red eyes. (damen)

Ryn n'avait pas ce qu'on pouvait appeler une vie normale. Comme condamnée à la solitude et à l'errance à l'instant où elle a perdu son père, elle en est toujours au même point. Elle n'a pas évolué, en près de quinze ans. Au fond, elle est toujours l'adolescente perdue et écorchée par la vie, sans trop savoir comment elle finira. Elle ne remet plus en question le boulot qui la fait vivre depuis bien longtemps, comme si elle n'était bonne qu'à ça de toute façon. Y a certes ce petit job à la bibliothèque, mais il est plus là pour mettre du beurre dans les épinards qu'autre chose. Sur scène, son sourire ne laisse rien deviner. Elle n'est là que pour jouer la comédie, vendre du rêve à des hommes et à des femmes, en mal d'amour ou de fantasmes. Elle est convaincue que si elle était elle-même, elle ne leur plairait pas autant. Alors, elle se cache derrière le personnage qu'elle s'est créé au fil des années, parce que c'est ainsi que ça marche. Sa danse terminée, elle circule parmi les clients comme les danseuses doivent le faire parfois. Mais y en a un qui se montre bien trop insistant, sûrement l'alcool qui fait son effet. Ça arrive, de temps en temps, mais elle sait se faire respecter, Ryn. Elle repousse ses avances, parce qu'elle n'ira clairement pas plus loin. Le type continue, pourtant. Il pose ses mains où il ne devrait pas, et elle les remet à sa place rapidement. Il y a quand même des règles, et ce client n'a pas sa place ici. Elle s'éloigne alors, et repère son patron un peu plus loin. Il a bien souvent un œil sur ce qui se passe dans la salle, et il fait toujours en sorte que ses employés soient protégés. Elle s'entend plutôt bien avec lui, et il faut dire qu'elle a apprécié les changements apportés au club. Ce ne sont plus que des femmes qui se trémoussent, mais aussi des hommes, afin qu'il y en ait pour tous les goûts. « Damen. » dit-elle pour l’interpeller. Une fois qu'elle a son attention, elle lui désigne le type en question. « Le porc là-bas, il a mis ses mains où il n'aurait pas dû. » Elle l'informe, parce qu'il le fera sûrement sortir. C'est pour elle, comme pour ses collègues avec qui il fera probablement de nouveau la même chose.

Il y a des soirs où t’es obligé de rester dans ton bureau. Des soirs où, ensevelit sous les papiers, tu ne peux même pas profiter du spectacle qui se trouve hors de cette pièce qui t’est réservée. T’es humain après tout. T’aimes pouvoir te rincer l’oeil sur des employés bien trop doués - tes employés finement choisis pour leurs dons bien précis. Profiter du spectacle fait donc partie des plaisirs de ton métier ; des plaisirs que tu ne peux pas souvent t’offrir malgré tout. C’était différent ce soir, pourtant. Tu avais pris de l’avance dans la paperasse et tu pouvais enfin te payer le luxe de rester dans la grande salle du Mermaid, de parler avec les clients, de jeter un coup d’oeil sur tes danseurs. Tu pouvais jamais profiter à fond tout de même parce que de un, t’étais le patron - pas un simple client - et de deux… il fallait bien que tu restes concentré sur ton boulot. T’avais eu du mal au début. Quand t’avais hérité du Mermaid et que l’endroit te tenait pas encore autant à coeur, t’en avais chié. Voir les corps presque nus se déhancher, ça avait eu le don de t’enlever toute concentration sur autre chose. Mais avec le temps, t’avais mûri. T’avais appris à profiter, à apprécier les danses - et plus uniquement du point de vue d’un client - tout en restant professionnel. Putain, si ton père te voyait. S’il voyait que tu avais fait du Mermaid un endroit LGBT friendly, que tu avais mûri et que tu acceptais d’avoir certaines responsabilités… Tu penses pas qu’il y croirait une seule seconde.

Tu faisais tranquillement ta ronde, vérifiant que tout allait bien autant au bar que sur scène, que dans les coulisses lorsque tu remarques l’absence d’un agent de sécurité à l’intérieur. Tu fronces les sourcils. C’est anormal. Il devrait toujours y en avoir un, au cas où. Aussi, tu n’es pas tellement étonné lorsque la voix de Ryn parvint jusqu’à tes oreilles. « Damen. » Tu mets un point d’honneur à ce que les employés, surtout ceux de longue date, t’appellent par ton prénom. Après tout, vous avez le même âge, pour la plupart. « Le porc là-bas, il a mis ses mains où il n'aurait pas dû. » Tu arques un sourcil. « Gros porc de fils de pute. » que tu lâches sans filtre avant de glisser ta main dans ta poche arrière afin d’en sortir ton talkie walkie. Tu irais bien gérer le mec toi-même mais avec tes quarante kilos tout mouillé, tu sais que tu fais pas le poids. Du coup, tu laisses ta fierté de côté et tu préfères contacter l’un des agents en charge de la sécurité. C’est moins risqué. « Yen a un qui me vire le vieux chnoc en jean bleu, tee-shirt blanc et sourire pervers dans le coin Ouest ? » Quelques secondes s’écoulent et une voix répond à l'affirmative tandis que l’un des agents pénètre dans la salle en se dirigeant droit vers le mec en question. Tu finis par ranger ton gadget dans ta poche et reporter ton attention sur la jeune femme avec un sourire un peu figé. Ça a le don de t’énerver quand un client se croit tout permi comme ça. Ça a le don de te virer toute ta bonne humeur. « Ca va, toi ? » T’es quand même un peu inquiet. Tu sais qu’il l’a touchée mais tu ne sais pas à quel point. T’oses espérer que c’est pas trop, histoire qu’elle finisse pas traumatisée. Tu l’aimes bien Ryn. Ca te ferait chier.

A force de faire ce job, c'est comme si Ryn avait la vie de quelqu'un de lambda. Ce n'est pourtant pas anecdotique, de se déhancher sur une scène devant des inconnus, mais elle ne se pose plus de questions. Peut-être que ça joue, qu'elle se sent bien au Mermaid. Elle s'y sent encore mieux que du temps où c'était le père Rogers qui gérait. Elle se sent en sécurité, même si ça n'empêche pas certains gros lourds de vouloir la toucher alors qu'ils n'en ont pas le droit. On s'imagine que dans des lieux comme celui-ci, le client est roi et que le moindre de ses désirs doit être satisfait, mais ce n'est pas le cas. Et c'est bien pour cette raison qu'elle va jusqu'à Damen, qu'elle considère plus comme un ami que comme un patron désormais. Elle s'estime heureuse de pouvoir s'adresser à lui quand elle en a besoin, et sait que c'est loin d'être le cas partout. Elle en a fait des clubs, où les filles étaient plus des morceaux de viande sans âme qu'autre chose. Ici, c'est un peu différent. Au moins, il y en a pour tous les goûts et il y a parfois autant de femmes clientes que d'hommes. Elle lui parle alors, sachant que Damen n'hésitera pas à faire sortir celui qui a dépassé les limites imposées. C'est comme ça, mais lui n'a pas la carrure pour le faire tout seul. Puis il décide, on lui obéit. Ça l'énerve tout de suite, d'apprendre ça. Évidemment, il ne peut pas avoir les yeux partout tellement ça bouge ici. « J'aurais pas dit mieux... » souffle-t-elle, plus blasée qu'autre chose de ces comportements-là. Elle pourrait s'énerver, les taper toute seule, mais elle sait que ça pourrait lui coûter sa place. Elle n'est pas là pour casser la gueule des clients, même si parfois, elle échangerait bien sa place avec celle des vigiles. Rien que pour se défouler un peu. Évacuer cette colère qu'y a en elle... Tout de suite, il agit, et elle n'est pas surprise. Un des vigiles le sort immédiatement de la salle. Pas de négociation possible. Celui-là ne reviendra sûrement pas... Ils ont l'oeil pour ne pas laisser entrer ceux qui ont causé des problèmes. « Merci. » lui dit-elle finalement, avant qu'il ne lui demande comment elle va. Elle s'appuie un peu contre le mur pour soulager son dos qui souffre, à force d'être perchée sur des talons de quinze centimètres au moins. « Ouais ouais ça va. Ça me saoule juste qu'y en ait encore qui se croient tout permis alors que c'est bien écrit à l'entrée. Je suis pas leur pute non plus. » peste-t-elle. Ouais, elle retire ses vêtements, mais on touche avec les yeux. C'est tout. Elle ferait jamais ça en plus, elle a plus de fierté qu'on le croirait. Depuis que le type a osé poser ses mains là où il n'en avait pas le droit, elle n'arrive pas à décolérer. Tellement que de la vapeur pourrait sortir de ses oreilles comme dans les dessins animés. « Tu profites du spectacle toi, tranquille ? » qu'elle demande l'air de rien, histoire de parler d'autre chose pour essayer de ne pas s'énerver davantage.

Spoiler:

« J'aurais pas dit mieux… » Faut dire que pour le coup, t’es jurons sont justifiés. Mieux encore, ils collent parfaitement à la situation. Ça t’emmerde quand même d’avoir insulté la mère du gars. T’es certes sacrément vulgaire dans tes mots comme mecs, mais insulter les mamans… C’est pas le genre de truc que tu fais souvent. En général, ça sort tout seul quand t’es vraiment hors de toi, quand quelqu’un se comporte réellement comme un déchet au point de te faire sortir de tes gonds. « Merci. » Ton regard quitte la scène qui se déroule un peu plus loin, là où l’homme se fait joliment foutre dehors, pour se poser à nouveau sur la danseuse. Tu secoues doucement ton visage de gauche à droite, chassant de cette manière son remerciement. T’aimes pas qu’on te remercie pour ce genre de chose. Ça te donne l’impression de le faire pour avoir des compliments, des remerciements et des sourires alors que tu le fais juste parce que dans ces cas là t’es un être humain plutôt décent. « Me remercie pas, va. » que tu lâches avant d’hausser les épaules.

Ce qui t’intéresse plutôt toi, c’est de savoir si elle va bien, si l’autre con n’est pas allé bien trop loin au point qu’elle soit un peu choqué. Mais tu te dis que de toute manière, même une simple main aux fesses choquerait n’importe qui. T’imagines même pas comment tu te sentirais si l’un de ces vieux courtons affreux venaient poser sa main sur ton p’tit cul. Tu te foutrais sûrement dans la merde avec ton impulsivité. Du coup, t’as un élan de respect pour Ryn parce qu’elle lui a pas cassé la gueule, parce qu’elle n’a même pas essayé. Tu l’aurais fait, toi - et t’aurais sûrement fini par perdre la bataille. « Ouais ouais ça va. Ça me saoule juste qu'y en ait encore qui se croient tout permis alors que c'est bien écrit à l'entrée. Je suis pas leur pute non plus. » Tu hoches positivement ton visage. « Nope. Et quand bien même t’en serais une, il me semble bien que le consentement est tout de même requis dans ce cas. Genre tu paies avant de toucher, tu vois ? » Tes danseurs sont juste des danseurs - pour la plupart. T’es pas le genre de mec à aller jusqu’à t’occuper d’un réseaux de prostitués. T’as jamais rien eu contre la discipline, tu te dis même que tant que c’est ton choix de vivre ainsi, gagner des sous en baisant n’est pas une mauvaise idée. Mais merde. Même là, le consentement est obligatoire. Et on ne touche qu’avec les yeux. Merde. « Tu profites du spectacle toi, tranquille ? » Tu souris du coin des lèvres. Si tu avais pu matérialiser une auréole au dessus de ta tronche, tu l’aurais fait. « Je ne profite pas voyons. Ce serait pas professionnel. Disons que je vérifie que le travail est bien fait. » Ya ton regard et ton sourire qui contredisent parfaitement ce que tu viens de dire, signe de l’ironie totale de tes paroles. Et puis faut dire qu’Adam vient d’entrer en scène et que tu ne parviens pas à détacher ton regard de son corps. Tu finis par te racler la gorge. « Tu fumes, toi ? J’irais bien m’faire un joint. » Deux en un. Changer les idées de Ryn après l’épisode et t’empêcher toi de te transformer en une énorme flaque de bave. Tout le monde est gagnant.

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