m o n s t e r s — leroi.

maman n'a pas su faire. elle a essayé, pourtant. mais le baby blues était trop fort. elle ne s'en est jamais remise — et tout ce que le gamin a pu faire, c'est compenser la faiblesse qu'elle manifestait à longueur de journées. trop tôt débrouillard. trop tôt usé des journées entières passé dans le lit à ses côtés. il a eu trop jeune l'instinct de vouloir la protéger. de réparer le tort qu'il lui avait causé, en sortant de ses entrailles comme il l'avait fait. mais ça n'a pas marché. ça n'a jamais marché. il avait dix ans quand maman s'est finalement suicidée. c'était presque un soulagement de ne plus la voir souffrir. une honte de ne pas su avoir l'aider. mais ils n'ont pas sombré, les dechart. malgré la tristesse, ils savaient que ça devait arriver. que la dépression était trop profonde, et ancrée en elle depuis bien trop d'année. maman n'a pas su s'occuper de son fils, mais elle a au moins essayé. pendant les périodes où le soleil la faisait sourire — à moins que ce ne soit l'inverse. rares éclipses de bonheur, dont il ne se souvient qu'à peine. mais il l'a aimée. au travers de tout ça, et à jamais.

papa s'est débrouillé. il avait ce qu'il fallait. malgré sa vie de hors-la-loi. malgré la responsabilité de ses deux gamins abandonnés par leurs mères — chacun à leur manière. il n'a pas mis toutes les chances de son côté, mais il n'en avait pas besoin pour bien les élever. les hell's ont été une famille pour les petits. une famille dont il les protégeait, tout en les laissant trop librement s'en approcher. ç'a paru naturel à leroi de suivre ses pas, quand il est sorti de l'armée. il ne pensait pas que ce serait à ce point-là. qu'il deviendrait responsable de la sécurité de la présidente, comme son père l'avait été pour celui de sarai. faut croire que les dechart avaient ça dans le sang. et tous ceux qui le verront le diront : c'est l'portrait craché du vieux ibrahim. nul doute qu'il crèvera pareil. sous les balles de la loyauté. pas celles qu'il aurait imaginées, quand le soleil chauffait.

maverick ne voulait plus respirer. mais il a continué. ç'a toujours été compliqué. les poumons fonctionnaient, mais l'esprit déraillait. les amis imaginaires qui ont persisté. les hallucinations sur lesquelles ibrahim et leroi n'avaient plus d'emprise. on a fini par lui proposer d'aller là où on pourrait l'aider — et il a accepté. enfermé de bon gré, durant de nombreuses années. quand papa s'est laissé emporter par les routes, que son oncle n'était plus là pour s'occuper de lui, et que leroi était parti à l'autre bout du monde. maverick n'était pas capable de s'occuper de lui-même, et il le savait. il a fait ce qu'il fallait pour ne pas être un poids. ne pas être une responsabilité. mais leroi lui a toujours écrit. et y a quelques années maintenant, maverick est sorti. sous médication, de tout temps. un boulot, et un petit appartement. il retourne en institution plus souvent qu'il ne le devrait, mais il s'est pris à apprécier la sécurité que ça lui procurait. c'est pas si mal, là-bas. leroi ne proteste jamais. leroi lui a dit, j'serai toujours là pour m'occuper d'toi si t'as besoin. les frangins dechart, on les connaît pour sourire. on les connaît pour dire, t'en fais pas, va. tout va bien. même quand ça ne va pas.

le soleil chauffait. et il chauffe toujours, dans les songes dont il se réveille trempé. chauffe sur sa nuque, et sur le canon mat de son fusil de précision. invisible. silencieux. le calme absolu et mesuré, malgré le danger. one shoot, one kill. ça les fout toujours sur le cul. même s'ils disparaissent, un à un. entre deux éclats de rire, entre deux traînées de tabasco dans les yeux pour rester éveillés au beau milieu d'une nuit de fumée. ils disparaissent. emportés par les mêmes balles que celles qu'il tire. celles pour lesquelles il est payé un salaire de misère, et la gratitude du pays entier. ils disparaissent. ne reviennent pas. visages arrachés, les membres détachés. le sang qui coule trop, les vies qui ont le temps de se voir crever. elles lui prennent des morceaux d'âme, quand elles s'éteignent. elles lui en ont pris jusqu'à ce que seul le minimum reste. jusqu'à ce qu'il ne soit plus capable de sourire sans avoir le vide au fond du coeur. le mensonge parfait au creux du rire. la nonchalance et la tranquillité pour cacher les tumultes de son esprit. de sa violence. de ce qu'il est.
rentré, avec des cicatrices faciles à cacher mais impossibles à effacer.
rentré.
pour de faux.
pour de vrai.

on n'en reviendra jamais. et on n'en a pas envie, aussi. parce que les hell's sont restés la famille. une famille qu'il a retrouvé en sortant de l'armée, après des années à rester au plus loin d'eux pour son dossier. les associations criminelles qu'il fallait éviter. il n'a même pas réfléchi. a rejoint leurs rangs avec son habituelle loyauté. il avait déjà la bécane, il avait déjà les principes. ça dans le sang. son professionnalisme et son intelligence pour compléter — son efficacité. son père a été fier de lui, même lorsqu'il l'a enterré. et aujourd'hui, sa place est de choix. sa marque, indéniable. l'instinct parfait pour protéger sarai. ou du moins, c'est ce qu'il croyait. les deux yeux ouverts, depuis que les balles ont inexplicablement volé. depuis que tout a dégénéré, et qu'la reine a une guibole qui flanche. le soldat maintient sa garde comme jamais. son attention décuplée. son sourire pour cacher le regard dévoreur de situations. le loup qui veille, derrière ses jappements heureux. veillera à en crever. les hell's sont tout ce qu'il a, désormais.

sa loyauté finira par le tuer.
question de temps, question d'instant.
mais c'est pas un secret.
et il ne fera rien pour l'empêcher.

les balles sont faites pour être tirées
pour tuer

les hommes pour mourir
la vie pour tourner
et on n'en reviendra jamais.