l'hymne de la nuit (luna)

elle est comme un animal nocturne noa. comme une âme qui ne se plait qu'à naviguer à travers les ombres. si certain n'aime pas le noir et se sente immédiatement vulnérable dès que la lumière s'éteint sur le monde, noa n'en acquiert que plus de puissance encore. la nuit, c'est son univers. tel un chat qui y voit aussi bien qu'en plein jour. elle a fait ses armes sur le goudron, elle a usé le bitume de ses baskets dernière génération, elle a posé sa marque et ses empreintes partout où elle est passé. la plupart des habitants du quartier la connaissent de visage. d'autres savent d'où elle vient et combien elle déteste tout ce que sa famille représente. c'est sans doute pour ça qu'elle traine autant, pour vivre autre chose. alors elle déambule dans new york, la clope au bec. elle arpente ces rues et ruelles qu'elle connait comme sa poche. le queens, son terrain de jeu. parfois, elle lève les yeux vers le ciel et ceux-ci entrent en collision avec les étoiles. les seules qui lui apportent un semblant de luminosité dans l'obscurité. et au fil de ses pas, elle est attirée par un bruit inconnu mais qui lui signifie la présence d'un autre être. elle comprend instantanément qu'elle n'est plus seule noa. alors elle se dirige dans la direction d'où provient le mouvement et elle repère bien vite ce qui semble être une jeune femme qui s'escrime à embellir de couleurs une façade bien terne. sans qu'elle ne le sente venir, il y a ce sourire qui prend place sur ses lèvres. ça lui fait du bien de voir quelque chose qu'elle aime. c'est son style ce genre d'art, elle aimerait presque s'y essayer et aller prêter mains fortes à l'individu déjà sur place. seulement, elle n'y connait rien. pour l'heure, elle se cantonne aux feuilles de papier et c'est déjà bien suffisant. chacun ses habitudes, chacun ses facilités. sans un bruit, elle s'approche encore davantage prenant le temps d'observer sous tous les angles le dessin qui commence à prendre forme. elle est impressionnée la jeune wilson, elle ne peut pas dire que c'est mauvais, c'est même très réussi. et elle se surprend à penser qu'un jour, ce serait peut-être elle à la place de cette fille. c'est d'ailleurs seulement à cet instant qu'elle fronce des sourcils en croyant reconnaître les traits d'un visage de son passé. un passé étudiant qu'elle ne regrettait pas un jour que dieu faisait. voyez-vous ça ! qui aurait cru que la reine du lycée se lancerait dans le street art ? elle ironise noa, parce que c'était beaucoup trop tentant. elle revoie encore aisément luna et ses talons, luna et son rouge à lèvres, luna et le dernier sac à la mode. et tous ses mecs la queue entre les jambes qui ne rêvaient que de l'avoir à leurs bras. elle en avait rit tellement elle trouvait ça pathétique à l'époque. alors elle ne comprenait pas ce que la vie avait fait de cette personne. celle-là même qui semblait bien trop attachée à tout son matériel, reine-mère de la superficialité. belle évolution de carrière. ça, c'était plutôt véridique. si elle avait laissé tomber l'ancienne elle pour devenir une artiste des rues, ça correspondait bien plus à ce que la brune appréciait chez les gens. elle ne moufte plus, en attendant une réponse. en attendant de savoir, de comprendre de quoi il en retournait. mais elle trépignait déjà parce qu'elle avait des choses à dire. et la langue toujours bien trop pendue.

la nuit la berce de son rideau noir. et elle n'a pas peur noa, là ou d'autres se dépêchaient pour retrouver un rai de lumière et la sécurité de quatre murs. l'air extérieur et la liberté qui l'entoure, elle ne connait rien de plus vivifiant. elle n'est définitivement pas de ces princesses qui se plaisent à être coincée en haut d'une tour. elle n'est que rarement à la maison et ça lui vaut bien des soufflantes. pourtant, elle n'y peut rien si sa vie se résume à ça. l'impression de tout pouvoir faire, que rien ne peut l'arrêter la nuit, ça la stimule plus que toute autre chose. et elle s'intéresse à tout noa. quand elle comprend qu'elle n'est pas la seule dans le coin, elle n'hésite pas une seconde à aller chercher d'où vient le bruit. la compagnie nocturne n'était-elle pas la meilleure des compagnies ? ses pas la mènent là où tout se passe, là où d'abord une ombre se prend pour une artiste jusqu'à ce que les traits d'un visage pas si inconnu que cela se précisent. finalement, c'était peut-être pas la meilleure personne sur laquelle tomber. il fut une époque où elle avait connu luna et on ne pouvait pas dire que leurs rapports s'étaient révélés positifs. c'était même tout le contraire. l'électricité avait toujours été présente entre ces deux-là. deux âmes et deux personnalités tellement incompatibles que ça ne pouvait que faire jaillir des étincelles dès qu'elles entraient en collision. et apparemment, rien n'avait changé, le temps n'y avait rien fait. parce qu'elle a déjà les remarques acerbes qui lui démangent la langue. elle ne demande qu'à laisser éclater toute l'acidité qu'elle lui inspire cette poupée parfaite. pourtant, elle se retient encore, dans l'attente d'une riposte de son interlocutrice. parce que les oppositions, c'était ce qu'elle préférait noa. la jeune demoiselle ne pipe pas mot, réduisant à néant les aspirations de la mécanicienne. il en fallait visiblement plus pour déclencher le volcan en face d'elle. pour qu'enfin elles puissent se dresser l'une face à l'autre et démarrer les hostilités. comme elle ne peut pas se résoudre à battre en retraite, elle en rajoute une couche noa. peut-être qu'à force, elle finira par être piquée luna et là, elle se réveillera pour de bon. tes parents savent comment tu occupes ton temps désormais ? elle l'interroge du regard autant que de la voix, c'est sarcastique. j'espère que tu t'aies jamais fait pincer, ça ferait mauvais genre pour une fille comme toi. pour une fille comme elle, autrement dit une pimbêche, qui doit toujours se mettre en avant, qui se croit toujours supérieure au reste du monde. t'as besoin de te rebeller pour te venger de tout ce que t'as pas fait quand t'étais plus jeune ? fais gaffe, les flics pourraient faire une ronde, ça leur arrive parfois. ce n'était pas tout à fait faux, mais elle n'en savait fichtrement rien. elle voulait juste la faire paniquer, la rendre nerveuse pour avoir le dessus sur elle. pour lui montrer qu'elle n'avait aucune ascendance sur elle, même aujourd'hui. elle la ferait redescendre de son perchoir avec un plaisir non dissimulé. s'approchant doucement, elle essaie d'émettre un avis sur la réalisation de luna. le mur ne s'en porterait que mieux après tout, la ville adopterait un style bien plus underground et ça lui siérait à merveille. c'est pas mal. elle dit en haussant les épaules. elle n'était pas forcément prête à lui lancer des fleurs plus que de raison, elle ne le méritait pas tant que ça.

alors que ses balades nocturnes s'avéraient souvent solitaires, les choses changeaient ce soir-là. elle n'avait pas prévu ce déroulement des évènements noa, elle n'avait même pas prévu de s'avancer et de s'annoncer face à la deuxième âme qui s'était perdue dans les tréfonds de la nuit. habituellement, elle restait en retrait, observant de loin ceux qui s'exprimaient sur les murs de la ville. préférant ne pas briser leur bulle et laisser libre court à leur imagination sans se sentir bridé par un regard extérieur. pourtant, tout cela, c'est sans compter sur la personne qui offre son art à cet instant même. parce que ce n'est pas n'importe qui. ou peut-être bien que si en fait, parce qu'elle se fiche complètement de cette peste. mais l'envie de lui faire ravaler ses petites manies de princesse impeccable est bien plus forte que le reste. cette fille-là, elle ne l'attendait pas ici. elle n'aurait jamais imaginé qu'elle puisse aimer se livrer comme ça, encore moins qu'elle serait douée. ça lui arrache un peu la gueule de le penser mais sa franchise n'a pas de limites. ce n'était pas parce qu'elle lui accordait ce maigre compliment qu'elle en devenait pour autant une fervente défenseure de mademoiselle bloed. elle ne l'avait jamais porté dans son coeur et ça ne commencerait pas aujourd'hui, certainement pas maintenant qu'elle n'avait plus à la supporter quotidiennement dans une salle de classe. et dieu merci. les circonstances de la vie sont plutôt bizarre, pour l'avoir placée sur son chemin. alors trop contente de se trouver une partenaire de jeu, elle se lance déjà dans les piques brillamment orchestrés. d'ailleurs, elle fatigue un peu toute seule noa, tant la deuxième met un temps fou à réagir. elle a besoin d'action, de répondant, de quelqu'un à sa hauteur. et pour l'heure, luna se rapproche bien plus d'une petite chose fragile qui s'écrase en attendant que le grand méchant loup s'essouffle avant elle et se tire sans demander son reste. sauf que ce n'est pas noa que de céder la victoire aussi facilement. et il semblerait que la jeune artiste réagisse enfin. comme quoi si l'on se donnait la peine d'attendre un peu, on pouvait toujours tirer quelque chose de n'importe qui. je n’ai pas à recevoir de commentaires de qui que ce soit. encore moins d’une personne comme toi, ma belle. quant à mes parents, tu ne sais rien d’eux. je te prierai donc d’épargner ce sujet. c'est vrai que du haut de ton piédestal, mes commentaires doivent à peine t'effleurer. si c'est ce que tu préfères croire, qu'elle échappe en haussant les épaules. elle pensait bien plus que c'était un mécanisme de défense, une manière de se convaincre que ses remarques ne lui faisaient ni chaud, ni froid. elle se fout bien de ce que luna peut penser, ça ne l'empêchera jamais de dire ce qu'elle avait à dire. elle n'avait jamais attendu une quelconque approbation pour tout ce qu'elle avait fait dans sa vie noa, et ses parents en étaient les premiers témoins. elle leur avait sûrement déjà causé des cheveux blancs, mais c'était de leur unique faute. si l'on ne passait son temps à vouloir s'opposer à toutes ses envies, peut-être qu'elle mettrait bien moins d'entrain à aller au bout de ce qu'elle avait en ligne de mire. de son caractère indomptable, personne n'avait jamais réussi à en faire quoique ce soit. et luna, la poupée en talons hauts, se voyait déjà être celle qui la ferait plier et fermer son clapet. elle rit ironiquement à ce constat évident. arrête de te prendre pour ce que t'es pas luna. ça faisait bien trop longtemps que ça durait. son règne avait pris fin le jour où elles avaient quitté la cour de l'école, que ça lui plaise ou non. ne la lâchant pas d'un cil, elle continue de l'observer terminer son oeuvre, puis ramasser tout son matériel presque aussitôt après. comme si elle était pressée de partir, comme si ces petites retrouvailles improvisées de deux anciennes camarades ne l'intéressaient même pas. elle s'en sent vexée noa, elle qui voulait profiter de ce cadeau pour passer ses nerfs. elle n'avait eu aucun punching-ball ces derniers temps alors qu'elle avait tant besoin d'évacuer. et de toute l'honnêteté qui la caractérise, elle s'emploie à juger son art. celui qui égayait désormais le mur si gris d'ordinaire. elle n'est pas menteuse, bien loin de là, ce pourquoi elle lui avoue que c'est pas si mal venant d'elle. et elle n'aurait jamais pensé avoir à lui dire ça. comme quoi les apparences peuvent être trompeuses parfois. ces mots un peu plus sympas attirent finalement luna, qui s'avance dans la direction de la mécanicienne. je te remercie. mais dis-moi, c’est que t’es intéressée par le street-art, toi aussi ? autrement, je ne vois pas pour quelle raison tu te situes ici. elle arque un sourcil avant de répondre. parce que ça t'étonne ? c'est quand même beaucoup plus évident de ma part que de la tienne. elle ne peut s'empêcher de faire la réflexion, qu'elle n'avait pas le physique, ni les manières qui allaient avec ces tags de rues. j'pensais pas que tu pourrais encore me surprendre. elle lâche alors qu'elle plonge son regard dans le sien, comme pour la sonder complètement. pour savoir ce qu'elle avait dans le ventre et si elle cachait autre chose dont elle n'aurait jamais osé s'imaginer. les années t'ont peut-être été bénéfiques. elle hausse les épaules, encore une fois. puisqu'elle ne fait que des suppositions, elle ne l'a pas encore suffisamment redécouverte pour émettre un véritable jugement la concernant.

le temps n'avait pas effacé les aprioris si grossiers qu'elle nourrissait à l'égard de luna. au contraire, elle avait l'impression qu'ils ne s'étaient que décuplé. par la force des choses, à cause de la perte des années durant lesquelles elle n'avait pas pu exprimer tout ce qu'elle ressentait. à la voir de loin, elle paraissait rancunière dans ce cas de figure noa, alors qu'il n'en était en réalité pas grand chose. surtout que la petite bloed ne s'en était jamais particulièrement prise à elle. c'était contre son attitude qu'elle crachait, contre sa manière de se comporter, avec toujours ce petit air supérieur qu'elle était la seule à s'accorder. elle se donnait des airs qui ne lui allaient pas du tout et ça la rendait dingue noa. d'ailleurs, elle se fiche pas mal qu'elle apprécie la façon qu'elle a de lui parler, il y avait bien longtemps que l'avis des gens ne lui était plus indispensable. mais elle se retient de lui rétorquer qu'elle ne savait d'elle que ce qu'elle avait bien voulu montrer durant ces années où elles avaient vécu côte-à-côte. loin d'être devin, la jeune wilson n'avait en mains que les cartes que luna avait bien voulu partager aux yeux du monde. et force était de constater qu'elle avait choisi les plus mauvaises. mais dis-moi… c’sont les fameux souvenirs resurgissant qui t’font dire ces propos ? elle attend patiemment la fin de la réplique pour hausser les épaules nonchalamment. je t'ai souvent observé luna. ne serait-ce que pour essayer de comprendre l'intérêt que vous aviez à vous comportez de cette manière, vous, les petites reines du lycée. et j'ai eu beau tout tenter, j'ai jamais compris ce que ça pouvait vous apporter d'écraser les autres, ce que ça pouvait t'apporter. c'était si jouissif que ça ? elle l'interroge du regard, du menton, de tous ses traits. loin d'être l'amie de tout le monde et la mère theresa du queens, elle n'était pas pour autant la tortionnaire de service. parce qu'elle avait bien mieux à faire que cela. et surtout, elle ne se sentait pas plus vivante en mettant les autres plus bas que terre. il n'y avait que les faibles pour trouver leur compte dans ce genre d'exercice. et c'était cela qu'elle essayait de faire comprendre à luna. quand celle-ci semblait se mettre sur un piédestal, elle n'était en réalité que six pieds sous terre. puis la discussion glisse vers les tags que venait d'afficher la demoiselle sur les murs de la ville. des tags pas si mal que ça, bien mieux que ce qu'elle se serait imagienr venant d'une bloed en tout cas. alors fidèle à elle-même, elle le dit. jamais de langue de bois avec noa. mais elle pique quand même quand sa complice nocturne prend un air étonné qu'elle puisse aimer le street-art. dans son esprit, c'était venant d'elle que c'était bien plus bizarre. elle n'avait pas le style qui allait avec, elle détonnait dans le décor luna. elle avait changé luna, d'une manière qu'elle n'arrivait pas encore totalement à déchiffrer noa. ouais, t’as remarqué ? il y en a certains qui évoluent et d’autres qui restent coincés dans leur délire. pendant qu’la minorité change et s’améliore, la majorité accumule les conneries. c’est comme ça. et ça sera toujours le cas. elle écoute attentivement, peut-être bien pour la première fois depuis le début de l'échange. j'vois pas bien qui tu vises dans tes propos, mais j'ai réussi dans la vie en ce qui me concerne. même si les trois quarts des enseignants ne donnait pas cher de ma peau. elle avait senti la pointe de mépris et d'accusation dans les mots de luna. elle avait bien compris que c'était elle qu'elle pensait blesser avec ses paroles. mais elle était très mal tombé tant sa vie avait pris un tournant différent depuis qu'elle avait quitté le monde scolaire. elle n'avait plus rien à envier à personne noa. elle faisait exactement le métier dont elle rêvait, et avait dans le même temps fait fermer leur clapet à bon nombre de personnes qui s'étaient escrimé à la rabaisser. décidément, elle avait gagné sur tous les plans. sûrement. j’ose espérer qu’ce soit la même chose de ton côté. vois par toi-même, j'dors pas sous les ponts, je mendie pas au pied de ta porte et j'ai des fringues correctes. ça doit bien vouloir dire quelque chose. elle s'explique dans un sourire empli de malice. et ça dure depuis longtemps tes petites activités nocturnes et illégales ? elle insiste bien sur la deuxième partie parce que c'était ce qui l'intéressait. d'appuyer sur le fait que la petite luna semblait avoir bien changé avec ses quelques années en plus au compteur.