cendres (muse)

T’ouvre un œil. Avant de le refermer aussitôt. Il fait déjà jour, depuis plusieurs heures déjà, tu le vois à travers les interstices des volets qui laissent entrer quelques filets de lumière. On frappe à la porte. On a déjà dû sonner, une fois, deux peut-être. Tu réponds pas, ça s’impatiente de l’autre côté du couloir. « Monsieur Saint-Clair… », tu reconnais l’accent latino de ta femme de ménage. Merde. Tu grognes, tentant de te relever, le dos coincé, le sol de ton appartement qui t’a servie de lit pour cette nuit. Encore une fois. Encore une fois la soirée s’est prolongé, seul avec ta solitude, des tableaux qui te rendent fou, de la peinture à peine sèche sur les mains, l’alcool dans le sang. L’estomac se retourne, t’attrape le premier objet qui s’offre à toi pour rendre ce que ton corps contient encore. Pas grand-chose. Des restes d’alcool surtout. Tu grimaces, tu râles en te redressant, te traîne jusqu’à la porte d’entrée ou la jeune femme s’impatiente. Elle te dévisage un court instant, elle a dû te penser mort, crevé, là sur le parquet de ton loft, entre les bouteilles et les clopes à peine consumé, à peine éteinte. Elle a dû penser que ça y est, tu y étais passé. Enfin. Elle a presque l'air déçu, te contourne pour entrer dans l’appartement en râlant dans une langue que tu ne comprends pas. Faudra que tu penses à l’augmenter, elle le mérite bien. Tu la laisses-la, dans le salon, ramassant les cadavres de bouteilles et les restes de vomi. T’en a même plus honte, et c’est surement le plus triste pour toi. Ta même plus honte qu’elle te voit comme ça, avec une mine affreuse, et une gueule de bois à se frapper le crâne contre les murs. Tu disparais dans la salle de bain, là ou le linge sale s’entasse, laisse une eau brûlante couler sur ta peau nue, comme pour expier tes péchés. Comme si ça pouvait t’aider, comme si tu pouvais y voir plus clair après ça, comme si tu pouvais aller mieux. C’est loin d’être le cas. T’es un cas perdu, irrécupérable. Tu finiras par te tuer, on te retrouvera gisant dans des restes de vodka et de régurgitation, le corps à moitié décomposé, vite oublier. On en parlera peut-être dans les journaux, le fils prodigue qui fou en l’air son avenir, se tue d’une overdose, d’un trop plein d’émotion. Ou d’une balle dans la tête. Certains l’ont fait. Pourquoi pas toi ? Pourquoi est-ce que tu ne serais pas capable d’appuyer sur la détente, de sauter dans le vide, d’en finir. T’y pense parfois, et puis trop lâche, trop égoïste, t’accepte pas que le monde puisse continuer sans toi. Tu sais pas combien de temps tu restes là, sous l’eau brûlante, assez longtemps pour que ta « bonne » trouve l’aspirateur et commence à le passer. T’enfile quelques fringues prises à la hâte, quitte l’appartement en lui demandant de fermer derrière toi. Elle grogne en Portugais, tu la salues. Faudra vraiment penser à l’augmenter. Tu traverses rapidement le quartier, retrouve le chemin de l’appartement. Tu sais pas tellement pourquoi tu fais ça, vous ne vous êtes pas parlé depuis un long moment, vous éloignant depuis l’accident, l’événement, le décès. T’ignore pourquoi le silence s’est imposé entre vous, peut-être parce qu’il était ce qui vous reliez, et qu’aujourd’hui ce lien n’existe plus. Alors pourquoi vouloir la voir aujourd’hui ? Pourquoi pensez à elle en cet instant ? tu l’ignores, suis tes ne pas guider par ton instinct, écrase un doigt sur l’interphone. Peut-être qu’elle ra pas là. Peut-être qu’elle sera absente. T’aurais simplement pu lui envoyer un message, une invitation à te rejoindre pour cette expo, mais tu ne fais jamais les choses simplement Roméo, tu fais jamais comme tout le monde.