beetlebum (ashley)

foutue Émile. Putain d’Émile. sacré Émile qui te met de mauvaises humeurs, qui te retourne tout, la tête, le cœur, et puis tout le reste. T’avais un quotidien plutôt serein avant ça, t’allais en cours,  t’écoutais rien, puis t’allais à la radio, tu kiffais un petit moment avant d’aller bosser ou te bourrer la gueule avec tes potes. mais maintenant ? t’es en cours pour encore moins l’écouter, gribouiller son nom pour le raturer, noircir des pages de stylo noir, perdre patience, t’énerver et trouer tes feuilles. T’aurais dû sauter cette étape, venir directement pour animer ton créneau à la radio, et puis repartir comme t’es venu. À quoi bon de toute façon ? tu sais pertinemment que tu l’auras pas ton diplôme. et quand bien même tu réussis à le décrocher, qu’est-ce que t’en fera ? surement pas grand-chose. comme ta vie. t'en fera pas grand-chose non plus. surtout pas s’il reste dans le coin, s’il ne quitte pas ton esprit. Est-ce que c’était plus simple quand il n’était pas là ? porter disparu de ta vie ? probablement, tu te posais moins de question, tu ne pensais pas tous les jours à lui, bien que son visage, son âme, n’ait jamais vraiment quitté ton esprit. alors quoi Billie ? tu voudrais qu’il reparte comme il est arrivé ? Qu’il ressorte encore une fois de ton paysage ? peut-être bien. probablement pas. tu sais pas. t'as jamais su. foutue Billie qui ne sait pas ce qu’elle veut.

La fin du cours sonne comme une délivrance, quelques sourires échanger, à ces amis qui n’en sont pas vraiment, tu traverses le campus en courant, retrouvent le cocon doux et rassurant de la radio, le petit espace confiné entre les murs rembourré. c’est ton espace ici, ton havre de paix, celui où tu peux te concentrer sur autre chose, te le sortir de la tête, au moins pour un petit moment. tu prends place derrière le micro, le bordel laisser par tes collègues, les feuilles de préparation qui date de plusieurs jours. Un amas de papier, de gobelet vide et de tabac froid. tu retournes ton propre sac, cherche ces maudites feuilles, les playlists que tu prépares en amont, ce que tu dois annoncer à cette population d’étudiants. merde. merde, merde, merde. tu les as sans doute oublié. et tu revois Bowie, se prélasser sur un tas de feuille dans ton salon. Foutu chat. foutue Bowie. tu vas devoir improviser. T'es pas mauvaise pour ça, tu préfères juste pratiquer avec un filet. ton collègue te fais signe, ça va être à toi, et tu paniques, mets la main sur une feuille pliée, une écriture que tu ne reconnais pas. si, bien sur que tu la reconnais. c’est ce type. dont t’a oublié le prénom. celui qui a critiqué tes goûts musicaux. trop vintage ? connard. tu te souviens avoir pris son papier, te jurant de le jeter une fois qu’il aurait le dos tourné. et tu ne l’as pas fait. tu prends la main, lance le premier titre sans te poser plus de question. C'est pas si mal. c’est même plutôt bon. enchaînement est agréable, les titres choisis le sont aussi. tu connaissais certains d’entre eux, en découvre d'autres. tu passes un certain temps sur cette playlist, jusqu’à relever la tête vers la petite fenêtre, seul contact avec le monde extérieur. tu le vois le bas. de l’autre côté de la vitre. soupire en lui faisant signe d’entrée. qu’est-ce qu'il vient faire ? te féliciter d’avoir choisi ses “bons gouts musicaux” ? tu lances la prochaine chanson, profite des trois minutes quarante cinq pour retirer ton casque, l’observer dans un soupire. “si tu viens pour que je mentionne ton nom, c’est raté…”, déjà parce que tu t’en souviens pas. et puis parce qu’il est hors de question pour que tu lui accordes le bénéfice de ta session radio. T'a une réputation à tenir. tu te laisses tomber dans le fond de ton fauteuil, pose un regard sur le papier posé devant toi. “C'est pas si mal j’avoue…”, tu hausses les épaules. tu vas quand même pas le féliciter. Foutue inconnu.

music sounds better with you;

ça va faire bien deux heures que j'ai l'cul posé sur cette chaise, dans un coin reculé de la BU. deux heures que je fais semblant de travailler, que je me sers de la connexion internet qui m'est offerte non pas pour étendre mon savoir, mais pour regarder des compilations de vines sur youtube de manière à tester ma resting bitch face. c'est chaud de pas éclater de rire, mais je gère. puis plus récemment, pour lire le dernier chapitre de one piece, tout en étant branché sur la radio de la fac. l'émission de ma grande pote Burger King va bientôt commencer et j'aime bien entendre c'qu'elle a à dire.

ça s'voit qu'elle est passionnée, et ça m'fascine. j'ai toujours eu un faible pour les gens qui se laissent prendre aux tripes par ce qu'ils aiment. c'est beau. c'est un des rares trucs qui fait que je déteste un peu moins l'humanité. puis j'ai toujours l'espoir d'entendre passer la playlist que j'ai composé pour elle avec amour. j'aime beaucoup ses goûts musicaux, j'aime son émission, autant pour son contenu que pour son aspect musical, mais fallait que j'ajoute mon petit grain de sel. mes intentions resteront secrètes.

j'atteins presque le bout du chapitre quand c'est à son tour de prendre possession du studio et je l'imagine, assise derrière son micro, avec son énorme casque sur les oreilles, en train de presser des boutons. elle balance son intro habituelle, alors que mes yeux sont rivés sur big mom qui a la dalle. puis je reste con en entendant jouer les premières notes du titre que j'ai écrit sur la liste que je lui ai donné: what went down de foals. c'est dingue. c'est trop cool. je m'ambiance tranquillement, sans trop m'emballer, parce que si ça se trouve, on a juste les mêmes goûts pour certains trucs, ou alors elle a vite fait pioché dans ma mixtape et puis voilà.

je décide de finir de lire le chapitre, ouvre le broadcast sur mon téléphone de manière à pouvoir éteindre mon ordinateur sans pour autant interrompre mon écoute. j'ai besoin de fumer et puis j'en ai marre de rester là, donc autant bouger. si elle joue la deuxième chanson sur la liste juste après, you're not good enough de blood orange, il y a moyen pour que j'me déplace. je quitte la BU et m'allume une cigarette à l'instant où je me retrouve à l'extérieur. la chanson touche bientôt à sa fin, la tension est à son comble et... je m'étouffe presque avec la fumée de ma cigarette quand je reconnais le début de la chanson, ELLE EST EN TRAIN DE JOUER MA PLAYLIST, PUTAIN.

j'ajuste mon sac sur mon épaule, coince quelques boucles derrière mon oreille avant de me mettre à rapidement marcher d'un bout du campus à l'autre, tout droit jusqu'au studio, son émission toujours à son plus haut volume dans mes oreilles. fumer en marchant m'essouffle un peu, mais j'arrive à destination pour la dernière inhalation avant le filtre. je jette le mégot à la poubelle après avoir éteint la braise et colle littéralement mon nez à la fenêtre qui sépare le studio de la plèbe et du bruit, de manière à attirer l'attention de ma présentatrice préférée.

elle me fait signe de rentrer, au moment où elle lance chocolate de the 1975 et je défais les écouteurs de mes oreilles en passant la lourde porte, que je referme soigneusement derrière moi. bien l'bonjour, votre altesse! je m'exclame en faisant la révérence la plus minable de toute l'histoire. je m'approche d'elle en souriant largement et m'affale lourdement dans le grand siège à roulettes qui assiste le sien et mon sourire se métamorphose en petite moue quand elle pète directement mon groove.

je m'enfonce dans le siège sans la quitter des yeux et la défie du regard un instant avant de geindre. je réclame des droits d'auteur. je m'empare d'un stylo qui traîne sur le bureau en bordel qui nous assiste et gribouille mon prénom et mon nom, suivit d'un petit c que j'emprisonne dans un rond sur le bord de ma liste. copyright déposé, je me défends pathétiquement avant d'essayer de faire tenir le stylo entre mon nez et ma lèvre supérieure. elle complimente mes goûts musicaux et je souris de nouveau, laissant le stylo retomber sur mes cuisses. merci de le reconnaître... j'suis la seule personne qui écoute ton émission, la moindre des choses, c'est que tu joues des trucs que j'aime, je lance narquoisement, pour l'embêter un peu. t'es pas obligée de me faire une dédicace si tu m'autorises à un peu rester, je marchande en me cramponnant à la chaise dans laquelle je suis assis alors qu'on arrive au bout de la chanson, alors qu'elle va devoir se remettre à parler bientôt.

c’est vrai qu'y a pas grand-chose que tu prends au sérieux dans la vie, c’est vrai. mais pas la musique. la musique c’est une affaire sérieuse, on ne rigole pas avec ça, tu rigoles pas avec ça. surtout quand c’est à toi d’assurer une après-midi complète de programmation. t’aime ça, choisir avec soin les musiques que tu souhaites passer, les nouveaux sons que tu feras découvrir, les anciens qui sont indémodables et indispensable, les groupes locaux, que tu soutiens avec ferveur. t’aime ça, t’y passe du temps, chez toi le soir, entouré de tes vinyles, d'oton chat et de la chaîne hi-fi qui crache dans un coin de la pièce. loin d’être un fardeau, t’y prend surtout plaisir en réalité. mais ce jour-là ce n'est pas ta playlist que tu joues, pas celle que tu as préparé la veille au soir, laissant les heures défilées, retardant de plus en plus ton sommeil. La playlist empruntée, trouver le sou un tas de prospectus, probablement oublié des jours plus tot, quand ce gars était venue te la suggérer. tu l’as détesté au moment même où il a osé critiquer tes choix musicaux, porter un jugement sur ce que t’aime toi.

les choix sont plutôt bons, te sauve la mise pour cette journée-là, te dépanne bien. et ça t’arrache la gueule de l’avouer, mais il a plutôt bons gouts, t’aurais peut-être pu l’écouter un peu plus quand il est venue te suggérer cette playlist, le bout de papier qu’il avait préparé pour toi. un coup d’oeil aux fenêtres du studio, tu le reconnais de l’autre côté de la vitre, lui fait signe d’entrée sans savoir ce qu’il veut, ce qu’il vient chercher. Tu vas quand même pas le féliciter, tu vas quand même ne pas ranger ta fierté pour lui dire qu’il avait raison, que ces choix sont bons. pourtant, tu le fais d’une certaine façon, en passant sa playlist, en lui montrant le papier posé devant toi, concédant que ce n’est pas si mal… tu l’observes, quand il prend place en face de toi, attrape un stylo pour y griffonner un nom sur sa propre feuille, un petit c emprisonné, un copyright. tu hausses un sourcil en te penchant pour voir ce qu’il a écrit. ashley. voila son prénom. “même pas en rêve”, tu repousses un peu la feuille, sans avoir l’intention de parler de lui, d’annoncer que tout cela est le fui de son travail. tu l’écoutes pourtant, attentivement, fronce les sourcils quand il pense être ton seul auditeur, réclame d’avoir les sons qu’il aime. il négocie, pas de nom, mais il veut rester, te tenir compagnie. l’offre est alléchante, tu n'as jamais être seule, même à la radio. t’agite un doigt sous son nez, signe qu’il doit se taire, reprend la main lorsque la chanson se termine. tu cites la chanson, l’artiste, annonce dans la foulée le prochain match de votre équipe de waterpolo, prie les étudiants d’allers les encourager -même si tu les trouves particulièrement nul-, puis tu lances la prochaine chanson. un peu plus de quatre minutes. “premièrement, t'es pas mon seul auditeur”, tu secoue la tête, un brin vexé par ses insinuations. “deuxièmement, même si c’était le cas, t’écoute la plupart du temps mes choix, ça veut dire que tu les apprécies”, le sourire s’installe sur tes lèvres alors que tu retrouves le dossier de la chaise. “et tu peux rester, si tu touches à rien”, difficile de trouver quoi que ce soit à toucher, vu le bordel qui règne sur les consoles de la radio. “T'as jamais pensé à faire de la radio ?”, il a de bons goûts, il ferait probablement un bon animateur.

Spoiler:

music sounds better with you;

je la regarde checker mon prénom et maintenant que les présentations sont faites, on peut officiellement devenir les meilleurs amis du monde. même si elle refuse de dévoiler à ses auditeurs que je suis le génie derrière la hot mixtape qu'ils sont présentement en train d'écouter. tant pis, je ferai ma promo moi-même plus tard... j'irai dire à qui veut l'entendre que c'était moi, les gars... c'était ma playlist.

après mes taquineries, billie ressent le besoin de se défendre, très premier degré la petite, mais c'est cool, parce que ça me fait pouffer de rire et puis j'aime bien les gens qui ont de la répartie, c'est toujours stimulant. même elle finit par sourire, d'ailleurs. naturellement, j'ai pas le droit de toucher aux boutons, même si c'est super tentant. c'est la condition. pour prouver ma bonne foi, je glisse mes mains dans mes poches. j'écoutais la radio quand j'étais encore de l'autre côté de l'océan, j'aimais trop nick grimshaw dans le breakfast show, je commence à raconter, mais à ses débuts, en 2013... quand il interagissait avec son crew et que ses mini-jeux avaient aucun sens. c'était tellement drôle, puis la musique qu'il passait était cool, surtout le vendredi. je soupire avant de hausser les épaules. c'est difficile de lui arriver à la cheville, mais tes goûts me rappellent un peu les siens et tu me fais rire, alors... j'suis content d'avoir trouvé la relève, on va dire.

je me laisse distraire par les écrans et les boutons et le bordel un instant, avant de m'esclaffer à l'entente de sa question. je pose les yeux sur elle de nouveau pour m'assurer qu'elle est sérieuse et fais mine de replacer mes cheveux derrière mon épaule comme une diva, alors que mes cheveux sont définitivement trop court pour ça. je suis flatté que tu poses la question, ça veut dire que tu trouves que j'ai du potentiel. je replonge ma main dans ma poche en riant légèrement. honnêtement, je pense pas avoir le charisme. donc non, j'y ai jamais pensé, mais si jamais t'as besoin d'un assistant..., j'arrive à placer, un peu avant que eye in the sky de the alan parsons project ne touche à sa fin.

j'attends un moment, que billie fasse son job et c'est palpitant d'être là, dans l'envers du décor, d'être là où la magie se produit. je me rappelle de la première fois où j'ai écouté son émission. j'étais dans l'aile littéraire, en train d'attendre qu'une fille que je fréquentais à l'époque sorte de cours. j'ai entendu une bribe de conversation qui était centrée sur la radio du campus et curieusement, je suis allé voir ce que ça valait. je suis tombé sur la douce voix de son altesse et depuis... j'écoute autant que je peux. le plus régulièrement possible.

elle enchaîne avec la cinquième chanson sur ma playlist, un des singles de catfish and the bottlemen. je me pince les lèvres en réalisant que jusque là, tous les titres que j'ai proposé sont interprétés par des artistes ou groupes britanniques. god save the fucking queen. et toi, alors? qu'est-ce qui t'a poussé à faire de la radio? je demande avant de récupérer le stylo et la feuille sur laquelle j'ai écrit ma playlist, de manière à dessiner des petits doodles sur un coin du papier.

Spoiler:

c’est rare de te voir partager ces instants-là,
ceux que tu ne gardes généralement que pour toi, ton brin d’égoïsme.

la radio c’est ton truc, à toi, rien qu’à toi, mais ce jour-là t’accepte de le faire rentrer dans ton monde, dans ton petit cocon douillet, celui où tu viens te réfugier quand tout va mal, quand tu as besoin de souffler, d’être seule et d’être heureuse. c’est ton truc ici, ta forteresse impénétrable. et pourtant aujourd’hui tu lui permets de rentrer, de s’installer en face de toi, même d’échanger quelques mots, de passer la liste qu’il ton faite. elle n'est pas si mal, il a de bons goûts, tu dois bien l’avouer. À demi-mot seulement, hors de question de ranger ta fierté, du moins pour le moment. mais d’une certaine façon tu t’avoue vaincu rien qu’en lui rendant grâce, rien qu’en portant de l’attention à ses choix, à lui. tu poses quand même les règles, c’est toi le boss ici, que ce soit bien clair.

tu l’écoutes te raconter ses débuts avec la radio, de l’autre côté de l’océan, un animateur que tu ne connais pas vraiment, un nom que tu as seulement entendu. Il a l’air de bien s’y connaitre, il te compare à lui, tes goûts musicaux et ton humour. ça te gène un peu, tu t’attendais pas à un compliment de sa part et tu remballes tes joues rouges derrière ton casque quand tu annonces les deux prochaines chansons, une courte page de publicité locale, celle pour le disquaire du coin, pour le cinéma amateur, pour le magasin de meubles du coin de la rue. il s’esclaffe à ta question, pourtant ce n'est pas si bête que ça, il pourrait très bien faire de la radio t’imagine, il a de bons goûts, il s’y connaît, c’est l’essentiel à tes yeux. pourtant il prétexte ne pas avoir assez de charisme, préféré une place d’assistant. tu hausse les épaules, “j'suis sûr que t’en a assez moi, puis tu sais les assistants ici… c’est nous”, tu ricanes, une main dans tes cheveux, “c’est de la radio maison, on se débrouille avec ce qu’on a, on trouve ou on fabrique le reste”, peu de moyen, pas de subvention, vous n’êtes qu’une radio du campus, bien loin des grandes chaînes de radio que l’on trouve dans le centre de new york, celle que t’aimerais rejoindre, un jour.

t’envoie une autre chanson, tu’n'avais compris rien qu’en voyant ses choix qu’il avait une tendance à pencher vers l’Europe, et plus particulièrement l’Angleterre. Mais tu ne lui en tiens pas rigueur, bien forcé de constater que certains des plus grands artistes sont des sujets de Sa Majesté. il te demande comment t’en est arrivé là, s’intéresse vraiment à toi ? “le hasard”, enfin t’imagine, c’est vrai t'as jamais eu de vocation avant ça. “j’ai commencé quand j'suis arrivé à la fac, y'avait une place à prendre, j’ai postulé et me voilà”, t’ouvre grand tes bras comme pour dire “tadam”, ce qui n’est pourtant pas une prouesse. “J'suis passionné de musique depuis que j'suis gamine, ça me permettait d’avoir une main sur ce qu’on écoute dans le coin”, Billie grande sauveuse de la culture des jeunes étudiants new-yorkais. “et je me suis rendu compte que j’aimais vraiment ça, je crois que je veux continuer après”, haussement d’épaules, parce que t'es pas sur de toi, parce que tu sais pas si t’as le talent nécessaire pour un jour en faire ton métier, en vivre.