix est prise de sanglots. Tu n'oses toujours la regarder. "Je ne peux plus vivre avec ce poids sur mes épaules .. Je ne veux plus faire ces cauchemars .." Avoues-tu en essayant de lancer un appel à l'aide à la femme en face de toi.

Tandis que les premières afflictions se déversent au coeur de la pièce, elle opine lentement en inscrivant quelques éclats de paroles contre le papier. La détresse, cette vie en berne, bousculade traumatique, le lot de ces corps étrangers qui ne devraient jamais se rencontrer en éclosion, un interdit que l’un d’eux brave toutefois, malmené et malmenant, envoûté par la déraison.

Charlie arque un sourcil intérieurement - le souci des apparences professionnelles. La peine du garçon prolifère entre ses mots, ses mains secouées par des remous subits, elle comprend que des flots enragés se déchaînent en son for. Cependant, ce discours lui murmure autre chose. Sagace, rarement soumise à ce genre d’attitude, elle saisit là que les mots de Thomas outrepassent leur vraisemblance. Il n’était pas ici pour quémander son aide, il songeait davantage à se débarrasser de son problème, à fuir cet océan impétueux dans lequel il était entrain de se noyer. Charlie comprenait à son sujet ce qu’il n’était pas à même de comprendre: il vivait dans le déni. Parce que son corps, toujours, se sent maculé de l’étau que formaient les mains de son beau-père, que le souffle chaud de sa respiration enivrée, la pression de son thorax pour le tenir immobile, le frottement des peaux demeurent sur l’épitaphe de son cortex.

Il tremble parce qu’il se souvient et que son courroux n’a cessé de s’accroître à chaque réminiscence. Et elle, elle sait. Elle sait que ceux qui vivent tranchés dans le déni, ne savent ni qu’ils s’y trouvent, ni comment s’en sortir. A cet instant, Thomas ne souhaitait pas être soigné, seulement faire cesser l’hémorragie. Or, en thérapie, plus difficile encore que d’en initier une, y mettre un terme sans que celle-ci soit achevée rendaient les événements complexes, voire ostensiblement dangereux pour des cas comme celui du gamin.

« - Thomas, elle l’interrompt. Avant d’aller plus loin, vous devez comprendre pourquoi vous êtes ici. Vous n’êtes pas ici pour ce que vous a fait subir votre beau-père, auquel cas vous n’auriez pas attendu aussi longtemps. Quelque chose vous amène, quelqu’un peut-être? Elle le cherche du regard, il semble confus. »

Tu as honte de toi. Honte d'avoir laisser cet homme te terrorriser durant tant d'années. Tu le déteste, tu le hais. Tu ne veux plus jamais le revoir. T'as beau vivre à des milliers de kilomètres de cet homme, tu auras toujours peur de lui. Peur de le croiser à nouveau dans les rues de New-York. Tes nuits sont courtes, jamais plus de trois heures. Les cauchemars sont nombreux, les images de cet homme abusant de toi reviennent tout le temps dans ta mémoire. Tu tremble, t'as peur. Tu vis ainsi depuis une dizaine d'années. Ça ne peut plus durer. Il faut que ça cesse, que ça se termine. Tout de suite sera le mieux. T'as besoin d'aide. La jeune femme en face de toi est là pour te tendre la main, pour t'aider à effacer ces souvenirs et ces cauchemars te hantant en permanence. Elle ne pourra malheureusement rien faire pour toi tant que tu ne la laisseras pas t'aider. Te confier n'est pas chose aisé pour toi, tu ne le fais jamais parce que tu as peur d'être jugé. Ce n'est pas toi le coupable, tu n'es qu'une victime. Assis dans le fauteuil en face de celui de la psy, tu tremble. Une boule se forme dans ton estomac. Tu vas devoir raconter ce qui t'amène ici, tu vas devoir mettre des mots sur les images qui tournent sans cesse dans ta tête. Tu lui raconte donc ton histoire, ce qu'il s'est passé le jour de tes seize ans avec ton beau-père. Une soudaine envie de vomir s'empare de toi, tu te retiens et termine ton récit aussi pénible soit-il. Mais la jeune femme veut savoir autre chose. Elle a raison, c'est quelqu'un qui t'amène ici. Une femme en l'occurrence. « C'est pour moi que je le fais, du moins en partie. J'en ai marre de vivre comme ça avec la peur au ventre sans cesse .. » Mais ce n'est pas que pour toi, pour une femme et pas n'importe laquelle. Tu sers les poings contre tes jambes, tu prends une profonde inspiration. « Une femme .. Jsuis ici pour une femme .. » Avoues-tu en ne cessant de voir le doux visage de Ella. « Jsupporte pas qu'on me touche depuis .. ça.. » Tu n'arrive toujours pas à mettre de mots sur ce qu'il t'as fait. « Jsuis conscient qu'il va falloir travailler énormément pour arriver à effacer ces démons de ma tête mais jsuis prêt. » T'exclames-tu plus déterminé que jamais.

On s’enlise dans le mensonge quand la vérité s’avère plus délétère encore, pourtant, il la lui offrait là sur un plateau d’or. Les timides révélations de Thomas la rassure quelque peu, elle comprend que son amour pour la femme qu’il évoque dépasse cette vérité en suspend au-dessus de sa tête, celle qui se fait épée de Damoclès. Un instant, elle croit qu’il ignore les plus claires raisons qui l’ont guidées jusqu’ici, qu’il s’ignore parmi elle, s’y voit mais croit rêver, abdique: c’est pour elle.

Thomas se montre entier, se dépèce de ses maux indigestes qui lui ont remué les entrailles des années durant. Il n’élude pas, les faits apparaissent tels quels, encensent la boîte crânienne de la psychologue. Elle opine de la tête, lâche quelques acquiescements du fond de la gorge, l’observe attentive. Elle sait qu’en cet instant les actes ressassés dominent les mots qu’elle pourrait proférer à son encontre. Elle se tait. Le silence lui permet de reprendre son souffle cérébral, de laisser à l’homme l’opportunité d’en dire davantage. Mais les mots ne viennent jamais alors elle emprunte un morceau de papier, s’installe aux côtés du garçon.

« - Je vais vous expliquer quelque chose. Ça, c’est vous, elle dit tout en dessinant ce bonhomme aux traits primaires. A gauche du personnage, elle dessine un fléché vers l’homme. Ces flèches représentent les choses à la fois positives et négatives, voire les deux, que vous avez reçu depuis votre naissance. Elle effectue rapidement le même schéma sur la droite du personnage, les flèches situées à l’extérieur cette fois-ci. Ici, ce sont les flèches qui évoquent à toutes les choses positives et négatives, voire les deux, que vous renvoyez, qui font de vous la personne que vous êtes. Lentement, ces gestes suivent son raisonnement. Vous devez savoir que le négatif que vous avez reçu n’est pas égal au négatif que vous renvoyez, et pareillement pour le positif. Car entre ce que vous recevez et ce que vous renvoyez, il y a vous. Elle désigne le bonhomme du bout du stylo. Et c’est vous qui traitez les informations reçues, votre inconscient en fait ce qu’il veut. Vous comprenez? »

Ses yeux se lèvent vers Thomas, hagard. Il comprend, mais l’idée ne semble pas lui plaire, c’était sous-entendre qu’il avait provoqué son malheur actuel. Il se trompe.

Elle reprend finalement place sur son fauteuil en face de son patient.

« - En définitive, ce que je veux vous faire comprendre c’est que votre viol n’est pas forcément la circonstance, ni même l’unique circonstance qui fait que vous ne souhaitiez plus être touché. Qui plus est, vous devez comprendre pourquoi votre corps a procédé à une telle stratégie défensive. »

Un rictus étire ses lippes charnues, empli de compassion.

Quinze ans. Ça fait quinze ans que cet acte aussi atroce soit-il s'est produit. Tu n'en as jamais parlé à personne. À l'époque, tu n'étais déjà pas un garçon se mêlant aux autres mais depuis que ton beau-père a fait ce qu'il a osé te faire, c'est devenu encore bien plus dire. Tu t'es renfermé sur toi-même. Tu refuse de te lier et t'attacher à qui que ce soit. En partant de San Francisco, tu pensais que les choses iraient mieux. Que tu irais mieux, pas du tout. C'est toujours pareil. Tu n'as pas pour habitude de te montrer avec tes faiblesses face aux autres. Pourtant, face à Ella tu arrive à te confier à elle. Ella est la seule personne à savoir ce que tu as vécu et traversé durant près de quinze années. Seul, abandonné par tout le monde à force de les éloigner de toi. Si tu as tenu à venir consulter cette psy aujourd'hui, c'est en partie pour toi. Pour faire partir ses démons, ainsi que ces cauchemars de ta vie. Pour être libéré de cette emprise qu'il a encore sur toi, sur ta vie et tes agissements. C'est également pour Ella, pour -peut-être- être enfin heureux avec elle. La jeune femme, tu l'aime. Elle compte énormément pour toi. Ton cœur, c'est pour elle qu'il bat jour après jour. Tant de baisers partagés ensemble. Stressé, nerveux, tu n'es pas à l'aise dans le bureau de la psy. Elle semble dans tes âges, peut-être à peine plus jeune que toi mais qu'importe. Tant qu'elle est apte à t'aider, le reste t'importe peu. Tu ne parviens pas à parler à la jeune femme. T'en as envie mais les mots ne sortent pas, ils ne veulent pas venir. Alors elle vient s'installer à tes côtés, une feuille de papier ainsi qu'un crayon à la main. Elle dessine un bonhomme assez grossièrement puis des flèches tout autour de lui. Tu ne parles toujours pas, écoutant attentivement ce qu'elle a te dire. Jusque là, tu l'écoute sans dire un mot et buvant ses paroles. Tu hoche simplement la tête en guise de compréhension de ta part. Tu ne comprends pas très bien ce qu'elle te dit, il te faudra certainement un petit temps d'adaptation. Tu comprends mais il te faut le temps. « Oui je comprends .. » Te contentes-tu de répondre. Tu sens ton cœur battre à tout rompre dans ta poitrine. Tu n'as pas pour habitude de livrer de la sorte à une inconnue. « Je veux réellement me sortir de tout ça. Je sais bien que je n'oublierais ce qu'il m'a fait, ça sera toujours ancré en moi mais ce n'est pas une raison pour me laisser sombrer comme je l'ai fait depuis quinze ans .. » Avoues-tu plus ou moins honteusement à la jeune femme. « Je n'ai jamais eu de relations sexuelles avant ou après .. lui .. » Dis-tu à voix basse, refusant de prononcer le prénom de ton beau-père. « J'ai rencontré une femme il y a quelques mois .. On se voit assez fréquemment et je me sens bien avec elle .. Mais je me rend bien compte que je ne pourrais pas être heureux avec elle tant que ces cauchemars me hanteront .. » Tu attends beaucoup -peut-être un peu trop de cette personne- mais tu n'as personne d'autre vers qui te tourner pour te venir en aide.