Le sentiment de mener un combat perdu d’avance. Le sentiment de se battre contre les mauvaises personnes. Le sentiment d’épuiser toutes ses forces dans des affrontements vains. Elle ne contrôle plus rien de ce qu’elle ressent, Cassey. Elle ne contrôle plus rien de ce qui peut arriver dans sa vie mais, également, dans celles de ses proches. C’est certainement pour cette raison qu’elle a tant tenu à préserver ses secrets. Mais elle ne peut plus maîtriser ce qui peut se produire, ce qui peut arriver aux personnes qui lui sont chères. Car ils ne l’écoutent pas, ils ne veulent pas l’écouter. Ils ne veulent pas entendre ce qu’elle peut bien ressentir, ni même ce qu’elle leur expose en pleine face. Owen, il tient uniquement à la protéger. Quitte à ce qu’elle le déteste, quitte à ce qu’elle ne veuille plus jamais le revoir. Mais, surtout, quitte à mettre son frère en danger. Il n’a que faire de ses reproches, c’est comme s’ils tombaient dans l’oreille d’un sourd. Il lui affirme même qu’elle peut bien le détester si ça l’aide… Mais comment ? Comment peut-il croire que c’est ce qui l’aide ? T’as besoin de tout sauf de le détester en ce moment. T’as besoin de son soutien, t’as besoin de sa présence. T’as juste besoin de lui. Mais, au lieu de se contenter d’être là pour elle, il se mêle de cette histoire, il y mêle aussi Nikolaï… Il lui fait porter un poids plus important encore au lieu de l’alléger. – Non, ça ne m’aide pas de te détester. lâche-t-elle en détournant les yeux, épuisée de devoir se battre encore contre lui. Elle est à bout, Cassey. Et il semble s’en rendre compte puisqu’il s’approche finalement d’elle pour la prendre dans ses bras. Elle se laisse faire, d’abord sans réagir, avant de relever ses bras autour de lui elle aussi. Le besoin de le sentir près d’elle, le besoin de le sentir contre elle. Affaiblie, vulnérable, elle finit par lui avouer combien elle n’en peut plus d’affronter ceux qu’elle veut protéger. À ses mots, elle ne dit rien, car elle n’a pas l’impression d’avoir le choix en réalité. Qu’elle le veuille ou non, ils sont au courant maintenant. Et ils feront ce qu’ils veulent malgré toutes ses mises en garde. La jeune femme finit par se reculer, encore trop chamboulée, quand elle entend sa proposition. – Non, je… J’ai besoin d’être seule. Elle n’a vraiment pas la tête à partager un dîner avec lui et sa nièce. Comme si tout allait bien, comme si elle allait bien, alors que ce n’est pas le cas. Elle a besoin de prendre du recul sur tout ce qui s’est passé en quelques heures seulement. Besoin de digérer toutes ces conversations. – Tu embrasseras ta nièce pour moi. Elle recule déjà, prête à s’en aller. Elle ne proteste plus, Cassey, elle se sent perdue. Elle ne sait même plus si elle doit lui en vouloir, ou non, elle sait juste qu’elle a besoin de respirer… Seule.
Le combat qu’elle perd contre lui. Encore un. Elle a l’impression que, peu importe tout ce qu’elle peut éprouver, de la plus grande des souffrances à la plus incontrôlable des colères, il balaie tous ses sentiments sur son passage. Il les fait éclater pour faire ressortir tout ce qu’elle a de plus intime en elle. Et tu détestes ça, Cassey. Tu détestes être autant à la merci du bon vouloir d’un seul homme. Pire encore alors qu’il s’agit en particulier de cet homme. Il lui fait clairement comprendre qu’il ne regrette aucunement d’avoir parlé à son frère malgré tout ce qu’elle peut dire. Autant qu’il n’a que faire de sa volonté de le laisser à l’écart. Il se fiche de tout ce qu’elle peut ressentir, et ça lui donne la sensation d’être encore plus vulnérable, devant cette force de caractère qu’elle perd de son côté tout doucement. Nouveau combat qu’il a gagné, mais il n’aura pas le prochain. Il n’aura pas le plaisir de l’avoir à ses côtés à ce dîner. Pas après avoir balayé sa fureur contre lui d’un simple revers de la main. D’une étreinte que, faiblement, elle a accepté de partager. Mais elle a sa fierté, Cassey. Elle est arrivée en colère, furieuse contre lui. Elle ne se pardonnerait pas de finir par manger à sa table. Ses sentiments, même après une conversation vaine, ils sont toujours là. Elle secoue négativement la tête, inspirée par l’ombre d’une détermination encore à demi-présente. – Ne t’en fais pas pour moi. Elle ne viendra pas. Non. Elle lutte encore, Cassey. Elle lutte contre celui qui ne veut sans doute que l’aider. Mais elle ne peut pas acceptée l’idée d’avoir besoin qu’il vienne la secourir. – Au revoir Owen. Après un dernier regard, elle recule jusqu’à la porte avant de s’enfuir. Non, elle n’est pas une demoiselle en détresse qui attend d’être sauvée. Elle a appris à se sauver toute seule. Elle ne veut pas lui donner ce rôle. Et, plus que tout, elle ne veut pas lui donner encore cette emprise sur elle. Peut-être qu’elle n’a jamais pu l’oublier, Owen, peut-être qu’elle l’a encore dans la peau. Peut-être qu’il sera toujours là, au fond de son cœur. Mais elle n’est pas prête à le laisser prendre la même place dans sa vie.