Wake me up ! (LIBRE)

Dans l’fond, il fallait bien que tu t’attendes à ce que ça t’arrive un jour, de louper ton arrêt. Parvenir au bout du chemin et revenir à la case départ. Et ainsi de suite.
Non sérieusement, avant ça, ça ne t’était encore jamais arrivé de t’endormir comme ça dans le métro mais à force de faire les allers-retours entre le Bronx et le Queens, il fallait croire que les vibrations du bordel métallique avaient eu raison de tes insomnies.
Ça avait été une bonne soirée, de celles qui vous vidaient de votre énergie, mais d’une bonne manière : Tu avais vendu presque tout ce que tu avais sur toi et en prime, tu t’étais même payé le luxe de profiter de l’ambiance de la fête. Ici, ils passaient de la vraie musique, pas seulement ces vieux remixes répétitifs tout juste bons à faire tripper un camé. Nan, là tu t’étais bien éclaté et tu avais même jeté ton corps de lâche dans la foule, te souciant peu de te faire entraîner dans les bas-fond de la salle. Peut-être même que c’est ce que t’attendais.
Autant dire que t’étais pas loin d’être mort quant tu t’étais laissé tomber sur la banquette du métro, les bras posés sur la barre latérale, les mains pendues dans l’vide et la tête posée sur tes bras tendus. Tu avais fermé les yeux cinq minutes seulement. Ces mêmes cinq-minutes qui laissèrent le temps à la rame de faire trois fois son itinéraire.

Tu souffles, tu soupires. Les cours sont finis, tu devrais être soulagée. Non, les examens sont terminés voilà pourquoi tu devrais être soulagée. Sauf que t'y arrives pas. Tu stresses. C'est mignon de passer l'écrit, c'est mignon de poser ton cul dans une salle pendant ces putains d'heures. Mais tant que les résultats ne sont pas arrivés, t'es pas rassurée. Tu pourras souffler quand ton passage en seconde année sera inscrit. En attendant, tu es d'une humeur massacrante. Et ce mois de juin n'aide en rien. Quatre ans que tes parents adoptifs sont morts dans cet accident de voiture. Quatre ans que tu rumines ta peine en la cachant derrière des sourires et un optimisme qui dépasse tes pairs. C'est pas que tu veux pas y penser, c'est juste que tu t'occupes l'esprit, tu tentes de rester cette enfant qu'ils ont connu et apprécié. Et tu t'évertues à être une femme respectable. T'essayes du moins.
Dans le métro, tu te poses, t'as fini ta journée, t'as fini de bosser. Faut bien payer les factures et puis l'appart'. T'es pas bien riche, pauvre gosse issue d'un système casse gueule. Pourtant, tu t'en sors comme tu peux. Pas forcément économe, pas forcément radine. Mais t'es là. Assise dans la rame, tu observes les gens autour. Comme d'hab, y'a de tout dans le coin. T'es pas surprise. Tu souris aux gosses, tu laisses ta place aux vieux, tu évites les regards des gars un peu trop zonards. Puis t'as lui. Il bouge pas trop, même pas du tout. Il a pas l'air mort mais tu t'en assures quand même. Ton doigt percute son épaule à plusieurs reprises. " Dis, t'es mort ? " Et si c'était le cas et qu'il lui répondait et bien... Ouais, non.