FLASHBACK. In case it is the last time. (Cassey)

✩ I will Always love you.

Son regard posé inlassablement vers son bébé, la jeune femme sourit. Elle lui sourit, et pourtant, à l’intérieur d’elle, son cœur est brisé. Elle appréhende tellement la fin de cette soirée, elle appréhende tellement de lui expliquer pourquoi elle a tenu à passer ce moment en sa compagnie. Et elle regrette, Cassey. Elle regrette de ne pas avoir organisé plus de dîners, elle regrette de ne pas avoir profité de sa fille plus souvent, quand elle en avait encore l’occasion. Car elle ne le sait pas encore, Arya, mais leurs vies à toutes les deux vont se bousculer ce soir. Elle a le cœur lourd, tellement lourd. Ce n’est pas son genre, au contraire, elle a toujours eu l’habitude de voir le bon côté des choses. C’est peut-être même cette facette de sa personnalité qui est à l’origine de tout. Elle n’a pas voulu voir que les choses empiraient. Elle a refusé de prendre la situation au sérieux. Elle s’est contentée de faire des promesses, encore et encore, à l’homme à qui elle doit de l’argent. Elle a cru qu’elle y arriverait… Parce que, c’est vrai quoi, elle rebondit toujours sur ses pattes. Mais peut-être qu’elle a eu trop confiance en elle alors qu’elle ne devrait pas. Alors qu’elle enchaîne les erreurs, Cassey. Peut-être que si elle était différente, elles n’en seraient pas là. Elles ne se sépareraient pas. Elle n’aurait pas à dire à sa fille de dix-neuf qu’elle préfère l’envoyer chez son oncle à l’autre bout du pays plutôt que de s’occuper d’elle. Bordel… Elle se demande comment elle va faire. Arya a l’air si heureuse ce soir. Elle sourit comme elle n’avait pas souri depuis si longtemps. Cela lui met du baume au cœur de la voir ainsi et, en même temps, cela le lui brise un peu plus de se dire qu’elle est si loin de s’attendre à ce qu’elle va lui annoncer. Si loin de s’attendre à ce que sa propre mère l’envoie ailleurs, loin d’elle. Mais la jolie blonde le sait, elle n’a pas le choix. Elle n’a pas d’autre choix si elle veut protéger sa fille. Arya, elle ferait n’importe quoi pour elle. Et c’est ce qu’elle a fait. N’importe quoi. Elle a tout fait pour la mettre dans les meilleures écoles, lui offrir la plus belle et plus grande maison. Lui offrir des cours de théâtre. Tout ce qui pourrait faire d’elle quelqu’un d’épanoui. Mais elle a fait des mauvais choix. Elle a été trop gourmande sans doute. Ce n’est pas surprenant, elle a toujours été excessive, Cassey. Elle a voulu lui donner tout et, en fin de compte, elle se retrouve avec des tonnes de dettes sans avoir aucune idée de la manière dont elle les paiera. Elle a tout essayé. Cela a marché pendant un temps. Mais lors de leur dernière rencontre, son créancier est devenu bien plus menaçant. Bien trop menaçant. Il a eu le temps de connaître sa vie, sa fille surtout. Et c’est à elle qu’il a affirmé qu’il s’en prendrait si elle continuait à le faire poireauter. Alors elle n’a pas hésité, Cassey. Elle a appelé son frère, ce frère qu’elle n’appelle vraiment pas assez, sauf quand elle en a trop besoin. Elle ne lui a pas dit la vérité, bien sûr que non, tout autant qu’elle ne la dira pas à Arya. Et tant pis si elle lui en veut  à mort, tant pis si elle la déteste. Elle préfère que sa fille la déteste plutôt qu’elle finisse dans un hôpital, ou pire, à cause d’elle. Il faut qu’elle lui dise. Elle doit lui dire. Mais, juste, pas tout de suite. Elle veut encore profiter du sourire de son bébé… Encore quelques minutes. Sourire parfait aux lèvres, la jeune femme attrape une frite avant de laisser échapper un petit rire aux paroles de sa fille. – Quelle alimentation je t’ai donnée... Ses mots sont prononcés avec humour, et pourtant, ils résonnent avec une certaine nostalgie. Déjà présente. – Quand tu étais petite et que tu étais malade, tu refusais absolument de manger quoi que ce soit. Rien, sauf des hamburgers. Je suis sûre que c’était un caprice en fait. Mais elle cédait… Elle a toujours craqué devant sa petite bouille. Elle aimerait tant pouvoir revenir à cette époque, Cassey.

✩ I will Always love you.

Prête à tout. C’est ce qu’elle a toujours été, Cassey. Elle est comme ça, depuis toujours, c’est dans sa nature. Quand elle désire quelque chose, elle n’abandonne jamais. Elle ne lâche pas l’affaire même si elle devrait, parfois, sans doute. C’est encore plus vrai quand il s’agit de sa fille. Pour elle, la jeune femme est prête à aller au bout de ses limites. Elle est capable du meilleur… Mais, aussi, du pire. C’est justement ce qu’elle a fait, le pire. Elle a enchaîné les erreurs, elle a cumulé les mauvais choix. Elle a pris des risques inconsidérés, uniquement pour rendre Arya heureuse. Et, en fin de compte, toutes ces décisions l’ont amenée dans une voie sans issue. Un chemin sans retour en arrière possible. Elles l’ont amenée à cette soirée, précisément, où elle va devoir dire à sa fille, à son bébé… Qu’elles vont devoir se dire au revoir toutes les deux. Bien sûr, ce n’est que provisoire. Il est hors de question pour Cassey d’abandonner celle qu’elle a mise au monde. Elle veut juste l’éloigner… Le temps que tout aille mieux. Le temps que sa situation se calme. Et, surtout, le temps qu’Arya ne soit plus en danger à cause d’elle. Mais elle ne pourra pas le comprendre, tout ça, sa mère en a bien conscience. Elle ne l’acceptera pas, elle le sait. Elle s’en rend d’autant plus compte lorsqu’elle voit le sourire lumineux sur le visage de poupée de sa fille. Cela fait une éternité qu’elle n’y a pas eu droit… A ce sourire. Et elle va devoir l’effacer alors qu’elle n’en a aucune envie, alors qu’elle sent déjà son cœur se briser. Mais elle évite d’y penser, pour le moment, elle veut povuoir en profiter encore un petit peu. Autant de secondes qu’elle vole à Arya qui n’imagine pas le mal qu’elle va lui faire d’ici quelques instants. Alors que la jeune fille se met à rire, Cassey lui sourit en retour avec tendresse. – C’était donc bien un caprice ! dit-elle d’une voix amusée, comme si elle levait le voile sur un immense secret. Mais le secret, c’est elle qui le détient entre ses mains. Prenant une inspiration, l’antiquaire tente de trouver le courage de se lancer enfin. C’est sans compter sur la voix fluette de sa fille qui lui affirme qu’elle est contente de passer cette soirée avec elle. Et son cœur qui se brise. Elle évite de montrer quoi que ce soit, elle lui sourit même un petit peu. – Je suis heureuse aussi, Arya. Elle doit sans doute songer aux tensions entre elle. Cassey, elle ne pense plus à leurs disputes. Les engueulades, les cris, les incompréhensions. Les fugues d’Arya, les serments qu’elle lui faisait, tout cela n’a plus aucune importance. Plus rien ne compte parce qu’elle se retrouve face à l’essentiel. Face à sa fille de dix-neuf ans qu’elle va devoir laisser partir… Contre son gré, contre leur gré à toutes les deux. – A vrai dire, j’ai… Une nouvelle à t’annoncer. Elle sent l’angoisse la submerger. Elle ne peut plus reculer. Mais elle essaie de montrer un visage neutre, avenant même, alors qu’elle reprend avec un faible sourire. – Il y a cet antiquaire célèbre en Nouvelle-Zélande qui va prendre sa retraite. Il veut assurer la succession et… Il m’a contactée. Je dois m’y rendre, et puis j’en profiterais pour farfouiller un peu l’autre côté du continent. Rien n’est vrai, tout est inventé. Mais elle sait mentir comme elle respire, Cassey. Elle aurait pu faire une bonne comédienne… Avoir mieux qu’un film ou deux à son actif… Si elle n’avait pas eu Arya. Arya qu’elle s’apprête à abandonner. – Je vais beaucoup bouger, je pense que ce n’est pas l’idéal pour toi… Alors j’ai parlé à ton oncle. Il est d’accord pour que tu ailles vivre avec lui, à New-York. Ça y est, c’est dit. Et elle ne le sait pas encore, Cassey, mais elle vient de briser définitivement leur relation déjà si fragile.

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Son sourire disparaît instantanénement. Son visage change, son regard aussi, comme si on lui annonçait la pire nouvelle qu’elle aurait pu entendre. Et elle n’est pas surprise, Cassey. Elle est en train de lui expliquer qu’elle va devoir quitter son école, ses amis, toute sa vie… Pour aller vivre dans une ville qu’elle ne connaît pas, avec un oncle qu’elle ne connaît plus. La jeune femme se rend bien compte de tout cela, mais elle néglige le plus important. Elle ne comprend pas que sa fille se sente abandonnée. Car, jamais, elle ne l’abandonnerait. Elles se retrouveront, c’est tellement évident qu’elles se retrouveront. Elle a juste besoin de régler sa situation avant, pas pour elle, mais pour Arya. Arya qui se lève, Arya qui prend ses distances. Elle sent déjà cette tension alors que son bébé s’éloigne d’elle pour l’accuser d’avoir orchestré cette soirée uniquement pour lui annoncer cette nouvelle… Et c’est peut-être bien ce qu’elle a fait, Cassey. Elle ne se souvient même pas de la dernière fois qu’elles ont partagé une véritable soirée, toutes les deux. Il y a eu son travail, il y a eu les sorties d’Arya à répétitions, et toutes les disputes qui en ont découlé… Comment aurait-elle pu savoir que la blondinette avait envie d’un tel moment avec sa mère ? – Arya, ne réagis pas comme ça, s’il-te-plaît. demande-t-elle, la voix un peu lasse, déjà. Elle ne veut pas se disputer avec elle… Car elle n’en a pas la force, elle ne l’a plus. Elles se sont suffisamment fait la guerre. Et elle a aussi ses propres problèmes, Cassey. Ceux qui, justement, la poussent à prendre une telle décision. Tout ce qu’elle voulait, ce soir, c’était profiter de sa fille avant qu’elles ne doivent se séparer. C’est loupé. Toujours assise sur sa chaise, elle la contemple sans dire un mot, la laissant lui balancer ses reproches. Si cela peut lui faire du bien… Elle s’y attendait. Toutefois, elle ne peut pas la laisser dire qu’elle en a simplement marre d’elle. – Mais tu sais que c’est faux, ça n’a rien à voir avec toi ! C’est pour mon travail, c’est tout ! Elle a dix-neuf ans, elle devrait le comprendre. Mais elle a toujours tellement tout cédé à sa fille que, peut-être, a-t-elle oublié de lui donner le sens de certaines valeurs. Finalement, la jeune femme se lève pour se rapprocher de sa fille. Elle saisit avec douceur sa main pour attirer son attention, pour plonger son regard dans le sien. – Vois le comme une chance pour toi, tu vas aller vivre à New-York, tu vas pouvoir repartir de zéro. Crois-moi, ça te fera plus de bien que rester ici toute seule. Et elle, elle sera là. Elle sera toujours là. Elle a seulement besoin de l’éloigner, juste quelques temps, mais elle sera toujours là pour elle.

✩ I will Always love you.

Elle ne le voit pas. Elle ne voit pas la peur panique de sa fille d’être encore rejetée, elle ne voit pas à quel point elle se sent abandonnée. Elle ne voit pas que, derrière toute cette rancœur et cette colère, se cache une petite fille qui ne demande que de l’amour. Elle ne le voit pas tout ça, Cassey. Elle ne la voit plus. Elle est sans doute à côté de la plaque, c’est vrai. Une mauvaise mère, peut-être bien aussi. Mais Arya, est-ce qu’elle la voit, elle ? Est-ce qu’elle se rend compte de tout ce qu’elle a fait pour elle ? Tout ce qu’elle a entrepris, de bon comme de mauvais, tout cela n’a toujours été que pour elle. Depuis vingt ans, tout ce qu’elle fait tourne uniquement autour d’Arya. Elle a tout sacrifié pour elle, absolument tout… Et c’est pour l’entendre lui dire qu’elle se décharge de son rôle de mère. Le coup est violent, plus douloureux que n’importe quel acte physique. – Tu n’as pas le droit de dire ça ! J’ai tout fait pour toi Arya ! Elle a travaillé dur, elle a fait en sorte de lui offrir, toute seule, ce qu’elle, elle a pu avoir durant son enfance grâce à ses deux parents. Elle a fait en sorte de jouer tous les rôles pour elle, celui d’une mère, celui d’un père, celui d’une grande sœur et même celui d’une meilleure amie. Elle a fait en sorte de lui donner de la stabilité, du confort, de l’amour mais aussi toutes les choses qu’elle a toujours désirées, toutes les choses pour lui offrir ses rêves sur un plateau. Et, même maintenant, ce n’est pas sa vie professionnelle qu’elle privilégie, bon sang. Ce n’est qu’elle, encore une fois, ce n’est qu’elle. Sa sécurité, sa vie tout entière. Elle veut juste la mettre à l’abri, bordel. – Mais tu crois que je travaille pour quoi, pour qui, Arya ? Cela la rend dingue, Cassey. Mais elle ne veut pas se disputer avec elle, pas encore. Alors elle tente de se calmer elle-même, car ce n’est pas Arya qui le fera. Elle se rapproche d’elle et saisit même sa main dans la sienne pour la garder près d’elle. Mais la jeune fille l’arrache brutalement, serrant le cœur de sa mère un peu plus. Elle l’aime tellement, Arya… Mais elle a l’impression que, quoi qu’elle fasse, elle le fait mal. Qu’elle ne sait pas s’y prendre avec elle, qu’elle ne sait plus. – Mais qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Tu ne peux pas me suivre là-bas, et je suis désolée Arya, mais il est hors de question que tu vives ici toute seule. Tu fais déjà assez de conneries comme ça. Et elle va trop loin, Cassey. Elle met les choses sur le dos de sa fille, car elle est incapable de les justifier autrement. Mais ce n’est pas à cause d’Arya, c’est tellement loin d’être sa faute. Seulement elle ne peut pas lui dire… Elle ne peut pas lui dire la vérité.