way down we go (alaska)

Elle joue. Et ça devrait pas me faire réagir mais, putain ça m'énerve. Je l'aide à se débarasser d'un parasite et elle tente de me mettre plus bas que terre. Ingratitude à l'état pur. Mais je tente de me contenir, de garder mon calme, de pas effacer ce sourire de façade. Parce que, dès la seconde où mon visage se transformera, elle aura gagné. Elle saura qu'elle a du pouvoir sur moi, qu'elle peut dominer ce jeu auquel on joue. Celui que j'ai instauré quand je pensais qu'elle céderait facilement. Mais, Alaska, tu dépasses toutes mes espérances. Tu trouves le moyen de me mettre dos au mur au moment où je m'y attends le moins. Tu réagis pas selon mes prévisions. Non, t'es à part. Une variable que je n'arrive pas à calculer. Pourquoi ? Je sais pas, et ça me rend dingue. « C'est pas dans ce bar de merde que tu trouveras quelqu'un de bien ». Quelqu'un à mon niveau, qui se laissera pas avoir par l'argent. Mais je te laisse chercher, je commande même un verre de whisky pendant que tu parcoures la salle du regard. « Pense même pas à celui là, je lui sors mille dollars et il te laisse comme un vieux biscuit » que je murmure. Et je débite des phrases comme celle ci à chaque fois que je te vois poser les yeux sur un mec. La vérité c'est que je supporte pas que t'en regardes un autre que moi. Mais on n'est plus des gosses, c'est pas des billes qu'on met en jeu, ce sont nos cœurs. Alors je reste prudent, je dévoile rien. Je m'humecte les lèvres avant de boire une gorgée. « Tu veux une leçon ? Regarde bien et apprends. Par exemple la femme là bas avec sa chaîne en argent, je pourrais l'avoir rien qu'en agitant ma montre sous son nez parce que tout ce qu'elle veut c'est qu'on prenne soin d'elle, financièrement parlant » que je lâche en indiquant du regard quelqu'un qui parlait avec d'autres femmes. « Puis elle, celle qui se déhanche sur la piste comme si elle avait le feu aux fesses, elle veut juste un mec pas trop dégueulasse avec qui passer la nuit, facile à avoir aussi ». A ce jeu là, c'est impossible de me battre. J'ai passé trop de temps à étudier le comportement des femmes en boîte, trop de soirées à les complimenter sur leurs yeux, leur robe, leurs cheveux. Trop simple, trop manipulable. Et c'est devenu une routine, sortir les même phrases bidons, promettre monts et merveilles et briser leurs illusions le soleil levé. « Honnêtement c'est tellement simple que je comprends pas comment tu peux te tromper aussi souvent. Au moins les putes choisissent bien leurs mecs ». Je veux que tu te rendes comptes Alaska que tu peux pas me battre à ce jeu. Je veux que tu laisses tomber et que t'avoues que tu trouveras pas mieux que moi. Parce qu'au moins avec moi, tu sais à quoi t'attendre. Mais surtout parce que je laisserais personne te faire de mal, jamais.

La colère redescend doucement lorsque je vois ce petit sourire. Léger, mais présent. Contrairement au mien qui se fait grand. « Abuse pas je les ai pas toutes fréquentées ». Seulement quelques-unes et juste une nuit à chaque fois. Faut que tu saches que je suis pas le genre à aimer plusieurs fois la même personne. J'aime pas trop me donner à quelqu'un, c'est comme ça. J'aime pas m'attacher et je suis pas attachant. Mais avec toi je me laisse faire, je me laisse un peu apprivoiser. J'apprends doucement à plus être un connard, à prendre soin des autres. Puis tu me demandes ce que je peux dire quand je te regarde et mon visage se referme. C'est la limite à pas franchir ça, Alaska. Il est trop dangereux ce précipice au bord duquel tu danses. Parce que, si tu tombes, je tombe avec toi. « Je peux dire que t'es pas ma pute ». Le ton taquin, j'essaye de rigoler un peu, de détendre l'atmosphère. Mais je sais que j'y arriverais pas. Alors mes doigts viennent doucement caresser ta joue et, à cet instant, je n'entends quasiment plus la musique. Ouais, là, tout de suite, j'ai qu'une seule envie : t'embrasser. T'as l'air si fragile et pourtant si forte comme ça. C'est perturbant. Je sais pas quoi penser, quoi faire. Et pourtant je sens que j'ai pas le droit de merder. « Je peux dire que t'es pas le genre de femme qu'on délaisse ». Une pause, le temps de me noyer un peu plus dans tes yeux noisettes. « Je peux aussi dire que tu t'en fous de l'argent, t'es pas matérialiste ». Sinon t'aurais accepté depuis longtemps de me céder ton corps pour une nuit contre un collier en or ou un autre truc débile, qui sert à rien. Puis finalement une personne qui passe et me bouscule. Le violent retour à la réalité. Ma main qui s'ôte de ta joue, presque instinctivement et la carapace qui se remet en place. « Pourquoi tu me demandes ça Alaska ? » Pourquoi tu me rends si fragile ? J'ai pas de réponses et, le pire, c'est que j'en trouverais probablement jamais. Et je devrais me contenter de vivre avec ça pour le reste de la nuit.

Un cauchemar. L'enfer sur terre et l'apocalypse dans mon esprit. J'ai été à deux doigts de l'embrasser, de céder et putain c'est mauvais signe. Faut que je prenne mes distances, maintenant. Pendant qu'elle croit encore que je suis un baratineur. Je m'apprête à prendre la fuite, à sortir une excuse bidon et la laisser en plan. Mais elle est plus rapide que moi, elle agit, elle me prend de court. Lui payer un autre verre ? Pourquoi pas. Non. Faut pas. Sinon je risque de craquer encore, de redevenir vulnérable. Je devrais m'en aller et pourtant. Pourtant je peux pas lui ôter ce sourire des lèvres. « Et si je payais plutôt un verre à la femme derrière toi ? » Connard. Il n'y a pas de mots de plus justes. Second prénom d'un être ignoble, plus diabolique que le diable lui même. D'un mec qui refuse toute idylle, qui préfère être craint qu'apprécié, envié qu'égalé. « Mademoiselle ? » que je l'interpelle en me penchant vers elle, me rapprochant en même temps d'Alaska. J'essaye de me concentrer sur l'inconnue mais l'odeur de l'avocate m'ennivre. Alors je souris simplement et je sors une phrase bateau. « Je vous paye un verre ? » M'en veux pas Laska, c'est pas contre toi. En fait, si. C'est à cause de toi. Parce que tu veux pas être ordinaire, tu veux pas être de celles qui cèdent un baiser contre un compliment. Mes yeux croisent les tiens une dernière fois puis je m'avance. Je m'excuse pas, c'est pas mon genre. Je me contente de te dépasser, sans même un regard, sans une attention de plus. A cet instant là, je fais honneur au nom que je porte, je tente de créer une guerre qui sera sûrement sans fin. A toi de voir si tu veux t'y engager. Mais sache un truc Laska, ce que je te dis pas c'est que je continuerai de te pousser à bout, encore et toujours. Jusqu'à ce qu'on soit fatigués tous les deux, épuisés mentalement, au bord du gouffre. C'est dangereux, je le sais. Mais c'est tellement plus palpitant qu'un couple normal, qu'un mec qui achète des fleurs à sa copine le jour de la saint valentin. Et la vie se doit d'être palpitante si tu veux qu'elle vaille la peine d'être vécue.

Elle parlait mais j'écoutais pas. J'avais la tête ailleurs, dans les étoiles. Celles qui brillaient dans les yeux d'Alaska, celles qui se reflétaient dans mon regard lorsque ma main caressait ses pommettes. Emporté par ce souvenir, mes pieds quittaient la terre, ils voulaient se rapprocher d'Alaska. Cette comète. Mais elle allait vite, trop vite, elle s'éloignait de moi et je perdais la tête. Une véritable étoile filante, sous mes yeux. J'avais pas le temps de faire un vœu que l'étoile s'en allait avec un autre mec. Tout tournait autour de moi, les corps étaient en mouvement mais je les voyais pas. Je les poussais, je voulais saisir cette comète. Ma main se tendait vers elle mais ne l'atteignait pas. La porte qui se referme, la lumière qui s'en va. Et moi, comme un con, sans ma putain de comète. Quand t'étais trop proche de moi je perdais la tête Laska mais, quand tu t'éloignais, c'était encore pire. J'étais supposé choisir quoi entre le feu et la glace ? Me brûler les ailes ou mourir gelé ? Je savais pas. Putain. J'étais pas venu pour me prendre la tête. Cette soirée était supposée être amusante, divertissante, elle devait pas me retourner le cerveau. « Il y a un problème ? » que l'inconnu me demandait. La ferme que j'avais envie de répondre. Mais je me taisais. Il y avait assez de dégâts pour ce soir. J'irais voir Alaska demain, avec mon sourire arrogant et ma belle gueule d'ange, je lui ferais la cour comme les anges chantent la sérénade. Ouais, voilà, c'était  bien ça. Comme ça je profiterais d'une autre femme ce soir. Mais est ce que j'en avais vraiment envie? Déglutissant je me retournais vers la jeune femme. « On va dehors ? J'ai besoin de prendre l'air. Puis je te montrerais les plus beaux endroits de New York ». Elle me souriait et je saisissais sa main avant de sortir. Mais je disais rien et c'était pas grave. Parce qu'elle faisait la conversation pour deux. Et surtout parce que j'en avais rien à foutre. En fait j'hésitais même à la planter là. Elle ne m'amusait plus, mon sourire avait disparu et mon regard se perdait dans les étoiles. Des vraies cette fois. Puis je pensais à toi Alaska. T'étais où ? Vraiment avec ce type ? Ou est-ce que t'avais juste fait ça pour me foutre la haine ? Je me posais pleins de questions, un peu trop. Et, d'un coup, je te voyais, appuyée contre un mur. « J'ai autre chose à faire finalement pour ce soir ». Je plaquais la femme pas loin de la boîte pour venir à toi, m'adossant à côté de toi sur le mur, les mains dans les poches. Je savais pas trop quoi dire. Je pensais surtout qu'il n'y avait rien à dire. Ta présence me suffisait amplement.