OCTOBER 31st, 2018, NEW YORK CITY, Queens (USA).
7 :43AM
Je tourne dans les draps, le nez qui se fronce, une main qui vagabonde sur le tissu doux. Doux et froid. Une moue qui se dessine sur mes lèvres, et les yeux qui s’ouvrent pour vérifier. Ce que je m’attendais à trouver sous mes doigts, c’était la chaleur de Dino. Son corps endormi et sa peau au toucher de velours. Je grogne, probablement aussi fort qu’un jeune ourson alors que je me redresse juste pour regarder l’heure sur le réveil de son côté à lui. Il est tôt, terriblement tôt. Trop tôt même pour que je ne puisse amorcer le moindre mouvement pour m’extraire de ce lit. Non, je ne gigote que pour aller m’installer de son côté à lui. Plonger ma tête contre son oreiller, et respirer son odeur rassurante. Je ne veux rien d’autre pour le moment. Fermer les yeux, et ne pas penser au reste. Ne penser qu’à Dino, à nous. Le soleil dehors qui brille péniblement, incapable de me réchauffer au travers des fenêtres. Je soupire. J’aurais aimé passer la matinée dans ses bras, à lui murmurer combien je l’aime. Qu’on fasse l’amour jusqu’à s’endormir dans les bras l’un de l’autre. Pourtant, la réalité, c’est qu’il est déjà parti dans le froid travailler. Que moi, je suis seule. Je lui en veux presque de ne pas m’avoir réveillée pour me dire « au revoir », pour que je lui prépare le petit-déjeuner. Pour n’importe quoi, en vrai, tant que ça implique de le voir me sourire. Ce sourire qui me fait fondre de l’intérieur au point d’en avoir le cœur qui se réchauffe et qui n’explose. Mon iPhone vibre sur ma table de chevet, et je tends un bras distrait pour aller le récupérer, ouvrant enfin les yeux. Un message probablement insignifiant d’une collègue que je laisse traîner. Il est visiblement l’heure pour moi d’aller prendre un thé pour commencer à affronter la journée. Mais avant, j’enfile une armure par-dessus ma baby doll de satin : l’un de ses sweats à lui, trop grand, plus long que le morceau de tissu que je porte pour dormir. Bien vite, je me retrouve assise en tailleur sur le canapé devant la télé, préférant regarder ce qui se passe dehors, au-delà de la porte vitrée qui mène au balcon, mon thé entre les mains. Il fait beau dehors, pour la fin du mois d’Octobre. Le temps n’est pas des plus chauds, mais, rien de catastrophique. Le soleil se lève tranquillement et je ne fais que l’imiter. Je devrai consulter le message qui s’affiche encore sur mon téléphone, je le sais. Mais je préfère échanger mon thé contre mon téléphone pour ouvrir cette petite app jaune démoniaque. Une moue faussement boudeuse sur laquelle je placarde un «
Tu me manques. Bonne journée. ». C’est puéril et j’m’en fous. Parce que ça fait longtemps que je m’en fous de ce que les gens peuvent penser nous concernant, et j’ai seulement envie qu’il sache que je pense à lui.
Parce que moi, je ne pense qu’à lui. Tout le temps. OCTOBER 31st, 2018, NEW YORK CITY, Manhattan (USA).
6 :51PM
Je retire mon manteau alors que j’arrive dans la pièce réservée aux employés, partant en ligne droite vers mon casier. «
Leona ? » Je tourne la tête pour constater que mon manager me regarde, les sourcils froncés et l’air un peu fâché. C’est assez rare que je le vois me regarder comme ça, alors, instinctivement, je me demande ce que j’ai bien pu faire qui puisse le mettre en rogne. Je viens juste d’arriver. «
On t’attend depuis plus de deux heures, tu foutais quoi ? » Je me retourne pour le regarder, incertaine, et surtout perdue. J’étais intimement persuadée qu’en cette soirée d’Halloween, j’avais un petit shift, parce que c’est mercredi, et les mercredis, au plus tard, je suis dehors à minuit. «
On est mercredi, non ? » Ma voix est douce, et j’ai l’impression d’être une enfant prise en train de faire une bêtise, alors que je sais que j’ai raison. «
Emily m’a dit que tu prenais aussi son shift. » Et là, c’est à mon tour de froncer les sourcils. Comment ça, je prends son shift ? Et je me doute que le texto que je n’ai pas ouvert ce matin était pour ça. Et j’avoue ne pas y avoir jeté un œil de la journée, trop occupée à travailler sur mes projets pour l’université, puis à préparer des cookies pour Dino avant de devoir prendre le métro pour venir bosser. Mon manager souffle, et me regarde, légèrement décontenancé. Je sais qu’il sait que ce n’est pas de ma faute, tout simplement parce qu’Emily est la championne des excuses pour ne pas venir bosser, refourguant les horaires qui ne l’arrangent pas aux autres sans réellement se soucier de rien. En attendant, je me doute que toute cette histoire va créer une pagaille monstre, et je m’entends déjà répondre «
oui » quand Stephen me demande si je peux rester plus tard, jusqu’à la fermeture. Bien sûr que je vais rester pour l’aider, parce que je suis comme ça. Parce que je culpabilise déjà un peu de ne pas avoir lu ce foutu texto pour être là à l’heure. «
Merci Leona. On t’attend.» Et il disparaît, me laissant seule pour que je puisse me changer, enfiler l’uniforme pour ressembler aux autres. Je prends tout de même le temps d’envoyer un texto à Dino pour lui dire que je rentrerai plus tard. Dans le fond, je me doute bien qu’il dormira bien avant que j’arrive. A l’heure, ou non. Alors, tant pis. J’espère au moins récupérer plus de pourboires en travaillant quelques heures de plus.
NOVEMBER 1st, 2018, NEW YORK CITY, Manhattan (USA).
2 :38AM
Je marche dans le froid, les mains dans les poches, le cou rentré dans mon écharpe, tout droit vers la station de métro pour rentrer. Les rues sont encore animées, et je sais que c’est l’effet d’Halloween. Les jeunes en profitent pour traîner dehors avec une excuse valable. D’ailleurs, ce soir, beaucoup plus de gens que d’habitude sont venus boire un verre, profiter de la soirée à thème que le propriétaire a choisi de leur proposer cette année. C’est pas plus mal, l’ambiance et la haute fréquentation ont fait passer le temps plus vite, et surtout, cela m’a permis de remplir ma poche de quelques pourboires en plus, ce qui est plutôt cool. Je jette un œil à mon téléphone pour voir que la plupart des notifications proviennent de Dino. Je me mords les lèvres, persuadée que mon « retard » ne doit pas y être étranger. Et je préfère ne rien répondre, parce que je me doute que maintenant, il doit dormir. Il a probablement eu une longue journée, plus compliquée que la mienne. Je m’engouffre dans les escaliers descendant vers le métro, prête à embarquer pour ce voyage final tout droit vers le Queens, vers notre appartement. Parce que j’ai hâte de rentrer, pour me sentir de nouveau dans ce cocon qui n’appartient qu’à nous. Un peu comme une faille spatio-temporelle ou plus rien n’existe : ni le temps, ni le lieu, ni les autres autour. Dans cet instant spécifique, il n’existe plus que nous, deux éléments en gravitation, soumis à l’attraction. Cette réalité qui nous retient l’un à l’autre, comme la gravité nous tient au sol. Une force fondamentale qu’aucun scientifique ne semble capable d’expliquer, et dont on ne trouve la définition que dans ces romans que j’affectionne. Le métro arrive, et quand je m’installe, je prends le temps de glisser mes écouteurs dans mes oreilles. Le regard perdu dans le vide, j’ai le cœur qui me rappelle qu’il est là, et qu’il se languit d’aller trouver son autre moitié, cette moitié qui le fait vibrer. Je tourne les yeux, prenant enfin en compte le monde qui tourne autour. Le couple plus loin, qui se tient la main, elle la tête sur son épaule à lui. Les quelques jeunes au fond de la rame qui font les andouilles. L’un qui s’accroche à l’une des barres pour soulever son corps, l’autre qui le filme. Celui qui me fixe avec un sourire sur le bout des lèvres, me poussant à rougir et détourner les yeux par pudeur. Ils ne sont pas beaucoup plus jeunes que moi, je dirais même qu’on a le même âge. Pourtant, je ne me sens pas comme eux. Jeune et insouciante seulement avec lui, avec le sentiment d’être déjà une vieille âme persuadée d’avoir trouvé la seule chose, la seule personne dont elle avait besoin pour vivre et être heureuse.
NOVEMBER 1st, 2018, NEW YORK CITY, Queens (USA).
4 :14AM
La clé tourne bien rapidement dans la serrure, et moi, je suis soulagée de ne rencontrer que le noir dans notre appartement. Une main qui se balade contre le mur pour allumer la lumière avant de repousser la porte. Il fait froid dehors, et j’apprécie la chaleur qui m’accueille quand je retire manteau, écharpe et chaussures pour les abandonner dans l’entrée. Je ne compte pas me torturer plus longtemps, surtout que je commence à avoir les yeux lourds. Je perds mes fringues au fur et à mesure que j’avance vers la salle de bain, jetant un œil furtif dans la chambre. Il y fait noir, et tout semble tranquille. J’ai le temps de m’abandonner à une douche rapide pour retirer l’odeur de clopes, d’alcool et de débauche que j’ai la sensation de porter à chaque fois que je rentre. Trois minutes, quatre tout au plus à sentir chaque goutte d’eau brûlante parcourir ma peau fraîche. L’eau s’arrête, et quand je sors, mon premier réflexe est de frotter la buée du miroir au-dessus du lavabo pour pouvoir me regarder. Je n’ai plus froid, et j’en prends pour preuve mes joues rouges. Quelques minutes encore à me préparer à ma nuit, histoire de ne pas ressembler à rien demain. Je sais qu’il dirait que je n’en ai pas besoin, que je suis belle, quoiqu’il arrive. C’est pour ça que je m’empresse d’éteindre la lumière et quitter la salle de bain, seulement pour rejoindre la chambre. Pas besoin d’aller la lumière, le volet n’est jamais fermé, seulement pour pouvoir contempler les étoiles ou le soleil qui se lève le matin. Et lui, il est là. Endormi, paisible, une main sur l’estomac. Éclairé seulement par quelques rayons de lune. Il est à croquer, et j’ai presque envie de le réveiller. Pourtant, c’est à pas feutrés que j’avance pour grimper à mon tour sur le lit. Glisser dans les draps le plus délicatement possible. Comme si je ne voulais pas le réveiller. Pourtant, je me doute qu’il se réveille, juste un instant quand je me blottis contre lui comme un chaton venant réclamer de l’attention, de l’affection. Je ronronne presque, ma joue contre la peau nue de son torse brûlant, l’oreille à la recherche de ce son si particulier et distinctif : celui des battements de son cœur. Je sens qu’il se réveille, juste assez pour ajuster sa position et fermer ses bras autour de mon corps. Un peu fort, même si, j’ai parfois l’impression que ce n’est pas assez. Paradoxe. Je souffle de façon inaudible, soulagée de ne pas devoir lui faire face pour mon retard. Erreur fatale. Il grogne doucement, resserrant son emprise comme un serpent constricteur autour de mon corps, visiblement décidé à m’empêcher de fuir, de respirer. Il semblerait que j’ai eu tort. Sur toute la ligne.