c'est quand même peut-être.

traits de caractère / Alice aux traits pudiques, faux airs de madone quand son sourire s'étale sur des lippes déchirées par la drogue. La névrose au bout des doigts constamment entortillés, comme pour calmer les démons qui grattent la porte de son myocarde brûlé par le temps, par les maux. Alice au rire trop bruyant, trop bancal, trop brisé, parfois. Alice à la grande gueule, elle parle pas bien, les propos souvent controversés à croire qu'elle voue une appétence étrange à s'attirer des ennuis, bornée comme son aïeule à ce qu'on dit. Alice au poing qui se lève, militante des opprimés, le majeur levé au patriarcat et aux clichés. Alice aux passions dévorantes, obsessionnelles parfois. Alice qui aime foutrement mal, c'est pas saint et toujours bancal, parce qu'elle a peur, elle a mal. Alice aux addictions périlleuses qui l'entraînent à se fracasser dans le mur sans même qu'elle ne s'en rende compte, lui bousillent la mémoire sans même qu'elle s'en souvienne. Alice qui dit qu'ça va malgré le poids des culpabilités lourdes à porter. Alice qui s'est résignée depuis longtemps à se cogner à une vie sans réelle douceur, hurlante de rancoeur. Mais Alice a la force d'un rocher, comme si jamais rien ne pouvait lui briser les rotules. Alice qui agace par son tempérament complexe, torturé et parfois cinglant, mais Alice qui intrigue par sa férocité, par la douceur de son malheur. Comme si ça la rendait plus belle.

Cinq ans. «Regarde Grand-mère, j’ai fait un dessin pour papa et maman quand ils reviendront me chercher.» Le sourire égayé sur les traits innocents, les sens éreintés mais le cœur bien en vie. Alice montre à sa grand-mère chaque figure apparaissant sur son dessin, de chaque personnes présentes au soleil dessiné malhabilement sur le coin supérieur gauche de la feuille, à la manière de tous les enfants. Elle est fière Alice au sourire terrible, elle veut montrer que ce n’est pas la tumeur qui l’empêchera de s’amuser, qui lui fera perdre pieds. Astrocytome anaplasique qu'ils disent, mais elle le retient jamais parce qu'il y a trop de lettres, alors elle préfère dire qu'elle a un bobo à l'intérieur du crâne. Cinq petites années et la force d’un rocher, elle a bien compris l’enjeu et la gravité de ce qui se passe dans cette chambre d’hôpital, à l’intérieur de son crâne. Un an que les médecins gravitent autour d’elle de toute leur gentillesse navrée, évoquent la maladie et ses 30% de chance de survie. Parfois elle se dit que si son cerveau ne va pas bien, c’est parce qu’elle a fait quelque chose de mal et qu’il ne faudrait peut-être pas qu’elle reste. Parfois elle se dit que si sa différence a fait fuir ses parents, alors personne ne l’aimera jamais. Et tu seras toujours seule, Alice. Parce que t’es pas normale.

Dix ans. «Dis Grand-mère, papa et maman viennent me voir quand ? Et puis pourquoi je peux pas aller en France moi ? T’as qu’à venir si tu veux pas rester toute seule.» Si jeune mais si triste, Alice. L’absence parentale comme dernier souvenir sur la peau, les traits qui s’effacent dans sa mémoire d’enfant. Ils laissent un goût d’échec dans le cœur de la gamine, pas assez parfaite pour qu’on l’accepte. La maladie n’est plus, cachée dans l’ombre de ses pensées, mais ils ne sont pas revenus comme si on ne réparait jamais quelque chose de cassé. Ce n’est pas terrible mais on lui répète qu’elle finira par les oublier, qu’elle a la chance de pouvoir compter sur sa mamie, même si elle n’est jamais vraiment là sinon dans ses souvenirs. Enfant précoce, elle nourrit ses rêveries dans la grande bibliothèque de sa grand-mère à défaut de parler aux gamins dans la rue. On lui répète qu’ils sont dangereux, qu’ils ne valent pas mieux qu’un bon récit et que lui, il ne lui causera jamais d’ennuis. Alors elle lit, elle rêve, elle prie, elle se dit qu’un jour elle vivra sa meilleure vie.

Quinze ans. «T’es pas ma mère ! J’fais ce que je veux.» Porte qui claque et l’amertume dans la gorge comme une odeur d’ammoniac, les poings vissés dans les poches de son sweat, on voit même plus sa crinière brune, dissimulée en chignon sous son bonnet de voleur. C’est plus la même, Alice au sourire troublant. Y’a quelque chose de terne dans son sourire, d’éteint. Quinze putains d’années, l’esprit hurle de révolte et les poings se fracassent. Résignée, elle a vu toute l’horreur du monde rien qu’en se baladant dans le quartier. À croire que c’est normal de voir un homme en sang dans le fond d’une ruelle, immobile, sûrement mort. C’est plus traumatisant depuis l’temps, elle a remarqué que la vie n’était pas un roman.  Alice a préféré troquer les mots idylliques contre les opiacés tueurs, les grands lui font confiance. Surtout lui. Le cœur dans la gorge, elle ne réfléchit pas quand elle fait glisser les pochetons plein de rêveries dans les casiers, au lycée. Quand elle offre sa peau et son âme à cet homme pour se sentir aimée, ça résonne encore de coups sur son épiderme pleine de bleus. promesse d'un amour toujours beau dans la violence.

Vingt-deux ans. Pénible, la gosse ne deviendra jamais grande, coincée dans une adulescence qui la trahi. Elle se fracasse aux gens qui l'entourent, se nourrit de la bienveillance des autres pour se sauver la peau, c'est comme ça qu'elle vit. Sangsue. Alice essaie de ne pas faire fuir les seules amies qui veulent encore bien d'elle, élude souvent les interrogatoires épineux pour pas les effrayer. Elles tiendraient pas le coup à la voir se plomber le crâne à coup d'hallucinogènes comme pour donner vie à ses démons. à croire qu'elle aime se faire du mal. À la fois hostile et attrayante, elle navigue entre les désirs et les problèmes, éprise de liberté dans chacune de ses décisions. Alice est un peu le stéréotype de la gamine à la dérive, un électron libre sans but à force de ne pas avoir su se construire. Mais elle demeure forte, l'audace dans les yeux quand elle lève son majeur à la vie, aux autres. Quand elle brandit son panneau de propagande devant les abattoirs ou tag les murs de ceux qui la maudissent.