hot date (finose)

c’était trop. c’était trop demander qu’il se cherche gentiment une veste sans provoquer de catastrophe. elle aurait du s’en douter, elle le connaît assez bien pour ça. même la grand-mère de daisy le connaît assez pour savoir qu’il faut être prudent, quand on sollicite l’aide de fin. au point qu’elle lui demandait rarement de l’aide pour les corvées quand il était gosse - de toute façon il semblait toujours disparaître mystérieusement avant qu’elle ne soit sur le point de poser la question. ça avait le don d’énerver rose, qui le traquait dans toute la maison pour le forcer à faire le ménage avec elle.
et là encore, elle a presque fini avec son maquillage, elle est à deux doigts de crier victoire, mais fin gâche tout. dans un élan d’excitation qui traduit un empressement de lui montrer ses trouvailles, il bouscule la blonde et envoie la brosse à mascara qu’elle tenait minutieusement s’écraser au dessus de son œil, en plein sur son sourcil. rose se fige un instant, fixant son reflet dans le miroir avec horreur, qui lui donne maintenant l’impression qu’elle a un sourcil noir. elle dit rien, elle bouge pas, elle laisse le temps au brun de réaliser sa connerie.
mais si c’était que ça. parce qu’une fois qu’elle a repris le contrôle, une fois qu’elle a proprement calmé ses pulsions de meurtres, elle porte enfin attention au portable qu’il lui brandit sous le nez. et c’est ridicule à voir. c’est encore plus ridicule que le commentaire qui l’accompagne.
alors ça lui prend soudainement, comme une envie pas très raisonnable qui te traverse l’esprit, le genre de truc qu’elle peine à contrôler et qui arrive tout le temps quand fin joue avec ses nerfs. elle pose sa main dans sa palette de fard à paupières aux couleurs bien électriques ouverte à côté d’elle, elle s’en fout plein les doigts et elle vient l’écraser sur sa joue.
est-ce judicieux? non. est ce qu’elle vient de gâcher une palette qui lui a coûté une centaine de dollars? très certainement. est ce que ça vient retarder ses plans pour la journée? sans aucun doute. mais putain que ça fait du bien.
- tiens, sors du lot comme il faut, lui dit-elle, pour bien appuyer son geste.
elle est pas idiote rose, elle vient à peine de finir sa bêtise qu’elle a déjà bondi du canapé plus vite que si elle s’était assise sur un lego et qu’elle est partie se placer derrière, pour laisser une bonne distance entre elle et fin. elle a même placé une main devant elle machinalement, comme bouclier, pendant qu’elle porte son regard sur la veste immonde qu’il s’est amusé à choisir. parce que 90% du temps ce genre de conneries, ça finit en bagarre. elle compte plus le nombre de trucs qu’ils se sont mis dans la figure dans leur vie. elle lui a déjà lancé des pâtes, du vernis, des billes, des crayons, peut-être même des gens, quand elle voulait mettre de l’écart entre eux deux.
elle en profite un instant pour zoomer sur l’écran.
- non mais tu te fous de ma gueule, tu vas pas mettre ça... lui dit-elle d’un ton consterné.
elle revient en arrière pour avoir une vision d’ensemble du site, et pousse un soupir de soulagement en voyant qu’il a sélectionné d’autres pièces.
- la bordeaux est canon! la camel aussi. je les mets de côté, lui dit-elle, rayant automatiquement l’atrocité à sequins de la liste. il te faut quoi comme taille? demande-t-elle en relevant la tête vers lui, le bras toujours levé.
oui, parce que visiblement elle sait pas quelle taille de vêtement il porte fin, et ça la perturbe plus qu’elle ne le laisse paraître. elle connaît tout sur fin, tout. elle a des copies de tous ses papiers bordel, pourquoi elle se souvient plus de ce qu’il peut porter?

je la vois, la connerie arriver. je le sais qu'elle va pas tarder, vu la façon dont je gesticule, la façon dont je fais le con, cette façon que j'ai de faire qui arrive peut-être trop souvent et trop brusquement, en général quand j'en peux plus, d'attendre, quand je suis un peu trop excité, un peu trop de bonne humeur. un peu tout le temps, au final. alors elle s'approche à grands pas, la connerie, et elle tombe enfin, quand je bouscule sa main, que je vois son poignet partir en arrière, sa brosse à mascara glisser, et un gros pâté noir s'abattre sur son sourcil.
je le vois, son visage, à rose, qui ressemble plus à rien, et surtout, son air crispé, mécontent qu'elle ne tente même pas de dissimuler. je m'en rends compte, à cet instant, que c'était une assez grosse connerie, que je viens de faire, quand même. mais sa tête.. sa tête, putain. alors je me pince les lèvres plutôt fort, je tente de m'empêcher de sourire, mais ça dure pas longtemps, non. c'est plus fort que moi, j'éclate de rire, encore plus à la réaction face à la veste à sequins que je lui mets sous le nez.
j'suis fier, j'en suis fier de ma connerie. mais je fais un peu moins le fier quand je sens sa main poudrée s'écraser sur ma joue tout en largeur. mes yeux deviennent ronds, j'suis partagé entre l'envie de râler, et le rire qui veut reprendre sa place.
mais je l'ai bien cherché.
le temps que je me regarde dans son miroir, elle s'est levée et cachée dans un coin pour éviter les représailles, comme toujours, sa main levée comme si ça allait m'empêcher de faire quoi que ce soit. vengeur, j'attrape son fond de teint comme une arme et la vise, prêt à la pulvériser, un grand sourire gamin sur le visage, les yeux pétillants et rieurs.
- ben quoi, elle te plait pas, la veste?
non, elle me plait pas à moi non plus.
et le temps qu'elle observe les autres vestes, je m'approche furtivement et colle ma joue à la sienne, histoire d'étaler les couleurs sur nos deux visages. rose, franchement, quitte à recommencer ton maquillage, autant le recommencer en entier, non? franchement.
- t'es si beeeeelle comme ça, tu brilles de mille feux maintenant! et on est assortis, en plus!
je sais, je le sais pertinemment qu'elle va me tuer maintenant, c'est une certitude, y a plus l'ombre d'un doute, non. mais c'était trop tentant. et puis, c'est de sa faute, rose, elle le sait que je me venge à chaque fois, et en plus, j'y suis pour rien si elle a du mascara plein le sourcil, j'ai pas fait exprès de la bousculer. alors qu'elle, elle a fait exprès de me tartiner la joue.
je recule à nouveau, à peine capable de réaliser la proximité dont on vient de faire preuve, et je regarde mes épaules rapidement dans le miroir.
- j'dirais qu'il me faut.. du 50 ou du 52? ta veste, là, c'était du 48. donc, un truc du genre. j'pense.
vraiment, j'pense, hein. j'ai pas l'habitude de porter des vestes de costume, moi. ni des costumes tout court, d'ailleurs.

elle aurait pas du avoir confiance comme ça rose, avoir une confiance aveugle en ses capacités à tenir le brun à distance d'un revers de main. c'est pas une technique qui a vraiment fait ses preuves dans le passé, donc elle aurait du être plus prudente, mais la vision des deux autres vestes et la vague de soulagement qu'elle a ressenti en se disant non, fin n'a pas choisi qu'un modèle digne d'une soirée déguisée ringarde a suffit à la distraire. la distraire assez longtemps pour qu'il se rapproche d'elle furtivement et vienne se venger, prenant son visage à deux mains pour l'écraser contre le siens. elle a même pas le temps de comprendre ce qu'il fait que le drame est déjà arrivé, et la blonde tente de se débattre du mieux qu'elle peut en poussant de toute ses forces sur ses épaules. elle lui assène même un bon coup de pied, dans l'espoir que ça le fasse lâcher prise.
- non non non fin noooooon!! hurle-t-elle en gesticulant dans tous les sens. mais rien n'y fait, le brun ne recule que lorsqu'il l'a décidé et elle sait déjà que le mal est fait.
- putain, tu me saoules! se plaint la blonde en se sauvant à l'autre bout de la pièce, histoire d'éviter qu'il vienne en foutre ailleurs - sur sa robe par exemple. elle se frotte la joue du bout des doigts et pousse un long gémissement plaintif en voyant la quantité de bleu, rose et vert qui se dépose sur sa main. ça y est, c'est l'heure rose. c'est l'heure de bouder.
- t'as tout gâché, je vais devoir tout refaire, je vais être toute rouge à force! se plaint-elle en venant lui mettre le portable dans les mains un peu brutalement. tiens, mets les vestes de côté, c'est pas à moi de le faire. on va jamais avoir le temps de tout faire maintenant...
elle s'interrompt en apercevant son reflet dans le miroir, et celui du brun, juste à côté, s'étant placée là pour revenir à sa hauteur. ils ont des têtes à faire peur, et le pire c'est à quel point ça vient contraster avec leurs tenues super classes. on dirait des gosses qui ont eu la bonne idée de fouiller dans les affaires de leurs parents après quelques minutes laissés sans surveillance. elle a un petit mouvement qui la trahie au coin des lèvres, parce qu'elle peut pas s'en empêcher, parce qu'ils ont l'air absolument ridicules.
mais est ce qu'elle va lui donner satisfaction en le laissant voir que ses conneries arrivent quand même à lui arracher un sourire? certainement pas, il mérite six ans de souffrance pour ce qu'il a fait. donc elle se sauve dans la salle de bain, attache ses cheveux et se nettoie le visage avec une quantité copieuse de mousse. elle rapplique un soin et une crème, et ressort de la en vitesse, un set de brosses entre les mains.
- assieds-toi hossman, on fait tes cheveux, lui dit-elle d'un ton qui la fait sonner comme marla. parce que maintenant que j'ai la peau irritée faut que je fasse autre chose avant de me remaquiller.
elle lui appuie sur les épaules pour le forcer à se mettre dans le canapé, et s'occupe de brancher le sèche cheveux. la blonde passe se mouiller les mains dans la cuisine et revient pour les lui passer dans les cheveux.
- tu mériterais que je te fasse une coupe dégueulasse, marmonne-t-elle.
genre une banane de dix centimètres de haut. ou un mulet.  

moi, j’ai juste voulu rigoler un peu, m’amuser, comme un gamin qui ne pense à rien d’autre. et puis me venger un peu, aussi. parce que moi aussi, mon visage est tartiné de fard à paupières couleur arc-en-ciel. moi non plus, j’ressemble à rien. mais on est assortis, au moins. on est ridicules ensemble. on a toujours été ridicules ensemble, on a toujours tout été ensemble, tout fait ensemble, et j’me disais qu’aujourd’hui ne devait pas déroger à la règle. impossible, y a pas de raison, non.
mais rose, elle prend tout trop à cœur. elle est susceptible, elle est nerveuse, et elle se met à bouder maintenant. j’aurais dû m’en douter de ça, de la réaction qu’elle allait avoir. mais ça m’a pas traversé l’esprit sur l’instant, pas l’ombre d’une seconde.
alors j’suis un peu désemparé quand elle se met à râler, presque gueuler, qu’elle me donne le téléphone brusquement et m’envoie même bouler pour la veste.
et j’pourrais en faire de même, du coup. râler et me mettre à bouder moi aussi. mais si on boudait tous les deux, la soirée serait affreuse. alors j’me retiens.
je la laisse partir, je m’occupe de mettre les vestes de côté, les deux tailles pour les deux. j’ai absolument aucune idée de ce qu’il me faut.
- on aura le temps, rose, il est encore tôt.
détends-toi, un p’tit peu. juste un peu. on a vraiment largement le temps. et puis au pire, même si on arrive un peu en retard, qu’est-ce que ça ferait? personne ne va mourir pour autant, tu sais. et puis les meilleures personnes arrivent après l’heure prévue. les stars ne sont jamais en avance, tu devrais le savoir.
et ce soir, les stars, c’est nous.
mais tout ça, je me garde bien de le dire, parce que j’ai peur qu’elle me fasse encore une scène, sinon. qu’elle hurle, qu’elle dise que je fais chier, hossman.
on en est pas si loin, d’ailleurs, quand elle m’ordonne de m’asseoir. j’ai le mauvais sentiment d’entendre marla m’engueuler, la figure autoritaire que j’ai qui se rapproche le plus d’une mère. c’est flippant, de voir rose me parler comme ça, vraiment. alors j’obéis, sagement, je m’assieds là où elle me pousse. je me tais, je ne rechigne pas, je la laisse faire.
mais moi, je veux pas ressembler à un clown non plus, je veux pas une coupe de cheveux degueulasse, hein. alors je relève la tête doucement, pour lui faire des yeux de chien battu, que je ne tarde pas à baisser, d’ailleurs, piteux.
- j’suis désolé, rose, m’en veux pas.. j’pensais que tu comptais déjà refaire ton maquillage au complet par rapport à ton sourcil.. pardon.
vraiment, c’est la stricte vérité. j’pensais absolument pas à mal, moi.
je remets ma tête comme il faut, je regarde mes mains et la laisse me coiffer silencieusement. ou presque. je chuchote juste.
- puis, t’en as même pas besoin de tout ce maquillage.
t’es tellement jolie quoi qu’il arrive.

elle l'a à peine installé dans le canapé pour s'occuper de lui qu'elle l'entend déjà marmonner. on pourrait croire que vu la tête de la blonde et ses airs meurtriers il se serait retenu de dire quoi que ce soit pendant plusieurs minutes, parce que c'est ce qu'aurait fait toute personne dotée d'un minimum d'instinct de survie. mais fin il brille pas vraiment pour son instinct de survie, si c'était le cas il aurait simplement remercié rose pour l'avoir traîné de force faire des visites d'appartement. à la place il a traîné des pieds pour une bonne partie de la journée, apparemment insouciant de savoir qu'il se retrouverait bientôt à la rue s'il ne se trouvait pas un toit.
elle est prête à faire un meurtre avec le peigne qu'elle tient dans la main droite, prête à lui faire savoir que c'est tout sauf le bon moment pour essayer de lui tenir tête, mais à sa grande surprise lorsque le brun ouvre la bouche, c'est pour s'excuser. ça la surprend tellement qu'elle en baisse même les bras pendant un court instant, littéralement, elle baisse les bras et fixe la coiffure de fin d'un air un peu hébété, essayant de se rappeler ce qu'elle est sensée faire de ce bordel. ah oui, une coupe convenable.
les mots de son cobaye adoucissent la blonde et elle se met au travail en silence, préférant porter son attention sur la façon de présenter fin sous son meilleur jour plutôt que d'essayer de formuler une réponse à ses excuses. il s'excuse rarement fin, y a quelques années encore elle pouvait compter ses excuses sur les doigts d'une main. avec le temps ça s'est fait plus facilement pour eux deux, d'une part parce qu'ils ont pris l'habitude de le faire quand c'est vraiment nécessaire, et d'autre part car c'est devenu plus difficile de garder la tête haute sans rien dire quand ils constatent qu'ils ont fait souffrir l'autre. ça les amuse pas, ou du moins ça n'amuse pas rose.
elle s'efforce de donner une forme à ses cheveux, elle élève sa coupe et les rabat légèrement en arrière, organisant sa chevelure à l'aide d'un peigne fin, fixant le tout avec un peu -beaucoup- de laque. hors de question qu'elle coupe quoi que ce soit, elle a pas assez confiance en ses capacités pour ne pas faire de massacre. les seuls cheveux qu'elle sait couper c'est ceux de daisy, et c'est que les pointes - et encore ça c'était quand elles étaient gosses, et pauvres. maintenant que sa soeur peut se rendre chez le coiffeur sans problème, elle ne laisse plus la blonde s'approcher de son crâne.
la deuxième remarque, dite à voix basse, celle qui passe ses lèvres dans un chuchotement à peine audible, lui décroche un sourire qu'elle a beaucoup de mal à cacher. heureusement qu'elle se tient pas juste devant fin quand c'est le cas, parce qu'elle a pas envie qu'il voit l'effet que ça a sur elle, elle a pas envie qu'il voit à quel point c'est facile dans le fond, de l'adoucir avec quelques mots. mais c'est des mots auxquels elle s'attendait pas, c'est ceux qui dissimulent un petit compliment. c'est le genre de remarque que des gamins qui ont grandi ensemble ont pris soin de jamais se lancer à la légère, mais qui lui fait aussi réaliser, maintenant que c'est passé dans ses oreilles, qu'il y a une petite partie d'elle qui mourrait d'envie de l'entendre. et c'est stupide, que ça lui fasse autant plaisir, c'est si stupide qu'elle en viendrait presque à devoir se persuader qu'elle a mal entendu, si ça peut l'aider à redescendre du drôle de petit nuage sur lequel elle vient de se poser.
- comment ça se passe dans ton nouvel appart? t'as rencontré l'autre colocataire? enchaîne-t-elle donc après une petite toux discrète, gênée.
elle revient se placer devant le brun et fait deux pas en arrière, l'observant d'un petit air satisfait.
- alors là, c'est un chef d'oeuvre. ça te va trop bien, lui dit-elle en posant une main sur son épaule, pour lui faire faire face au miroir toujours placé en diagonale.
ça lui va vraiment bien, cette coupe, si bien qu'elle a du mal à détourner les yeux le temps qu'il s'admire.

j’ai bien vu à sa tête, qu’elle était loin d’être amusée de ce que je lui ai fait subir, rose. le problème souvent, c’est que quand on part à se chamailler comme ça, ça va toujours trop loin, trop vite et trop fort. moi, j’ai du mal à connaître la limite à ne pas dépasser, celle à laquelle je dois m’arrêter. et rose, elle se vexe vite, rapidement elle prend mal les choses et se met à râler ou bouder, voire même les deux. alors souvent, ça dégénère. comme aujourd’hui.
sauf qu’aujourd’hui, je vois que c’est pire. c’est pire, parce qu’elle est déjà stressée, peut-être même angoissée, de la soirée à venir. de ses collègues de boulot, de ses patrons, des grandes figures qui seront présentes. à ça s’ajoute mon manque de veste de costume. alors tout mis bout à bout avec son maquillage foiré, c’est trop. j’ai merdé. j’ai gravement merdé, alors des excuses s’imposent, piteux, le visage baissé.
son absence de réponse, le fait qu’elle se mette à me coiffer malgré tout, restent plutôt bons signes. alors j’me permets même une remarque, un compliment pas si caché que ça, qui me fait presque rougir jusqu’aux oreilles, du fait qu’il soit dit si sincèrement. mais chuchoté si bas, qu’elle a même pas dû l’entendre. de toute façon, même si elle l’avait entendu, qu’est-ce qu’elle aurait bien pu répondre à ça?
- ben.. ouais, ça se passe plutôt bien. je l’ai rencontré mais il est quasiment jamais là, il est étudiant j’crois, j’en sais rien.
puis, je m’en fiche un peu. le gars est assez spécial. suffisamment pour que je ne cherche pas particulièrement à me faire ami avec.
- j’ai installé toutes mes affaires, tu viendras?
toutes mes affaires, c’est à dire pas grand chose au final. un sac de vêtements dans le placard, mon enceinte portable, deux-trois photos de la bande, et un vieux cadeau d’anniversaire de rose qui trône sur le bureau. pas grand chose.
elle a fini de me coiffer alors je me tourne gentiment vers le miroir quand elle appuie sur mon épaule et observe attentivement, un sourire au coin des lèvres.
- c’est vraiment cool, rose. merci. j’devrais trouver une femme riche à épouser comme ça!
je me tourne à nouveau vers elle pour rire, fier de ma connerie, -comme si une femme riche allait vouloir de moi. et je la vois, rose, magnifique, qui ne me lâche pas du regard. je me retrouve comme envoûté, le léger sourire accroché aux lèvres, à observer son visage entier, et à me demander à la fois pourquoi je me mets à la trouver si belle, si attirante, et à la fois pourquoi il n’y a que depuis récemment que je la trouve si belle.
puis, pourquoi elle? ça devrait pas. c’est n’importe quoi.
probablement juste les hormones. ça fait trop longtemps que j’ai pas eu de fille dans mon lit, c’est tout. rien d’autre.

elle l'écoute lui raconter comment la vie se passe en colocation, non pas qu'il puisse vraiment rentrer dans les détails puisqu'il n'a pas l'air de porter grand intérêt au colocataire en question. mais c'est le genre d'information qui suffit à relaxer rose, parce qu'elle préfère largement qu'il vive avec un étudiant transparent plutôt qu'avec un énergumène comme celui auquel ils avaient eu affaire lors de leur première visite. tant qu'elle entend pas parler de drogues, tout va bien.
il s'admire dans le miroir et son sourire lui fait comprendre qu'il est content du résultat, chose qui fait plaisir à la blonde qui s'imaginait mal devoir le convaincre de se pointer à la soirée avec une coupe qu'il n'aime pas en plus d'une tenue qui le fait déjà grincer des dents.
la petite remarque, celle qu'il lui lance comme une simple blague pour accompagner les remerciements, la ramène brusquement plusieurs années en arrière. elle se voit encore avec le visage larmoyant, cachée derrière une rangée de casier dans les vestiaires des filles, en proie à une crise existentielle parce que son premier crush s'était moqué de ses vêtements trop grands. elle revoit fin, fin qui n'avait rien à foutre là, la retrouver et s'asseoir à côté d'elle, sans rien dire pendant plusieurs minutes, la laissant pleurer jusqu'à ce qu'elle ait épuisé toutes ses larmes. et puis, pour ce qui devait être l'une des premières fois, un comportement gentil envers la blonde, son instinct protecteur titillé alors qu'il voit dans quel état elle est. un brun féroce même, en lui disant que de toute façon ça servait à rien d'en pincer pour cet abruti, que l'amour c'est stupide. de ce constat banal était née une promesse de gosses, celle qui leur avait fait se jurer que s'ils n'avaient toujours trouvé personne à vingt-cinq ans, ils n'auraient qu'à se marier entre eux. parce que c'est normal, entre amis, faut bien se serrer les coudes.
elle sait pas pourquoi elle a pensé à ça, et plus particulièrement pourquoi elle y a pensé maintenant, alors que ça fait des années que leur promesse ne lui a pas traversé l'esprit. probablement parce qu'il vient de mentionner un mariage, et peut-être aussi parce que c'est la première fois qu'avec sa dégaine il aurait sa place dans une cérémonie. elle en sait rien rose, tout ce qu'elle sait c'est qu'elle est stressée et qu'avec la venue du brun elle était sensée souffler un coup après lui avoir délégué quelques tâches, mais à la place il est là, tout propre, avec son grand sourire et ses abdos, à parler de se marier et à dire que rose a pas besoin de se maquiller. et en quelques secondes elle se retrouve à prier pour qu'on lui rende le petit garçon aux cheveux en bataille et aux jeans troués, celui ne suscitait que des émotions bien plus simples et limpides.
des émotions qui lui évitent d'avoir recours aux grands moyens pour être noyées, le temps d'une soirée.
- oh, j'avais oublié, dit-elle en filant dans la cuisine.
elle sort une bouteille de champagne de son petit frigo, celle qui attend bien sagement depuis quelques jours et qu'elle réservait pour une grande occasion. et pour être sincère elle pensait pas l'ouvrir avant une éventuelle grosse soirée, mais l'occasion pourrait soudainement pas lui sembler plus belle. et puis de toute façon, c'est ça ou le valium que le docteur lui a prescrit quand elle faisait des crises d'angoisse y a deux ans.
le pop! d'une bouteille fraîchement ouverte retentit, celui qui fait savoir qu'elle s'est décidée, et que non, une petite coupe de champagne pour se détendre ne va certainement pas la tuer.
- tiens, lui dit-elle en rapprochant l'une des coupes du brun. à une soirée...
réussie? prometteuse? qui ne se termine pas par elle qui fait ses cartons lundi matin au bureau?
- non, à ton nouvel appart, puisse-t-il le garder plus de deux semaines s'il vous plaît.
elle trinque avec lui rapidement et en vide la moitié en trois longues gorgées.
elle prend ensuite la place que fin occupait quelques secondes plus tôt, bien décidée à terminer ce foutu maquillage avant qu'ils n'aient à partir.  

elle répond pas rose, à ma question, quand je lui demande si elle voudra bien venir voir, le visiter une seconde fois, cet appartement, maintenant que j’y ai plus ou moins fait mon nid. pourtant, je lui ai demandé avec fierté, même si c’était pas trop visible, probablement. la fierté de dire, putain, rose, t’as vu, j’arrive à m’y faire à cet appartement, même si j’en voulais pas, au début.
mais j’lui en veux pas trop. déjà, parce que j’arrive pas à lui en vouloir pour quelque chose d’aussi futile. et puis parce qu’elle est beaucoup trop en admiration devant mes cheveux pour lui faire une quelconque remarque. c’est son tour d’être fière, et elle l’a mérité.
putain, j’suis plutôt beau gosse moi, comme ça. j’ai beau râler, rechigner, je dois reconnaître qu’être âpreté comme ça, ça me plaît. ça me va bien. et qui sait, peut-être que je trouverais une belle demoiselle à qui faire mon numéro de charme, à qui voler son numéro de téléphone. quelqu’un pour accompagner mon bras ce soir, jusqu’à chez moi, quelqu’un pour m’éviter de rentrer seul.
quoi que. j’rentrerais pas seul, c’est certain. ce soir, je rentre avec rose, et au final, qui de mieux qu’elle pour me raccompagner après cette soirée? qui de mieux tout court? personne. personne ne dépasse rose. malheureusement, personne ne lui arrive même à la cheville.
et puis elle disparaît, subitement, parce qu’elle a oublié quelque chose. mais quoi? qu’est-ce qu’elle peut bien avoir oublié? à la limite, c’est moi qui aurait oublié quelque chose, à savoir des fleurs comme on offrirait normalement à un date. mais c’est pas un vrai date, pas vrai?
alors quand elle revient avec une bouteille de champagne, j’suis un peu surpris. vraiment? j’suis assez mitigé, quand même. à la fois amusé à l’idée de boire un coup avant de partir, -ça va probablement la détendre. et à la fois un peu stressé à l’idée qu’elle boive un coup justement avant de partir. t’es certaine que c’est une bonne idée? j’te connais, quand t’es pompette. c’est drôle, mais ça le sera peut-être pas pour ton patron.
j’attrape le verre qu’elle me tend, et la lève en attendant son toast.
et j’éclate de rire, alors que j’ai tenté d’avoir un visage un peu vexé. impossible.
- premièrement, t’abuses, j’en ai déjà gardé plus de deux semaines. deuxièmement, au pire, c’est toujours deux semaines de gagnées avec un toit.
voilà. argumentation terminée.
elle descend les trois quart de sa coupe d’un coup et j’me dis que je vais vraiment devoir la surveiller si elle se met en tête de boire, honnêtement. mais je la suis quand même. un quasi cul-sec. on va juste éviter qu’elle se serve à nouveau.
je la regarde s’installer à ma place, commencer à se maquiller, je l’observe attentivement avant de regarder l’heure.
- je.. vais essayer la veste tout seul ou je t’attends? parce que.. ben.. j’suis pas sur de pouvoir faire le bon choix sans toi.
du moins, pas un choix catastrophique.

la raison de son toast aura au moins le mérite de faire rire le brun, même si franchement, elle, elle n’en rigole qu’à moitié. parce qu’elle le connaît fin, et qu’ils pourraient très bien ne pas être très loins du compte en s’amusant du fait qu’il ne garde un toit que pour si peu. mais vu la journée éprouvante par laquelle ils avaient du passer pour tomber sur cette trouvaille, elle espère bien qu’il pourra y loger pour au moins trois mois. trois mois de répit, trois mois sans stress. le rêve.
- troisièmement, ce serait bien que ce soit bien plus que deux semaines. genre même, deux ans, dit-elle avec un petit sourire, donnant voix à ses pensées.
elle sent sa présence derrière lui pendant qu’elle s’attaque à la deuxième séance maquillage de la journée, elle le sent l’observer du coin de l’œil, sûrement partagé entre l’idée de faire des commentaires sur les grimaces qu’elle tire pour appliquer certains produits et l’envie de lui demander ce qu’il y a à faire, pour combler l’ennui. il choisit la deuxième option, lui demandant s’il devrait aller choisir la veste tout seul, et la blonde lui fait les gros yeux à travers le miroir.
- non, on va y aller ensemble, c’est sur le même chemin. tiens, tu peux commander un uber? lui dit-elle en faisant glisser son téléphone le long du canapé pour qu’il le prenne à nouveau.
elle a pas envie de s’embêter a conduire ce soir, ni même de demander à fin de faire son chauffeur, surtout s’ils décident de boire un verre ou deux. et puis quitte à être sur leur trente et un, autant le faire jusqu’au bout.
elle finit son maquillage le temps que le brun s’exécute, optant pour quelque chose d’assez discret, mettant un peu plus de couleur sur ses yeux qu’elle ne le fait habituellement. elle finit le tout avec un peu de gloss après avoir fini sa coupe de champagne, pour ne pas en mettre partout. puis, la blonde court chercher ses talons et son manteau qui l’attendaient sagement sur le lit.
- tadaaaaa! dit-elle en revenant dans le salon. enfin, elle est prête, ils ont réussi. il n’y a plus qu’à aller chercher cette foutue veste et ils auront survécu à la première partie de cette soirée. elle marque pas la pose trop longtemps pour s’éviter un commentaire désobligeant de fin, déjà parce que ses blagues seraient bien capables de lui faire remettre en question sa tenue entière, et ensuite parce qu’il y a d’autres choses dont elle devrait se soucier.
- il est là le uber? il arrive quand? t’as tes chaussures? on a tout pris? demande-t-elle en faisant le tour de la pièce. elle attrape sa pochette et s’apprête à ouvrir la porte, mais fait brusquement demi-tour. merde, ta cravate! dit-elle en allant récupérer l’accessoire qui a glissé au sol quelque part durant toute cette agitation.
elle se positionne devant fin et essaye de la lui placer autour du cou, s’engageant dans un travail qui semble aussi prometteur que la fois où elle a essayé de boucler les cheveux de marla - autrement dit, un échec. sauf qu’elle est têtue rose, un peu trop pour son bien.
- j’ai regardé une vidéo ce matin, normalement tu passes l’autre bout ici... dit-elle alors qu’elle tire un bout de langue pour mieux se concentrer.
non, ça ne marche pas. la blonde s’efforce de conserver son calme, pour ne pas tirer sur la pauvre cravate et d’un même mouvement briser la nuque de fin, et baisse donc les bras après quelques secondes supplémentaires de lutte, une moue mécontente sur le visage. elle relève les yeux vers fin.
- bon, de toute évidence je suis incapable de faire un noeud de cravate. on demandera à la boutique.
elle a même pas songé deux secondes au fait que fin savait peut-être la nouer, cette cravate, mais quand on sait l’énergie qu’il a mis à tenter de convaincre rose de ne pas en porter, ce serait plus qu’étonnant.