If you can't get rid of the family skeleton, you may as well make it dance.

traits de caractère / impatient - désordonné - taciturne - inépuisable - plus sensible que tu ne voudrais l'admettre - loyal - fidèle à celle que tu as rencontré il y a maintenant 12 ans, malgré tes faux airs de fuckboy - rancunier - scrupuleux - incapable de rester en place - très mauvais quand il s'agit de prendre une décision - particulièrement doué dans l'art de t'attirer des ennuis

Le coeur au bord des lèvres, Reed laissa tomber son sac.
C’était comme si rien n’était arrivé, comme si son père venait juste de sortir de la pièce. Le lait ouvert dans le frigo était encore bon ; les bouteilles d’alcool vides attendaient encore d’être sorties, entassées dans l’entrée. Rien, il ne manquait rien ; rien à part son père, qui n’avait laissé qu’un vide béant derrière lui.
Lourde tâche qu’on laissait à un gamin de quatorze ans : vider entièrement l’appartement de celui qui n’était plus là aujourd’hui. Inspirant lentement pour ne pas fondre en larmes, l’adolescent commença par les objets qu’il voulait garder ; ceux dont la simple vue arrachait le coeur. Des photos d’eux deux et de Nur, à ce match de baseball que Reed avait gagné en sixième. Une liste de course griffonnée à la va-vite, parce qu’il voulait pouvoir se souvenir de son écriture. Son vieux sweat Corto Maltese.
Rien de tout cela n’avait la moindre valeur financière ; mais bon dieu, en cet instant précis, ils valaient bien plus que toute autre chose en ce foutu monde. Après tout, celui-ci ne venait-il pas de s’écrouler sous ses pieds ?
Son regard se posa une nouvelle fois sur la porte - il faisait de son mieux pour l’ignorer, mais la pièce l’attirait comme un aimant. La salle de bain. C’était là que tout s’était passé. Que tout s’était fini.
Le souffle court, il finit par entrer.
Son père avait appelé les pompiers, avant de commettre l’irréparable. C’était son ultime preuve d’amour à ses enfants : il n’avait pas voulu que ce soit l'un des deux qui trouve son corps. Quelqu’un avait eu la délicatesse de nettoyer, et plus aucune goutte de sang ne trahissait le drame qui s’était déroulé là. Sans prendre la peine d’enlever ne serait-ce que ses chaussures, Reed s’allongea dans la baignoire. Il ne savait pas trop ce qui le poussait à faire ça ; il espérait peut-être sentir la présence de son père. Voir l’image qui avait dû s’imprimer sur ses pupilles. Une salle de bain modeste. Un tapis de bain, des chiottes. Son père aurait mérité mieux, comme dernier paysage. Est-ce qu’il avait eu peur ? Est-ce qu’il avait perdu connaissance vite ? Est-ce qu’il avait eut une pensée pour lui ? Putain, est-ce qu'il avait au moins pensé à Nur ? Et alors qu’il était là, à se poser les questions qui le hanteraient toute sa vie, Reed n’avait du haut de ses quatorze ans qu’une seule certitude : c’était de la faute de sa mère, et il comptait bien le lui faire regretter toute sa vie.


« Joyeux anniversaire, tête de con. »
Reed laissa la fumée remplir ses poumons avant d’écarter le joint de ses lèvres, son rire s’évaporant doucement dans l’air. Il repoussa doucement la jeune femme, comme si l’insulte l’avait réellement vexé. « Merci, face de cul. » Le rire de Nerea se mêla au sien avant qu’elle ne lui retire le joint des doigts, s’emplissant à son tour les poumons de la fumée interdite.
Là, assis au sommet de l’immeuble avec pour seule vue le soleil se couchant sur la ville et leur sac à dos rempli de cash, ils se sentaient comme les rois du monde. Ils l’avaient fait ; ils avaient réussi. Leur premier braquage. Ils en avaient fait du chemin. Ils étaient loins, les gamins qui piquaient des boucles d’oreille en toc chez Claire’s en ayant l’impression d’être les gangsters de l’année. Un braquage, un putain de braquage, voilà où ils en étaient arrivés. Oh, ce n’était pas non plus le casse du siècle ; ils ne s’étaient attaqués qu’à une petite épicerie. Mais désormais, ils en étaient sûrs ; ils étaient capables de vivre de leurs forfaits. Adieu, jobs de merdes. Adieu, fin de mois difficiles. Ils pourraient tous manger à leur faim. Ça avait été loin d'être une évidence, quand il était parti de chez sa mère à 18 ans ; quand il avait dû se battre pour devenir le tuteur de sa propre demi sœur pour la tirer de son foyer. Un salaire de merde pour trois, c'était peu.
Mais c'était finit ; Nerea et lui avaient trouvé leur voie.
Si sa mère savait. Deux ans déjà qu’il ne l’avait pas revu ; lassée de ne voir son fils qu’en allant le récupérer au commissariat. Ou peut-être trop occupée avec sa nouvelle famille parfaite pour s’embarrasser de sa propre progéniture. Mais Reed s’en foutait, il était heureux avec Nerea. Les nouveaux Bonnie et Clyde, c’étaient eux ; et le monde était à leurs pieds.


Ses doigts cherchaient désespérément un pouls ; le moindre battement, un quelconque frisson qui trahirait la vie. La preuve que non, ils ne venaient pas de causer la mort de quelqu’un. Mais rien. Aucune pulsation ne résonnait sous ses doigts.
La peur est une vague : vous pouvez la fuir aussi longtemps que votre sang froid le permet ; mais quand elle vous submerge, elle vous emporte tout entier. A cet instant, Reed s’est vu se noyer pour la deuxième fois de sa vie, l’angoisse écrasant l’air en dehors de ses poumons.
« Qu’est-ce que tu fous ? Bouge ! » Mais Reed ne moufta pas. Basculant légèrement la tête de l’homme en arrière, il commença un massage cardiaque - ou du moins, il essaya. On ne lui avait jamais appris, l’obligeant à se contenter d’imiter ce qu’il voyait dans les films. « Reed, putain ! » Il leva les yeux vers elle. Elle et la cagoule qui masquait entièrement son beau visage. Elle et son sweat qui dissimulait ses formes. Et la réponse lui était venue dans un haut le cœur. « Tu vois bien qu’il fait une crise cardiaque ! » Elle resta silencieuse une seconde, le regardant se démener vainement sur le torse de l’employé. Mais elle rouvrit bientôt la bouche, ses mots résonnant dans le crâne de son petit ami. « La police arrive, ils s’occuperont de lui. » Le jeune homme ralentit la cadence de ses pressions. « On est foutus. Si on ne part pas maintenant, on est foutus. » Il croisa son regard, hésitant.

Aux échecs, on appelle ça le Zugzwang : quand le seul coup valable pour s’en sortir aurait été de ne pas jouer.

Mais il était trop tard pour Reed ; s’en remettre au destin ne faisait plus partie des options. Le coeur battant, il se releva, attrapant le sac qu’ils avaient rempli de pognon ; et puis, il la suivit, loin de cette maudite station service. Loin de cet employé et de son cœur fragile, trop fragile pour surmonter le stress d’un braquage ; l'abandonnant lâchement aux griffes de la grande faucheuse.



Les recruteurs ne le lâchent pas du regard, et Reed déteste ça. Il peut sentir leur regard glisser sur les cernes que les nuits d’insomnie ont creusé sous ses yeux ; s’attarder sur la coupure qu’il s’est fait en se résignant à se raser ce matin. « Cela fait six ans que vous n’avez pas travaillé en cuisine. Vous pensez vraiment être capable de reprendre maintenant ? » Un sourire se glisse vaillamment sur les lèvres du jeune homme, tâchant de faire bonne figure.  « Oui, bien sûr - j’ai cessé de travailler dans le milieu, mais pas de cuisiner. Et j’ai aidé un ami à ouvrir son restaurant le mois dernier à Brooklyn, ça m’a permis de constater que je n’étais pas trop rouillé et de me rappeler pourquoi ça me passionnait autant. » Leurs regards restent si froids qu’il est incapable de dire si la réponse les a convaincu ou non. « Je me suis permis de chercher sur internet le dernier métier que vous indiquiez, instructeur de parkour. Ca m’a l’air dangereux ; vous comprendrez bien que nous ne souhaitons pas embaucher quelqu’un qui prend le risque de finir en arrêt maladie parce que son passe temps est de faire des roulades sur des toits. » Les doigts de Reed se crispent ; il l’avait attendue, cette question. « Oh, je n’en fais plus. » Mensonge ; plutôt crever que d’arrêter quelque chose qui le fait se sentir aussi vivant. « Pour être tout à fait honnête, ma petite amie est enceinte, j’ai donc décidé de revenir à un mode de vie un peu plus... stable. » Cette partie est vraie, en quelques sortes ; si la venue du bébé surprise a achevé de le convaincre, c’est l’incident de leur dernier braquage, qui l’a convaincu en premier. Pas d’arrêter le parkour, mais les cambriolages. Malgré l’insistance de Nerea, il ne pouvait pas - il ne pouvait plus recommencer. Pas après ce qui était arrivé. Alors, il se rangeait. C’en était fini de l’argent sale, peu importait combien retourner à une vie d’esclave moderne le dégoûtait.
Les sourcils épais de l’un des deux recruteurs tressaillent, et Reed sent qu’il marque un point avec l’histoire du bébé. « Pourquoi choisir notre restaurant ? » Le jeune homme n’hésite qu’une seconde. « J’y suis venu souvent, je connais bien la carte. J’aime beaucoup le quartier, également. » Et surtout, tu es un crétin. Reed ne choisit pas ce restaurant au hasard ; l’homme qu’ils ont tué avait une fille. Cette fille travaille ici. Et il s’était mis une idée stupide en tête : Veiller sur elle. Réparer un peu du mal qu’il avait fait. Dans son crâne d’orphelin, ça faisait sens - en tout cas, il ne supportait pas de ne rien faire. Alors, il en était là, à renier toute sa fierté pour un boulot qu’il ne voulait pas, pour une nana dont il ne connaissait rien. Rien d’autre que ce qu’il lui avait arraché.