vague à l'âme › ella

☾ ☾ ☾
{ vague à l'âme }
crédit/ tumblr ☾ w/@Charlie O Connell

Assise contre sa fenêtre, les yeux posés dessus, le petit bâtonnet meurtrier entre les lèvres, la sulfureuse contemple la pluie dans le silence. Semble-t-il dans l’indifférence. L’agitation en bas de l’immeuble, les passants qui courent, les parapluies qui se déploient, les voitures qui inondent les passants, et les passants qui insultent les voitures. Tout cela, elle ne l’entend pas, elle ne le voit pas. Elle ne le voit plus. Comme s’ils n’avaient plus aucune importance, les gens. Ce sont les gouttes d’eau qui glissent contre la vitre vite, si vite, qu’elle observe. Elles ont l’air de faire une course à celle qui terminera le plus rapidement. Celle qui arrivera en bas la première. Comme elle, comme les êtres humains, tous en train de se ronger. Tous en train de se laisser couler encore et encore, arrivant jusqu’au point de non-retour, jusqu’à la chute, sans même s’en rendre compte. Elle est envahie de ses sombres pensées, la cancéreuse qu’elle continue de respirer, sans même prendre conscience de l’ironie de son geste.

T’es comme ces gouttes qui glissent, Ella,
Tu te laisses couler sans rien faire pour l’empêcher,
Tu te laisses aller effrontément à tous ces vices, Ella,
Parce que cela fait longtemps que t’as cessé d’espérer.

Plus rien qu’elle n’attend de la vie. Peut-être seulement de ses quelques amis. Ceux qu’elle n’a pas chassés, ceux qu’elle n’a pas abandonnés. Elle écrase sa cigarette nonchalamment auprès des autres cadavres quand elle entend taper à la porte. Et pas n’importe comment. Le bruit est frénétique, nerveux, comme si c’était urgent. Comme si c’était important. Elle se demande qui peut bien trouver important de venir la trouver mais, sans trop attendre, elle décide d’y aller. L’embrasure de la porte à peine ouverte, elle reconnaît sa voix. Elle reconnaît ses pleurs. Elle reconnaît son cœur.

C’est bien elle, Charlie,
Tu sais, Charlie, ton amie,
Celle que t’as laissé tomber,
Une autre encore que t’as abandonné.

Il y a son palpitant qui se resserre. Il y a ses yeux qui se perdent dans les siens. Trempée comme si la tempête l’avait attrapée, c’est un autre orage qui semble l’avoir dévastée. Elle décèle les angoisses de Charlie, celles qu’elle ne connaît que trop bien. Trop bien, c’est le mot. Tu te sens déchirée, Ella. Entre l’envie de la prendre contre toi, et celle de lui refuser tes bras. Tu te sens piégée, entre tous tes sentiments, et ce besoin d’éloignement. Mais t’arrives pas. Elle n’arrive pas à la laisser, pas comme ça, pas dans cet état. – Merde, Charlie… Tu dois être morte de froid... Sans attendre plus longtemps, une ou deux secondes qui a suffi. Elle pose sa main contre son dos pour la faire entrer chez elle.

Et la faire revenir dans ta vie.

Elle retire elle-même la veste entièrement trempée de son amie, puis l’entraîne jusqu’au salon pour entourer un plaid autour d’elle. Réchauffer son corps à défaut de pouvoir soigner son âme. – T’es pas folle, d’accord ? Je suis là, concentre-toi sur ma voix. Ces voix, elles te disent quoi ? elle lui demande, lentement, tendrement. La douceur qui revient instinctivement, avec elle, toujours avec elle. – T’es pas seule, ok. Je suis là. Parle-moi. Parce qu’elle te retourne le cœur, Charlie. Elle le chamboule chaque fois qu’elle revient dans ta vie.

☾ ☾ ☾
{ vague à l'âme }
crédit/ tumblr ☾ w/@Charlie O Connell

Elle est là, devant elle, Charlie. Elle est là, devant elle, son amie. L’âme tourmentée qu’elle a abandonnée, celle qu’elle a décidé d’écarter brutalement de sa vie. Du jour au lendemain, peut-être, pour la psychologue mais après beaucoup trop d’heures perdues à essayer de la sauver. Trop d’heures, aussi, à tenter de supporter tous les tourments qu’elle inflige, Charlie, à elle-même, et tous ceux qui l’approchent. À Ella qui, trop souvent, s’est laissée submerger avec elle par les profondeurs abyssales de son désespoir. Ce monde de ténèbres, duquel elle aurait voulu la libérer, pour lui faire retrouver enfin une lueur d’espoir.

Tu t’essaies à les sauver, toutes ces âmes abîmées,
Mais tu n’y arrives pas, tu n’y arrives jamais,
Tu finis toujours par te laisser sombrer,

Te laisser couler, avec eux.

Elle se laisse attirer par ces cœurs en perdition. Ceux qui, incontestablement, ont besoin de protection. Elle voudrait être celle qui les sauve, mais c’est comme si elle n’en était pas capable. Comme si elle n’avait pas cette force en elle. Comme si elle était elle-même trop cassée, malgré tout ce qu’elle peut bien se raconter, pour y arriver. Comme si c’était elle qu’elle devrait réparer la première, pour peut-être espérer faire enfin le bien autour d’elle. Mais ce n’est pas prêt d’arriver, Ella. Il lui semble de plus en plus laborieux, le chemin. De plus en en plus loin. Comme si, plus le temps avançait, plus elle s’éloignait de la lumière. Plus elle se laissait happer par ces enfers. C’est pour ne pas se laisser sombrer avec Charlie, qu’elle a préféré l’abandonner. L’instinct de survie, en elle, qui a parlé.

Parce que tu devrais te sauver toi-même,
Avant d’espérer aider ceux que t’aimes,
Parce que tu finis par les abandonner,
Un à un, tu les laisses tous tomber.

Elle ne pouvait pas faire autrement. Elle ne pouvait plus, c’est ce qu’elle a essayé de lui expliquer, ce qu’elle a tenté de se persuader. Mais ses mots ne semblent pas avoir convaincu Charlie qui est bien devant elle ce soir. Pas plus qu’ils ne l’ont convaincue, elle, submergée par la culpabilité alors qu’elle tente de la réchauffer.  L’âme en proie à ses tourments ne paraît même pas réaliser ce qu’elle est en train de faire. Comme si elle était là sans être là. Comme si elle n’était pas avec elle, mais toujours avec elles, ces voix dans sa tête. – Arrête, t’excuse pas Charlie… elle murmure, en l’entraînant jusqu’au canapé. Elle la pousse à s’y installer. Entreprend toujours de la réchauffer de ses mains qui frottent les bras de la belle écorchée. De son âme qui essaie de se reconnecter à la sienne. La gorge serrée, Ella, elle ignore ce qu’elle peut faire pour soulager sa peine. Hormis être là, lui rappeler qu’elle est là. Soudain, la jeune femme paraît deviner la présence de celle qu’elle est pourtant elle-même venue retrouver.

Ne plus la perdre,
La garder surtout avec elle.

Ses mains saisissent avec une certaine vigueur celles de son amie. Son regard tente d’accrocher comme elle peut ses iris. – Reste là… Ok, reste avec moi ! Elle lui laisse tout juste le temps de répondre. Trop peur qu’elle disparaisse, ensevelie sous les démons qui la submergent. Trop peur de la perdre.Sans attendre, la diablesse jouant comme elle peut son rôle d’ange gardien vient prendre Charlie dans ses bras. Sa main glisse dans ses cheveux, elle les caresse tendrement, affectueusement. – Raconte-moi… Raconte-moi le dernier film que t’as vu. Tu te souviens de ce que c’est ? Elle tente fébrilement d’apaiser ses tourments. Les faire oublier, ne serait-ce que, quelques instants.