illusions perdues. (Meg)

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{ illusions perdues }
crédit/ tumblr ☆ w/@Meg Arganza

Les jambes légèrement chancelantes, l’air étonnamment ravi sur le visage, c’est dans un état incontestablement déjà bien alcoolisé qu’Ella pénètre dans le troisième bar de sa soirée. Les deux premiers ne lui ont pas apporté le frisson attendu, ni le moindre intérêt. Toujours les mêmes habitués, les mêmes fêtards aussi paumés qu’elle qui ont tant besoin de se sentir vivant le temps d’une nuit. Peut-être en sera-t-il différemment dans celui qu’elle découvre pour la première fois. C’est l’une des choses qu’elle aime à New York. Elle a beau y vivre depuis toujours, la ville ne cessera jamais de la surprendre. Les nouveaux bars se multiplient, s’enchaînent, et disparaissent aussi vite qu’ils sont arrivés. Si nombreux qu’elle a le sentiment qu’elle trouvera toujours un nouveau lieu de débauches où combler tous ses manques. L’entaille laissée par un homme qui a décidé de s’en aller, le vide laissé par sa famille qui n’existe plus. Elle pense souvent à eux, Ella. Plus qu’elle ne le voudrait. Surtout quand elle est dans cet état, suffisamment éméché pour laisser les émotions remonter, mais pas assez pour les noyer complètement. Peu importe, elle arrivera bien à oublier ce vide. Elle y arrive tous les soirs. Il faut juste qu’elle recommence à chaque fois que l’alcool ne fait plus effet. Approchant du comptoir tant bien que mal, la sulfureuse brune se fraie un chemin parmi la foule pour arriver enfin à la hauteur du barman. Aussitôt installée, elle n’attend pas un instant pour voir un inconnu avancer jusqu’à elle et lui offrir un cocktail aux couleurs estivales. Pas vraiment son genre de boisson de prédilection mais elle l’accepte d’un sourire. Un verre gratuit, cela ne se refuse pas. Elle sirote son cocktail beaucoup trop sucré à son goût alors que, à côté, l’inconnu n’a visiblement pas compris qu’il lui a déjà apporté tout ce dont elle avait besoin. Les yeux obstinément posés sur le bar en face d’elle plutôt que sur lui, elle n’écoute pas un mot de tout ce qu’il peut bien lui raconter. Elle l’écoute encore moins lorsqu’une silhouette passe de l’autre côté du comptoir, pile dans son champ de vision. Ses lèvres s’entrouvrent de surprise, de choc, alors qu’elle ne sait pas si elle est en train de rêver ou non. Peut-être que sa Pina Colada est beaucoup plus dosée en alcool qu’elle ne le croyait. Mais non, il s’agit bien d’elle. Elle. Meg… Tout son cœur, pourtant obstinément éteint la majeure partie du temps, s’anime instantanément alors que des vagues d’émotions viennent la submerger. Il y a la stupéfaction de la revoir, oui, mais elle est aussi chamboulée, véritablement. Comme elle ne l’a pas été depuis longtemps. Comme elle ne l’a pas été depuis trop longtemps. Puis, il y a la curiosité, les doutes, la peur, l’excitation, et tant d’autres choses si contradictoires qui viennent la submerger. Meg, elle ne l’a pas vu depuis des années. Elle n’était qu’une jeune adolescente et là… Là, elle se retrouve face à une jeune femme. Elle est si belle, elle ressemble tant à sa mère… Le sentiment de culpabilité qui revient en elle, comme à chaque fois qu’elle pense à sa sœur, Ella le balaie cette fois. Elle le balaie parce que, à cet instant, la seule qui compte, c’est sa nièce qui se trouve là, à quelques pas d’elle, en train de préparer un de ces cocktails trop sucrés. – Tu devrais y aller mollo sur le sirop. lui conseille-t-elle, subitement, sans réfléchir, juste pour capter son attention. Loin d’être la meilleure approche lorsque l’on retrouve sa nièce après six longues années.

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— @ella gardner

L’agitation du bar occupe entièrement son esprit, et au fond, c’est bien pour cette raison, qu’elle continue son travail de serveuse. Pour cette raison, et pour pouvoir vivre, aussi. C’est son quotidien depuis des mois, des semaines, vivre comme un putain de robot, vivre comme un fantôme. Les rêves laissés de côté, les rêves oubliés, effacés par les tonnes d’antidépresseurs qu’elle avale. Incapable, même, de danser. La danse, son moteur, son étincelle depuis toujours, balayée par la souffrance. Balayer par le malheur. Par le drame. Les drames. Trop nombreux, trop violents. Elle ne danse plus, depuis qu’il n’est plus. Depuis qu’elle a perdu celui qu’elle aime. Depuis qu’elle s’est perdue, elle aussi. Morte, elle aussi. Au fond, c’est tout ce qu’elle voudrait. Elle aurait dû crever à sa place. Faire taire les voix qui se bousculent dans sa tête, chaque fois qu’elle ne prend pas ses cachets. T’es qu’un monstre, Meg. C’est ce qu’elles répètent, encore et encore. C’est ce qui la bousille, chaque jour un peu plus. La mort qu’elle porte sur elle. La mort qui la suit à la trace. Mais ici, au moins, elle n’entend rien. Rien du tout. Pas de voix. Pas de peine. Pas de douleur. Elle n’entend rien. Rien du tout. Sauf elle. Cette voix, beaucoup trop familière. Cette voix, disparue depuis trop d’années maintenant. Les yeux qui se relèvent, qui se perdent, sur elle. Sur son visage. Ella. Sa tante. Celle qui est partie, du jour au lendemain. Celle qui l’a abandonné, elle et son père. Ella, c’est tout ce qui te restait de ta mère, Meg. C’est tout ce que t’as toujours connu d’elle. Mais en la voyant, elle est comme perdue, sous le choc, incapable de ressentir quoi que ce soit. Incapable de penser. En réalité, elle ne réalise pas. Elle est comme un fantôme de plus, une ombre dans sa vie, oubliée. - T’en fais pas, je connais mon boulot. Qu’elle balance, à son tour. Qu’elle balance, sans savoir comment répondre, quoi répondre. Six ans, maintenant, qu’Ella s’est envolée. Six ans, maintenant, qu’elle ne fait plus partie de sa vie. Et c’est véritablement tout ce qu’elle trouve à lui dire. - J’te croyais portée disparue, mais je vois que tu t’amuses bien. C’est pas le moment. Pas le moment du tout de la voir revenir dans sa vie. Pas le moment du tout de chercher une quelconque explication. Dans tous les cas, si elle était encore dans ta vie, tu la repousserais, elle aussi, Meg. Et pourtant, elle a le cœur qui se serre. Malgré elle. Parce qu’il y a peu de personnes qui comptent sincèrement, peu de personnes qu’elle aime sincèrement, qu’elle laisse entrer. Et Ella, elle en faisait partie.

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Meg. Meg, son bébé. Elle ne peut pas croire qu’elle se retrouve réellement face à sa petite Meg. Elle ne devrait sans doute pas être si surprise car, après tout, elles vivent dans la même ville depuis toujours. Elle, Meg et… Djawny. La famille atypique qu’elle s’était trouvée lorsqu’elle avait choisi de quitter ses propres parents. Ils n’étaient pas une famille comme les autres, non. Mais, tous les deux, ils ont constitué la seule véritable famille qu’elle a connue. Ils ont été ses seuls piliers lorsqu’elle s’est retrouvée, si jeune, pratiquement à la rue. Ils ont été ses seuls soutiens quand elle a vu Morgan partir à la guerre sans se retourner. Ils ont été les seules personnes à n’jamais l’avoir abandonnée. Et il aura fallu que ce soit elle qui parte. Parce que c’est là tout le problème, Ella. Ils n’étaient pas ta famille. Ils étaient celle de ta sœur. Toi, t’étais juste la pièce rapportée qui a tenté de prendre la place de ton aînée décédée. Toi, t’as juste voulu voler sa famille à défaut d’en avoir une à toi. La culpabilité qui la ronge, Ella. Elle passe son temps à se jouer de toutes les personnes sur son passage. Mais eux, eux, ils sont les seules personnes qu’elle ne se pardonnera jamais d’avoir abandonnées. T’avais pourtant pas le choix. T’avais fait quelque chose de trop abominable pour rester. T’aurais juste été incapable de te regarder dans un miroir en continuant de côtoyer Djawny après la nuit que vous avez passée. Mais, Meg, elle n’y était pour rien. Elle n’était qu’une gamine dont la mère n’était déjà plus là. Et elle, aussi anticonformiste, aussi dingue soit-elle, elle sait qu’elle était devenue une sorte de figure maternelle. Mais, elle n’était que la tante de Meg. Que la belle-sœur de Djawny. Elle n’pouvait pas rester, elle n’pouvait pas prendre davantage la place de sa sœur auprès d’eux. Ou peut-être que c’est elle qui commençait à les aimer comme sa sœur était censée le faire. Confusion des sentiments, indécents, interdits, pour le père, elle a aussi dû sacrifier la fille. Elle est son plus grand regret, Meg. Et, quand elle la voit, là, si belle et si froide, elle se rend compte qu’elle n’a été qu’une putain d’égoïste. Ce qu’elle a toujours été, ce que la vie lui a appris à être. Mais pas avec Elle. Elle encaisse, Ella. Elle a même la jugeote de réaliser qu’elle n’a pas du tout eu la bonne approche avec elle, surtout pas après six ans. Elle ne sait juste pas comment s’y prendre. L’émotion qui la bouleverse, elle n’a plus l’habitude. Plus l’habitude de ressentir quoi que ce soit de pareil. Mais les mots de Meg viennent la secouer, la ramènent à la réalité. Six ans qu’elle doit se dire qu’elle l’a abandonnée. – J’suis désolée. C’était naze comme approche. Mais laquelle serait appropriée ? Laquelle pourrait l’aider à lui pardonner ces six années d’absence ? Elle se rapproche davantage du comptoir, Ella. Tentative désespérée de conserver l'attention de sa nièce quand tout en elle semble indiquer qu’elle n’a aucune envie de la lui donner. – Merde, Meg… Je suis tellement contente de te voir. À défaut que sa raison trouve les mots qu’elle devrait prononcer, elle laisse parler son cœur. Ce cœur qui n’a plus l’habitude de battre correctement.

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— @ella gardner

Elle n’a aucune idée de ce qu’elle est censée ressentir, Meg. Elle n’a aucune idée de ce qu’elle devrait dire, ou faire, dans cette situation qui lui semblait pourtant improbable quelques minutes plus tôt. Ella, elle n’est qu’un fantôme de plus qui semble vouloir trôner dans le présent. Ella, elle n’est qu’un fantôme, mais contrairement aux autres, c’est elle qui l’a blessé. C’est elle qui lui a fait mal, lorsqu’elle a disparu, du jour au lendemain. Elle sait, Meg. Elle sait qu’Ella n’est pas sa mère, qu’elle ne l’a jamais été et le sera certainement jamais. Mais à ses yeux, elle était tout ce qui aurait pu y ressembler, de près ou de loin. Elle est tout ce qui lui reste de celle qui l’a mise au monde. La seule qui lui parlait d’elle, lorsque son père n’en trouvait pas le courage. Parce qu’il t’en a toujours voulu, Meg. Il t’a toujours tenu pour responsable. Mais pas elle. Pas Ella. Et naïvement, elle a pensé qu’elle pourrait être un rempart, une protection, pour se sentir un peu mieux. Pour oublier l’évidence tragique. C’est pourtant la réalité qui est revenue bien trop vite, bien trop violemment, lorsqu’elle est partie, Ella. Lorsqu’elle l’a laissé, seule avec son père. Seule dans cette maison, bien trop silencieuse. Seule avec les souvenirs beaucoup trop douloureux. Au fond, maintenant, tu te dis qu’elle a eu raison, Meg. Tu te dis qu’elle a bien fait de s’en aller, parce que t’aurais fini par lui apporter uniquement du malheur, à elle aussi. Pourtant, ce soir, elle semble bien décidée à engager une discussion avec elle, peu importe comment, Ella. - Très naze. Qu’elle répond simplement, reprenant son boulot derrière le bar. Tout ce qu’elle souhaite, c’est la faire fuir. Qu’elle ne reste pas ici. Qu’elle ne reste pas à la regarder. Qu’elle ne voit pas toutes ces ombres derrière son épaule. Tout ce qu’elle veut, c’est qu’elle reprenne sa vie, exactement comme elle l’a vécue ces dernières années. - Pourquoi tu l’es ? Ça fait des années. Des années qu’elle n’ont plus rien en commun, toutes les deux. Plus rien, mis à part les liens du sang, et elle sait à quel point c’est futile, Meg. Elle sait que ceux qui l’ont le plus aimé ne sont pas sa famille. Elle sait qu’une famille, une vraie, se choisit. Et ce n’est pas Ella qui pourra dire le contraire, puisqu’elle a décidé de s’enfuir au pire moment. Laissant une adolescente complètement chamboulée, retournée, derrière elle.

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Elle surgit comme le fantôme d’un passé qu’elle n’était pas prête à retrouver. Une rencontre qu’Ella a tant de fois imaginée. Mais pas comme ça. Pas ici. Pas dans un bar, alors qu’elle est sous l’effet de substances pas vraiment autorisées. Pas par hasard, alors qu’elle a tant de fois voulu renouer. Sans en avoir jamais eu le courage, elle l’a pourtant espéré. Elle l’a voulu de toutes ses forces, de tout ce qui lui reste au fond de sa poitrine béante. C’est sans doute pour cette raison, peut-être aussi à cause de l’ecstasy avalée, qu’elle ne laisse pas la stupéfaction la submerger. Le choc de retrouver la nièce à laquelle elle a tant pensé fait déjà place au bonheur de l’avoir miraculeusement sous les yeux. Un bonheur qui n’est pas réciproque, à n’en point douter. Meg se montre froide, glaciale même. Aussi indifférente que si elle était une cliente lambda. C’est même pire encore car, à eux, elle leur sourit. Elle ne lui sourit pas, à elle. Et elle a raison. La diablesse a conscience du mal qu’elle lui a certainement fait. L’abandon immérité. L’incompréhension qui a dû la submerger. Mais ce ne sont pas les questions qui l’envahissent, c’est seulement cette ignorance. Comme si elle l’avait déjà rayée de sa vie. Pourtant, Ella, elle ne renonce pas. – Ça n’veut pas dire que je t’ai oubliée. Non, au contraire. Parce qu’elle aime convoiter ce qu’elle n’a pas, Ella, ce qu’elle n’a plus. Elle n’a jamais autant pensé à sa nièce que depuis qu’elle est partie. Mais elle n’est pas sûre que l’avouer l’aiderait à marquer des points. Toujours accoudée au bar, malgré l’insistance avec laquelle Meg tente de lui démontrer qu’elle se fiche de sa présence, la brune sulfureuse ne la quitte pas des yeux. Ce soir, personne d’autre n’aura plus son attention qu’elle. – Je sais que j’ai pas été vraiment présente ces dernières années… Mais je ne t’ai pas manqué, juste, un peu ? La maladresse incarnée à travers les mots qui s’échappent. Elle devine pourtant la rancœur déguisée derrière la froideur. Elle devine le mal dans son cœur. Peut-être que le problème, justement, c’est qu’elle n’imagine pas à quel point elle a pu lui manquer. Car elle n’a jamais vraiment manqué à personne. Elle ne peut simplement pas concevoir de compter suffisamment pour quelqu’un pour lui manquer, Ella. C’est peut-être toi qui as oublié, finalement, combien elle comptait sur toi, Meg. Combien elle s’était accrochée à toi, la gamine, autant que tu te raccrochais à elle.  

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— @ella gardner

Prétendre ne pas avoir imaginé retrouver Ella serait mentir. Elle a été, durant des années, la seule présence rassurante à ses côtés. Sa figure maternelle. Son modèle. Elle ne s’est jamais attardée sur aucun détail, Meg. Elle ne s’est jamais attardée sur la vie que menait la brune, ou sur ce qui l’a poussé à s’installer dans leurs vies. Tout qu’elle a toujours vu, elle, c’est la chance d’avoir une tante. Un dernier lien avec sa mère. C’est la chance d’avoir quelqu’un pour veiller sur elle et la conseiller lorsqu’elle en aurait besoin. Ce qu’elle n’a jamais pu trouver avec son père. Cet amour avorté. Cette relation qui n’a jamais existée. Avec Ella, elle a découvert tout autre chose. L’affection. Une vraie affection. Avec Ella, elle a pu imaginer, rien qu’un peu, ce que cela aurait pu être, d’avoir une mère. Mais elle est partie. Elle est partie subitement, arrachant cette relation au passage. Elle est partie, laissant une petite fille derrière elle. Mais t’es plus cette petite fille, Meg. T’es plus cette petite fille qui manquait cruellement d’une mère. Aujourd’hui t’es une femme, et tu n’en as surtout pas besoin. Surtout pas. C’est déjà trop tard, pour se préoccuper d’elle. C’est déjà trop tard, pour s’inquiéter d’elle. Elle est déjà tombée, trop loin, trop bas. Et si elle a été capable d’abandonner les personnes qu’elle aime le plus au monde, Lola, Nikki, Ren, Aquila, ce n’est pas pour accepter un quelconque retour dans sa vie aujourd’hui. Parce qu’au fond, tu l’aimes encore bien trop, Ella. Elle sera toujours une partie de toi, un membre à part entière de ta famille. Et c’est également pour cette raison que la rejeter lui semble être la meilleure des réponses. Parce que prendre le risque de l’aimer à nouveau, c’est prendre le risque de la perdre à nouveau. C’est prendre le risque de lui faire mal. - « Pas été vraiment présente » ? C’est ce que tu dirais pour qualifier ce que tu as fait ? Elle est d’un calme déconcertant, Meg. La petite latina au caractère de feu. Elle se contient pour faire bonne figure. Pour éviter toutes les vagues qui pourraient la faire remarquer, un peu plus que ce n’est déjà le cas. Elle n’est pas en bonne position pour essuyer un quelconque scandale, et encore moins sur son lieu de travail. - J’aurai plutôt employé le terme abandon, personnellement. Donc tu ferais mieux de continuer à vivre ta vie comme tu sais si bien le faire. Et sans elle. Puisque c’est visiblement mieux ainsi pour elle. Et au fond, elle n’a pas tort. Parce qu’elle n’est qu’une malédiction, Meg. Frappant toutes les personnes qui s’approchent d’un peu trop près d’elle.

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crédit/ tumblr ☆ w/@Meg Arganza

Retrouver Meg, c’est un cadeau inespéré. C’est l’espoir de pouvoir enfin renouer. C’est une nouvelle chance que la vie lui donne. Et des chances, Ella, elle n’en a pas beaucoup. Comme elle ne les provoque pas beaucoup. Elle se laisse aller, elle se complait dans sa vie vide de sens. Elle survit malgré l’absence des personnes qu’elle a trop aimées. Mais elle ne peut pas laisser passer une occasion pareille, pas avec Meg. Elle l’aime tant, Meg. Tant de choses qu’elle lui a enseignée, comme une grande sœur le ferait, comme une mère le ferait. Mais c’est sa nièce qui lui a le plus appris. C’est avec elle qu’elle a appris la douceur, Ella. La tendresse. L’affection à l’état brut, complète, sans tous les vices qu’elle connaît trop bien. Elle est la forme la plus pure de l’amour qu’elle a pu connaître. Si elle n’est partie, ce n’est pas pour la fuir, elle. Mais elle se sentait trop honteuse, trop brisée aussi, pour continuer l’illusion. Trop effrayée, aussi, de se dire qu’elle avait beau l’aimer de tout son cœur, elle ne méritait pas la place qu’elle lui avait accordé. Ce qu’elle a fini par prouver elle-même quand elle a choisi de s’éloigner. Quand elle l’a abandonnée.

Abandon.

Le mot la percute de plein fouet. Il est pourtant criant de vérité. Mais elle n’imaginait pas, elle ne savait pas. Elle ne pensait pas compter autant pour elle. Au fond, elle n’était que sa tante un peu dingue, celle qui leur expliquait, à elle et ses copines, comment embrasser un garçon. Comment faire un trait d’eye-liner. Comment échapper à la vigilance de leurs parents. Non, elle n’avait rien d’un modèle. Rien de bien traditionnelle. Alors, non, elle ne s’attend pas à un tel mot de la part de sa nièce. – Meg, arrête… Tu crois que tu ne m’as pas manqué ? Terriblement. Atrocement.  Mais c’était juste trop dur de la retrouver. Trop lâche pour y arriver. – Ça n’a rien à voir avec toi si… Si j’ai arrêté de venir. Ma vie… C’était un bordel. C’est… Toujours un bordel. lance-t-elle, les prunelles ancrées dans les siennes. Elle essaie de garder son attention. Elle qui a cessé de lui en donner depuis tout ce temps. C’est sans doute injuste mais elle ne peut pas la laisser filer, pas elle aussi. Pas Meg. – S’il-te-plaît, me repousse pas. Les années qui ont passé, elles n’ont rien changé. Meg et Djawny, ils seront toujours sa famille. Elle l’aime, Ella. Elle l’aime trop pour faire la même erreur une seconde fois.

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— @ella gardner

Manque. Elle ne sait que trop bien ce que c’est, le manque. Elle qui a manqué de tout. D’une mère. De l’amour d’un père. D’une stabilité familiale. D’une stabilité financière. Et maintenant, en manque de l’homme qu’elle aime. L’homme qu’elle aimait. Celui qui n’est plus. Et le souvenir qui reste. Le souvenir qui persiste. Qui s’agite, toujours un peu trop fort dans son esprit. La voix qui résonne encore au creux de son corps. Elle n’a jamais rien eu, Meg. Sauf ses amies, sa seconde famille. Et Ella. Ella, l’ancre inattendue de son existence. L’ancre qui s’était posée, lui offrant la présence supplémentaire dont elle avait tant besoin. Celle qui a finalement disparu. Aussi brutalement que soudainement. Elle sait ce que c’est, le manque. Alors l’entendre de sa bouche lui arrache simplement les organes. L’entendre de sa bouche, c’est tout ce qu’il aurait fallu à l’ancienne Meg pour littéralement retourner le comptoir. Mais t’es plus comme ça, maintenant. T’as plus cette fougue, t’as plus cette force. Ou, du moins, elle est bien cachée. Beaucoup trop bien enfouie sous la tonne de maux qui te rongent, Meg. A la place, il n’y a plus que ce regard. Vide. Vide de toute émotion. Vide de tout ressenti. - Oui, et bien ma vie à moi aussi c’est un bordel. Un bordel. Doux euphémisme. Sa vie n’est plus rien d’autre qu’un néant. Sa vie n’est plus rien du tout. Il n’y a plus de vie, il n’y a que survie. Il n’y a plus rien pour la reconnecter au monde. Rien. - Donc je préfèrerais que personne n’essaie d’y rentrer de nouveau. Personne, et surtout pas quelqu’un que t’aimes. Personne, et surtout pas quelqu’un que tu as tant aimé. Personne, et surtout pas Ella. Parce qu’au fond, elle n’est pas beaucoup plus fiable, Meg. Elle ne l’est plus. Plus depuis un certain nombre de semaines. Et pourquoi est-ce qu’elle voudrait la retrouver aujourd’hui ? Pourquoi est-ce qu’elle voudrait renouer ? Après tout ce temps. Après cette absence. - Qu’est-ce que tu veux, Ella ? La question qui flotte dans les airs. La question qui plombe l’air. Pourtant sérieuse, lourde de sens. Les regards qui se croisent. Et l’attente. L’attente interminable à cette simple question. Il n’y a plus rien à sauver. Plus rien à s’offrir. Ce qui était n’est plus. Les souvenirs restent, malgré ça. Les souvenirs restent dans l’esprit, dans le cœur. Mais les choses changent. Les choses évoluent, bien trop souvent négativement. Bien trop souvent mal, pour des femmes comme elles. Pour des gens comme eux. Pour les oubliés, ceux à qui la chance n’a jamais souri.

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{ illusions perdues }
crédit/ tumblr ☆ w/@Meg Arganza

Il y a quelque chose qui a changé chez Meg. Quelque chose qu’elle ne saurait comment décrire. Comme une lueur dans ses beaux yeux amande qui s’est éteinte. Comme la vie qui se serait éteinte. Elle la reconnaît, cette ombre dans le regard, Ella. Elle la reconnaît parce qu’elle a la même. Et Meg, elle ne l’avait pas avant. Même si elle n’avait pas une vie facile, même si elle était orpheline, elle avait les yeux qui brillaient. Les yeux qui ont toujours pétillé. Ou peut-être que c’est avec elle. Peut-être que c’est parce qu’elle ne la voit plus comme avant. Elle ne la voit plus comme sa tante adorée, seulement comme celle qui l’a délaissée. Celle qui l’a abandonnée. Mais l’impression persiste chez l’arnaqueuse. Plus consolidée encore par le discours de sa nièce. Pourquoi sa vie serait un bordel ? Pourquoi refuse-t-elle que quelqu’un y entre à nouveau ? Lui en veut-elle à ce point, Meg ? Ou y a-t-il autre chose ? Elle sait déceler la détresse chez les autres, Ella. Elle sait plus encore la déceler chez celle dont elle a pris soin durant plusieurs années. Elle a été prévenante avec elle, plus attentionnée, plus protectrice qu’elle n’aurait jamais pu s’en penser capable.

Avec elle, t’étais devenue la plus belle version de toi-même.

Elle est devenue quelqu’un de meilleur à ses côtés. Aux côtés d’elle et de Djawny. Comme une raison d’exister, des personnes à aimer. Des personnes qui l’aimaient, aussi. Mais il a fallu que tu gâches tout, Ella. Comme t’as toujours tout gâché. C’est peut-être trop tard pour se rattraper. Trop tard pour la soutenir et l’épauler. Seulement elle a besoin de comprendre. Besoin de savoir ce qui a bien pu se passer. Elle retient ses questions, difficilement, parce qu’elle ne peut pas s’immiscer dans sa vie. Pas maintenant. Ce qu’elle veut, c’est à nouveau en faire partie. – Je veux te retrouver. Je veux pas qu’on fasse comme si on était deux inconnues, comme si on ne se connaissait pas alors qu’on est là, l’une en face de l’autre. Elles sont de la même famille. Elle est, presque, sa seule famille. Elle ne peut pas tranquillement tourner les talons, récupérer son verre et reprendre sa soirée. Elle ne peut pas ignorer la présence de Meg alors qu’elle sait qu’elle est là, après tout ce temps. Elle sait qu’elle a peut-être une chance de la retrouver. – Putain, il t’es arrivé quoi, Meg ? qu’elle lui demande, finalement, sans prévenir. Sans tact ni délicatesse. Tout ce qu’elle voit, c’est qu’elle a changé, Meg. Elle est si calme, si tempérée. Trop pour que ce soit vrai. Elle a l’air sombre,  plus taciturne qu’elle ne l’était. Loin de la jeune fille débordante de vie. Elle te ressemble en fait, pour la première fois plus qu’à sa propre mère.

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— @ella gardner

Inconnues. Ella ne veut pas se comporter avec elle comme une inconnue. Elle ne veut pas faire semblant de ne pas la connaître, alors qu’elles sont là l’une face à l’autre. Mais peut-être qu’il est trop tard. Peut-être qu’il est bien trop tard pour qu’elles puissent retrouver ce lien si fort entre elles. Ce lien si beau. Et elle ne sait pas si c’est la déception, qui détruit tout. Si c’est cette rancœur de l’abandon. Cette famille qui s’est écroulée. Ou bien s’il s’agit d’elle, personnellement. Tu ne sais pas si ça vient de toi, Meg. Parce que peut-être que tu aurais été plus ouverte, si tu n’étais pas si bousillée. Peut-être que t’aurais pu comprendre, écouter, si elle était arrivée plus tôt. Peut-être que ce n’est simplement pas le bon moment. Au fond, elle est prête à tout pour ceux qu’elle aime, Meg. Ils sont peu, mais pour eux, elle donnerait sa vie. Ella en faisait partie. Ella en fait toujours partie. Mais elle a décidé de mettre une barrière entre elle et le monde. Entre elle et les personnes qui comptent le plus. Simplement pour ne pas les blesser, simplement pour ne pas les détruire. Elle s’est éloignée de tous, elle s’est éloignée de ses meilleurs amis, elle a abandonné Aquila, parce qu’elle va beaucoup trop mal pour être capable d’aider qui que ce soit. Pour être capable d’aimer qui que ce soit. - Si ce n’est que pour une soirée, Ella, ce n’est pas la peine de faire le moindre effort. Parce qu’elle disparaîtra de nouveau le lendemain. Si elle est partie alors qu’elle n’était qu’une adolescente qui avait besoin d’elle, elle partira de nouveau. Elle partira encore.
Et pourtant, elle lui pose cette question. Brutalement. Plus brutalement que jamais. Qu’est-ce qui t’es arrivé, Meg ? T’as perdu l’être aimé. T’as perdu tout ce qui comptait pour toi. Et elle ne sait même pas comment répondre. Elle ne sait même pas par où commencer. Ni même si elle en a envie. Est-ce qu’elle devrait s’étendre sur ses souffrances devant Ella ? Alors qu’elle s’en est allée il y a bien longtemps déjà ? - La vie a suivie son cours, et elle n’est pas toujours réjouissante. Ce n’est qu’un euphémisme. - Ne cherche pas, crois-moi. Parce qu’elle pourrait s’effondrer, à tout moment. Elle pourrait s’écrouler et elle n’a pas envie de le faire. Pas maintenant. Pas en plein travail. - Ecoute, je vais terminer mon service. Si tu veux vraiment parler, attends-moi. Elle prend sur elle. Grandement. Elle prend sur elle parce qu’elle n’a pas envie de le rejeter complètement. Elle n’a pas envie de gâcher définitivement tout ce qu’elles ont partagé.