enfers.

dire que tu traînais des pieds était un euphémisme. t'avais aucune envie d'être là. aucune envie d'effleurer de tes talons le sol en pierre et carrelage après avoir passé la grande porte en bois massif. il régnait ici une atmosphère qui te dérangeait presque. c'était la même chose, comme à chaque fois que ta mère te traînait ici. elle était forte, la mama sforza. forte de persuasion. à vingt-sept ans, tu n'avais toujours pas trouvé la force de te rebeller réellement contre elle, de lui dire d'aller se faire foutre et de laisser vivre comme tu l'entendais. ou plutôt de te laisser sombrer un peu plus encore comme tu le désirais. simplement parce qu'elle était ta mère, parce qu'elle était précieuse. parce que la famille, chez vous, malgré qu'elle soit légèrement pétée et exaspérante, c'était sacré. de vrais italiens. tes pas qui remontent l'allée bordée de bancs de bois, t'as le regard méfiant, jugeur qui se lève sur les vitraux saints alors que tu les entends chuchoter. ta mère qui te devance à ce prêtre. merci de la recevoir mon père. et tu n'écoutes déjà plus, les ignorant, soupirante et allant poser ton cul sur une chaise au premier rang. comme les autres fois où s'est arrivé, comme à chaque fois où t'as été trop gentille avec ta mère... vous savez bien qu'on va encore perdre notre temps tous les deux... tu grognes finalement quand ta mère va s'asseoir plus loin avec son chapelet et que le fameux prêtre t'a rejoint, s'installant une ou deux chaises plus loin de la tienne. c'est toujours la même rengaine, pareil que les autres fois où t'as bien daigné te pointer. ...mon père. tu rajoutes, grimaces, craches, te disant que c'est que de la connerie tout cela en croisant tes jambes et fixant l'autel fleuri. qu'une sacrée connerie cet endroit. cette croyance. bien sûr, tu respectes ceux qui la pratiquent, ceux qui y croient. mais c'est pas pour toi. le mec là-haut a jamais été là pour toi, c'est pas maintenant qu'il le sera. tu faisais ça, juste pour ta mère. juste pour lui faire plaisir. juste pour lui faire croire que tout va bien dans ta vie merdique.

Cette brave femme, Toby la connaissait depuis ses premières messes dans cette paroisse. Elle était venue, de nombreuses fois, avec sa fille. D'ailleurs, la jeune femme avait toujours été traînée de force dans ce lieu, et ne venait que pour avoir la paix, et sans doute par respect pour sa génitrice. Toby lui avait souvent expliqué que cela ne servait à rien de forcer les choses, que c'était toujours plus simple et plus magique lorsque chacun prenait son chemin et réfléchissait pour trouver lui-même la voie, bien guidée et éclairée par d'autres, mais rien y faisait. La brave italienne s'entêtaient à revenir encore et encore avec cet enfant rebelle. Bien sûr, Toby n'abandonnait pas, lui non plus. Nana n'était pas bien dans sa peau, c'était une évidence. Elle avait besoin d'aide.
Après avoir échangé quelques mots avec l'aînée Sforza, l'abbé vînt s'asseoir auprès de la fille. Elle l'accueillit à coup de grimaces, sur un air dédaigneux.Il ne s'en formalisa pas, il avait l'habitude.
"Si vous partez de cet axiome, c'est certain." déclara-t-il simplement, avant d'afficher un sourire. Sa mère lui avait raconté que sa fille se perdait dans une sorte de spirale infernale, spirale de détresse. "Comment allez-vous?" demanda-t-il ensuite sincèrement, et innocemment. Il connaissait la réponse, mais se demandait ce que Nana lui dirait. "Vous savez, de toute façon, on est bloqués ensemble un petit moment.." déclara-t-il, le regard complice en indiquant la mère qui les surveillait au loin, faisant mine de prier. "Alors, autant parler, non? Ca fait toujours du bien. Et ne vous inquiétez pas, je suis là juste pour écouter... Pas d'entourloupe!" indiqua-t-il en levant les mains en signe de paix, espérant ainsi détendre l'atmosphère.

tu croyais en rien à tout cela. à cette histoire d’être supérieur, d’être suprême qui veillait sur sa communauté de croyants. tu ne t’intéressais pas ou plus à ces histoires. si enfant t’avais pu suivre ta mère par qu’elle l’était, croyante, t’avais bien vite tracer ton propre chemin, cru en tes propres convictions. et quand le drame est arrivé, c’en était fini. de n’importe quelle religion, aucun homme au dessus de ta tête n’avait été là pour toi. aucune chose au dessus de ta personne n’avait été en mesure de sauver ton enfant. ou si cette chose existait, elle te l’avait enlevé.
tout cela, c’était de la pure connerie.
tout cela, c’était une putain de perte de temps.
t’avais pas que ça à foutre, d’être ici. t’avais un club à diriger, un club à rejoindre d’ici une heure pour régler les derniers détails avant cette nouvelle soirée qui s’annonçait. et parler à ce prêtre qui venait de s’installer non loin de toi n’était clairement pas une de tes premières envies.
“ça l’est.” certain, une évidence, vous allez perdre votre temps. il avait sans doute d’autres âmes à sauver, celles qui le désiraient vraiment, celles qui pouvaient l’être. pas comme la tienne. pas comme ton coeur. il ne pouvait rien pour toi. tes épaules qui se haussent à sa question, tes yeux dévient de l’autel pour se poser sur le mobilier de bois plus loin, sur le confessionnal où t’as toujours refusé d’entrer pour lui parler. tu veux bien poser tes fesses dans son église, parler de la pluie et du beau temps, mais certainement entrer dans l’isoloir clos et étroit. “bien. tout va pour le mieux. et vous ?” sourire ironique, beau mensonge, désolé qui que tu sois là-haut pour ce joli mensonge dans l’une de tes églises. puis finalement, t’as un soupir qui sort de tes lèvres, posant enfin ton regard sur lui. il te lance un regard complice alors que tu te penches légèrement en arrière pour effectivement capter ta mère qui fait semblant de prier avant de revenir à ta position initiale. “elle va pas se faire condamner par votre grand seigneur de faire semblant de prier et jouer les curieuses. c’est pas recommandé chez vous, n’est-ce pas ?” tu lances, sourcil relevé, répondant à sa lueur complice, sans réellement attendre de réponse, si ça peut t’éviter de parler de toi. ton corps qui se tourne légèrement vers lui, le coude sur la chaise. très bien, parlons monsieur le prêtre t’as le drôle de sourire qu'apparaît sur tes lèvres carmins. “comment vous êtes devenu prêtre au fait ?” tu balances pour faire la conversation mais pas seulement. ça t’intéresse de savoir comment et pourquoi un mec comme lui a décidé de faire ses voeux et de s’ordonner. et c’est pas une réponse sur les étapes de la formation sacerdotale que t’attends.

Nana était incisive, franche. Peut-être trop. Elle essayait de se montrer imbattable, droite et sereine, mais Toby ne pouvait qu'y voir l'éclat d'une fragilité cachée. Elle se forgeait une carapace, celle de la sceptique, sarcastique Nana. Le prêtre se contenta de sourire, avec bienveillance, comme il le faisait toujours, alors qu'elle lui indiquait explicitement qu'elle n'en avait rien à faire de ce qu'il pourrait dire, et qu'elle avait encore moins envie de discuter. "Tout va bien? Alors pourquoi ce regard perdu derrière un ait de défi?" demanda-t-il doucement, la regardant quelques longues secondes dans les yeux, dans l'espoir de la faire flancher. Mais notre trentenaire savait pertinemment que les choses ne seraient pas aussi simples. Que nenni. Nana avait un caractère flamboyant, et il ne voulait guère la brusquer. Si elle ne se prenait pas elle-même la décision de se libérer de tous les poids qui la retenaient au sol, il ne pourrait rien y faire. On ne forçait personne à se remettre en question, à s'ouvrir, à parler pour évacuer une douleur enfouie. Ce devait être un acte du coeur, du fond des tripes. "Sinon, moi, ça va." indiqua-t-il. Ce n'était pas tout à fait le cas, mais c'était bien loin d'être le sujet. Combien même la demoiselle voulait retourner la situation pour changer de sujet.
"Vous en faîtes pas pour ça. Elle veut juste que vous alliez bien, c'est tout." indiqua-t-il en guise de réponse à la question provocatrice de son interlocutrice. L'enfer, c'était juste l'absence de Dieu. Et la mère de Nana n'avait jamais rien fait qui pourrait justifier cela. Du moins, s'il s'en tenait à ses confessions.
Et voilà qu'elle retournait de nouveau le jeu en sa faveur. Une petite question, comme ça. La réponse serait clair et rapide. "C'était juste une évidence." répondit-il en affichant un sourire joueur. Pas totalement. Personne dans sa famille n'avait la Foi. Peut-être son père, un peu, suffisamment pour se rendre parfois à la messe. Et Toby, il avait juste eu la vocation, aussi claire que limpide. "Et vous, pourquoi cette barrière et ce sarcasme?" demanda notre jeune homme, la regardant dans les yeux. Il connaissait son histoire, évidemment, mais jamais elle n'avait voulu tout évacuer, se confier. Cela pourrait l'aider à avancer pourtant. Au moins un peu.

t’as le sourire faible mais pourtant bien ironique, bien généreux. il est fort, le prêtre. il est doué pour cela. doué pour t’emmener là sur ce chemin que tu ne veux pas prendre mais dont lui te tend la main. mais t’es pas capable de t’aventurer dans ce chemin dangereux, dans cette pente glissante. tu dirais que cette direction continuerait de t’emmener vers les enfers, alors qu’il est censé t’aider en te tirant vers le paradis, vers une paix dans ton esprit. et t’es pas prête pour cela. et tu ne le seras jamais. t’as le haussement d’épaules qui lui répond d’abord, puis le petit soupir qui s’entend avant que ne dédaigne lui répondre. “comme tous les êtres humains de cette terre j’imagine ? on a tous quelques petits soucis par ci, pas là.” tu mets ça sur le compte des soucis du quotidien, des trucs lambda, plutôt que de parler de ce qui te tue à petit feu depuis des années, plutôt que de parler de ce qui te tracasse depuis quelques semaines. t’as tout qui te revient en pleine gueule. et évidemment, pas de la plus bonne des manières.
et t’as un ptit rire alors que tu lèves les yeux au ciel. “elle en fait trop. ” toujours trop. la preuve ici. t’as rien à foutre dans cette église. c’est une stupide farce. une stupide incohérence de te voir toi dans une église. t’es pas une sainte. loin de l’être. mais tu fais ça pour elle. tu subis et subiras pendant une heure pour qu’elle te laisse tranquille au moins le temps de quelques mois.
c’est tout toi. totalement toi. retourner le jeu à ton avantage. parler des autres plutôt que de toi. mais faut dire que sa personne t’intéresse quelque peu. l’homme est charmant, l’homme aurait plutôt le profil de tombeur plutôt que d'abstinent. et tu te dis, en le regardant, en parcourant son visage de tes billes, qu’il doit certainement briser des coeurs. et sans aucun doute monter l’influence de l’église avec les mégères du coin. pensée qui te fait sourire davantage, qui t’amuse. “réellement ?” tu lances, les yeux que tu détournes pour continuer l’observation de l’église encore quelques secondes. jusqu’à ce qu’il te renvoie la balle. tes yeux retombent dans les siens, malicieux. “c’est juste une évidence.” tu répètes, sarcastique, avant que la lueur se transforme en quelque chose de bien plus sérieux. “à vrai dire, pour tout vous dire, mon père, je ne sais pas. c’est toujours en moi. depuis bien longtemps.” voilà ta première confession, voilà ce que tu veux bien lui avouer. que ça fait des années que t’es ainsi. des années que t’es devenue une autre personne. ou peut-être pas. t’es la même qu’avant mais en bien pire.

Il attendit sa réponse, sourire aux lèvres. Il arqua les sourcils, alors qu'elle lui parlait de petits soucis, par-ci par-là. Il connaissait sa vanité, Toby, cette force avec laquelle elle pensait qu'elle n'avait rien à faire là car elle était au-dessus de cela, qu'elle n'en avait pas besoin. "Ah oui? Je ne vous pensais pas femme à te noyer dans les petits soucis." indiqua-t-il alors malicieusement. C'était de la pure provocation, il devait l'avouer. Mais il avait tenté la gentillesse, et l'écoute passive. Rien à faire, avec Nana. Et quitte à rester longuement avec elle, autant essayer d'amorcer le dialogue, et autant le faire de façon différente, puisque tout le reste n'avait jamais fonctionné.
"Peut-être, mais c'est parce qu'elle s'inquiète pour vous. De plus en plus..." indiqua-t-il ensuite avec un sourire, à propos de la mère de Nana. Il était vrai que forcer la main de sa fille n'était certainement pas la solution la plus susceptible de fonctionner...Cela dit, la demoiselle avait l'air d'être du clan des personnes qui avaient justement besoin d'être poussés pour atteindre un but.
Voilà d'ailleurs, qu'elle tente de détourner l'attention, posant des questions sur le prêtre. Ce dernier ne se laissa guère déstabiliser, ne donna pas de détails. Il savait que s'il répondait avec sincérité, elle l'attraperait sur les mots, et l'emmènerait exactement là où elle le désirait... Alors, notre trentenaire bifurqua rapidement sur le sujet "Nana et son ton froid". "Longtemps?" demanda-t-il, devant le sarcasme de la brune. "C'est-à-dire, depuis quand exactement?" osa-t-il finalement demander. Elle voulait qu'on lui fonce dans le tas, alors il ne passerait plus par quatre chemins. En espérant qu'elle ne se braquerait pas.

les êtres humains sont pleins de surprises, mon père, vous devez le savoir mieux que quiconque, mieux que moi. ils sont sans importances ne vous inquiétiez pas. toujours tes mots qui appuient sur sa titulature, toujours ton ton malicieux, toujours une envie de rester vague sur les réels soucis qui peuplent ta vie depuis tant d’années. ils ne sont pas petits et tu sais très bien que le prêtre assis à tes côtés le sait. ta mère est une piplette, si tu te retrouves ici parfois dans l’année, c’est parce qu’il connaît ton histoire ou ses prémices. l’homme religieux connaît l’essentiel et non pas tes pensées les plus profondes. les plus sombres. et tu ne préfères pas argumenter au sujet de ta mère. tu le sais bien, qu’elle s’inquiète. la mama italienne s’est toujours inquiétée pour toi depuis le drame. c’est elle qui t’a forcé à suivre parfois ces stupides réunions. c’est elle qui parfois aimerait que tu lui parles un peu plus. c’est elle qui parfois te fait poser ton cul ici. et tu le fais pour qu’elle te foute la paix, pour qu’elle arrête de t’harceler, pour qu’elle arrêter te s’inquiéter pour toi et qu’elle s’occupe d’elle et de sa carrière qui fait du surplace depuis votre arrivée. ah, il est loin le rêve américain. elle n’est pas devenue une grande chanteuse de broadway et sa fille sombre année après année dans les tréfonds de l’enfer, de tes enfers.
et ça ne te surprend pas, qu’il saute sur l’occasion pour te cuisiner, comme un chien reniflant un os. t’as un reniflement alors que tu croises les bras contre ta poitrine, les yeux qui bifurquent vers lui. vous le savez bien cela.. tu continues de lui sourire de la même manière. depuis dix ans, presque onze, depuis qu’elle est morte. haussement de tes épaules, tu détournes les yeux encore, le chagrin qui te ronge, tout de même étonnée de toi-même de lui avoir donné ce qu’il voulait. une autre perche. une de tes vérités. t’es plus la même depuis la mort de ta fille. t’es brisée, perdue dans le passé avec l’impossibilité de revenir pleinement dans le présent. t’en es prisonnière. et ce n'est pas son Dieu que tu vas remercier, ni supplier de t'aider, de faire tout cela.

"Tu es sûre?" rétorqua-t-il alors qu'elle lui indiquait que ses soucis étaient sans importance. Il n'était pas dupe. Ils ne l'étaient pas. Au contraire, ils lui bouffaient la vie, et elle se refusait d'avancer tant qu'elle n'aurait pas battu ses idées sombres. Toby était évidemment au courant d'un nombre important de détails. A force de visites, la mama italienne lui avait tout raconté. Comment sa fille s'était construit sa propre tour de désespoir. Qu'elle s'était refusée de vivre. Et Toby le savait, que la cuisiner serait peut-être cruel... Mais il le devait. C'était ce qu'il avait promis à sa mère. Et puis, avec Nana, il n'y avait pas d'autre solution. Il devait la pousser dans ses retranchements. Tant qu'elle n'aurait pas dit les mots, elle n'avancerait pas, elle ne laisserait pas s'échapper cette partie sombre qui lui pourrissait inutilement l'existence.
Et finalement, elle lâcha le morceau. Toby hocha la tête et posa délicatement une main contre son épaule. C'était quelqu'un d'empathique et bien évidemment, ces mots lui brisaient le coeur. Il la voyait souffrir, du fond de son être, bien qu'elle ne le montrait pas. Il ne demanda pas davantage, il ne lui demanda pas d'expliciter. Cela, ce serait bien trop cruel. Cependant, il reprit la parole, doucement. "Mais pourquoi t'être enfermée dans une geôle?" demanda-t-il. Sa fille était morte, mais elle était en vie. "Tu t'es concentrée sur la porte fermée, tant d'années, alors que d'autres sont ouvertes. Mais tu ne veux pas les voir." ajouta-t-il finalement.

tu détestais cela, autant parler de ta vie fissurée que de te rendre compte qu’au fond, ça pouvait peut-être du bien de parler, de poser tes mots et de les sortir enfin à voix haute.
parce qu’il l’a fallu. haussement des tes épaules, c’est une évidence, ça coule de source. à la mort de ta fille, c’était une évidence, qui l’est toujours aujourd’hui. elle ne s’estompera jamais. la femme forte n’est qu’une imposteur. t’as peut-être réussi à jouer pendant dix ans le plus grand spectacle de ta vie à te faire passer pour la nana forte, qui a su se relever, auprès des inconnus, de ceux qui ne connaissent rien de ton passé. mais il n’en est rien. tu traînes ta carcasse depuis des années. t’es pas la femme forte, t’es la plus fragile des êtres. brisée à l’intérieur, réfugiée comme un animal blessé dans un coin. t’es juste forte pour jouer le jeu. forte pour t’enfoncer bien plus dans les abîmes. je les vois ces portes. bras croisés contre ta poitrine, tu tournes ton regard vers le prêtre. j’ai juste pas envie de les franchir. je suis bien où je suis. là où je dois être. ma fille est morte et je suis morte avec elle. confession poussée à l’homme, c’est une première pour toi, de le dire à voix haute. jpeux tout simplement pas avancer sans elle. t’es coincée en arrière, refuses d’avancer, de jouer ce qui pour toi serait égoïste. tu devrais, tu le sais. on te l’a bien trop de fois répété alors qu’aujourd’hui, tu devrais avoir une belle vie, mère célibataire, ou pas, tu serais heureuse rien que d’être avec ta fille de dix ans, bientôt onze. tu passes une main dans tes cheveux bruns, un soupir sur le bord des lèvres après une grande inspiration, volonté de virer les émotions qui pourraient te traverser. vous êtes fort hein ? jcomprends pourquoi ma mère vous aime bien. t’as un ptit rire, le clin d’oeil pour le bel homme qui a préféré consacrer son temps à Dieu et aux fidèles plutôt que de se trouver une vie de famille. quand t’y penses, il a de la chance, il ne sera jamais brisé par une femme, par la perte d’un de ses enfants.

Parce qu'il l'a fallu. Non, elle s'était inventé cela, et elle n'en sortait plus. Le deuil n'était pas fait, et elle ne parvenait pas à faire un pas en avant pour le faire. Le décès d'un proche était un moment triste, et il fallait le vivre comme tel. Beaucoup trouvaient que c'était une célébration, qu'il fallait célébrer la vie de la personne. Mais Toby pensait que c'était important de pleurer, de montrer sa tristesse. Car oui, perdre un proche est un moment très éprouvant dans la vie de chacun. Comme le prouvait à présent Nana, qui ne s'était pas relevé, malgré le temps qui avait filé. "Il faudrait que tu les franchisses, que tu voies ce qu'il y a derrière." déclara Toby, simplement, sur un ton assez neutre, tout en étant chaleureux."Parce que tu n'es pas morte. Tu dis que tu es morte, mais tu ne l'es pas. C'est juste un prétexte, une excuse pour ton immobilisme, pour ton surplace, pour éviter de te lancer, de profiter des cadeaux de la vie, car tu as peur. Tu as peur de perdre encore. Tu as peur et tu te mens à toi-même, ramenant tout à cet événement. Tu n'oublieras jamais. Non. Mais tu peux avancer. Il faut que tu t'en rendes compte. " continua-t-il. Il voulait la pousser à bout. Et ses mots étaient violents. Peut-être un peu trop. Peut-être parce qu'il en avait marre de batailler. Peut-être aussi parce qu'il était sous stress, à cause de ce qui lui arrivait récemment. "Je vais pas te dire que c'est facile, parce que ça ne l'est pas. Et c'est compréhensible que tu te sois plongé dans cet état. C'était ton enfant. Mais, à présent, il faut que tu vives. Penses-tu que tu fasses honneur à ta fille, en te morfondant ainsi?" demanda-t-il finalement. "Oui, c'est dur, mais tu as de le force en toi. Tu es là, aujourd'hui, c'en est la preuve." Il posa une main contre l'épaule de la demoiselle, affichant un sourire serein, avant de perdre un peu pied par rapport au clin qu'elle venait de lui balancer.