tear me to pieces / théo.

Elle a une adresse. On lui a soufflé une adresse, et on lui a dit, là-bas, y’aura ce que tu veux. Mimi, elle a pas besoin de plus. Le besoin de drogues qui lui crame une neurone, celle de réfléchir aux possibles conséquences de ses décisions. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle trouvera de la drogue là-bas, n’importe quoi, alors elle y va. Le reste est pas important, il arrivera ce qui doit arriver, tant qu’elle peut trouver ce qu’elle cherche. Ne sait pas trop où elle s’aventure, mais elle est pas du genre à avoir froid aux yeux. Laisse la vie la guider, trouver les doses là où y’en a. Et elle a de l’argent, cette fois, elle a fait des économies en ne jetant pas tout par la fenêtre, se gardant quelques billets pour de la qualité cette fois, pas acheter la première drogue venue. Alors elle marche avec une certaine confiance, Mimi, presque le sourire aux lèvres. Curieuse, et l’esprit allégée par la dernière dose qui gravite toujours dans le fond de ses veines. Les cheveux dansant sur ses épaules, sa veste à peine assez chaude pour l’hiver de New York, mais elle ne ressent pas la piqûre.

L’immeuble est là, elle monte les escaliers, débarque devant la porte et n’hésite pas à cogner. Pas gênée, Mimi, pas le moins du monde. Elle se sent bien, aujourd’hui. Le sol n’avait cessé de se dérober sous ses pieds les dernières semaines, le monde qui s’acharnait à vouloir lui rappeler ses erreurs, mais aujourd’hui ça va mieux, on dirait, c’est peut-être le soleil qui a brillé toute la journée, ou des conneries comme ça. Mais elle cogne, Mimi, et elle attend qu’on lui ouvre, espérant que les murmures étaient véridiques, et qu’elle s’est pas fait avoir comme une débutante, mais le chuchoteur c’était un gars bien, pas la première fois qu’ils se défoncaient ensemble et s’il lui avait parlé de cet endroit, c’était que ça devait être bien. Un appartement qui a l’air de rien de l’extérieur, mais le paradis du junkie qu’il avait dit. Finalement, la porte s’ouvre, et Mimi relève la tête avec le sourire latent aux lèvres, prête à faire du charme pour avoir ce qu’il faut, et ne pas passer pour une débutante. Sauf que le sourire s’étrangle à mi-chemin et que sa bouche s’assèche d’un coup. Ces yeux, elle les connaît. Ces traits, elle les connaît. Ce visage, elle le connaît - elle l’a déjà trop observé, elle y a déjà trop rêvé. Spectre du passé, spectre du présent, les cheveux blonds, la peau pâle, cette silhouette, ces lèvres, ce nez. Mimi se sent dérailler, le vertige qui la prend soudainement - Théo. C’est Théo. L’envie de déguerpir lui prend, peut-être que si elle s’enfuit immédiatement ça se terminera juste comme ça, mais ses muscles refusent de lui obéir. Le coeur qui bats fort, assourdissant dans sa poitrine. « Théo. » Elle souffle, murmure vibrant, elle pourrait en chialer, putain, elle est belle à en crever. Mais t’as promis de rester loin d’elle. « Je… je savais pas que tu vivais ici. »

Elle est là, juste devant elle. Foutrement belle. Les souvenirs et les secrets dans les yeux, l’amertume du départ dans la gorge de Mimi. Elle devrait foutre le camp, sans demander son reste, ne surtout pas rester là. Tenir sa promesse, parce que c’est plus facile que d’affronter ses fantômes. Plus facile que de tenir le regard de Théo, plus facile que de se rappeler que son coeur est brisé depuis des années. Peut-être que Théo l’a oubliée, peut-être que ça sera facile. Qu’elle fera comme si elles étaient deux étrangères, que le deal se fera, et Mimi pourra aller oublier tout ça sur le bitume. Mais elle voit immédiatement dans son regard que c’est trop tard, bien sûr que Théo se souvient, ça serait trop simple si c’était pas le cas. Coeurs brisés, départ précipité, c’est toi qui est partie. Mimi baisse les yeux. C’était mieux comme ça. « Je pensais que t’étais morte. » Ça frappe, juste aux endroits où il faut, et Mimi n’est pas prête à affronter ça. Pas prête à regarder Théo dans les yeux après ce qu’elle a fait, pas prête à faire face aux erreurs qu’elle a commise. C’était mieux comme ça c’était mieux comme ça c’était mieux comme ça. Non ?

Mimi ne sait pas quoi répondre. Gorge serrée, devant les bras croisés de la blonde. Un grand t-shirt qui la cache à peine, ses longues jambes qui dépassent. Mimi se souvient de cette peau, de ces cuisses, de ce corps. Elle s’en souvient trop bien et ça lui donne envie de vomir, de pleurer, de hurler, de mourir. Je suis désolée, Théo. « Fais pas attention au bordel, dure soirée. » Elle entre, Mimi. Le corps mécanique et la bouche si sèche qu’on dirait qu’elle est pleine de lames de rasoir. Elle se sent sale à côté de la belle Théo. Ses cheveux blonds et sa peau de porcelaine, face à la noirceur de Mimi, de ses cheveux mal lavés et rassemblés n’importe comment sur sa tête. Les vêtements troués et les souliers aussi. Théo elle est belle. Théo elle est pure. Elle referme la porte derrière elle, avec l’envie de se trouer la tête dedans. Sale junkie pathétique. Elle aurait aimé être belle pour voir Théo. Trop tard. Elle entend la blonde jurer et elle se tourne vers elle, le regard un peu vague. « On m’a volé ma cam. Je peux en récupérer dans moins d’une heure si t’as le courage d’attendre. » Mimi ne sait plus parler. Les yeux hagards et les doigts tremblants. « O-Ok. » Ma came, qu’elle a dit. Théo était dans le business aussi. Tu devrais pas. C’est pas un monde pour toi. Cours, Théo. Cours.

Elle la regarde passer. La regarde boire. Attirée comme un papillon de nuit vers la flamme. Théo l’hypnotise. « J’trouve ça ironique. Si on m’avait dit que j’allais me trouver dans cette position y’a quelques années, je me serais bien marrée. » Mimi fuit son regard. S’accoudant contre le mur le plus proche, jouant avec ses ongles. En manque, et le coeur qui déraille. Pas un bon mélange. Elle a juste à tenir moins d’une heure. Ça ira. Mais avec Théo, c’est différent. « Ouais. » C’est tout ce qu’elle arrive à dire, incertaine de comment prendre la situation. On dirait qu’elle et Théo, c’était une autre vie. Une autre Mimi. Et une autre Théo, visiblement. « Si on m’avait dit que j’te reverrais... » Mimi relève les yeux. Le coup de poignard au coeur. « J’croyais pas non plus. » C’est pas juste. C’est pas ce que Théo mérite. Elle mérite de savoir. De savoir c’que t’as fait. « C-Comment t’es arrivée là ? T’es plus à l’université ? » La nervosité qui gagne Mimi, la manque qui fait délier sa langue alors que sa peur ne le veut pas. Cruel mélange, mélange dangereux. « Je… Je sais qu’tu me détestes probablement. Et j’aimerais t’dire que j’suis désolée, mais c’était mieux comme ça. » Le mensonge qu’elle s’est répétée tous les jours depuis. C’était mieux comme ça. C’était mieux comme ça. « Je pouvais pas rester là. »