au brouillard mélangé (serpentine)

au brouillard mélangé
la routine qui commence à brûler sous sa rétine,
c'est le cœur qui finit par s'essouffler sur les platines.
dernier sur la piste, on marque pacôme d'une jolie croix,
car des siècles plus tôt, on l'aurait sacré roi.

à cause de ses sourires, de sa peau pêche,
de ses jolis dents, de sa jolie voix,
et ce garçon, n'empêche,
qu'il fait tomber des têtes, des corps aux fonds des bois.

prince déchu d'un conte imaginaire, pacôme le prince sur son cheval blanc. c'est son corps qui crame sous ces luminaires, d'une ville en perpétuelle mouvement. et aujourd'hui, il continue de vivre sous le cœur battant du queens. à courir derrière les malfrats, à choper le premier taxi, à jouer avec son téléphone, à parfois oublier son propre prénom. c'est monsieur curtis et une révérence minime quand on arrive. l'honneur que de le voir défoncer les portes du commissariat, déranger les flics à leur pause cafétéria, et par des mots, des mots, des mots majestueux, les pointer du doigt, ici-bas. car l'injustice est le malheureux ennemi, du dénommé curtis.

le quotidien qui continue de l'assommer jusqu'à ce que ses jambes s'enfoncent dans le goudron, pacôme ne peut se résoudre à enfreindre les règles.

une heure moins le quart.
son attaché-case à la main.
le taxi qui le laisse traverser pour finir son chemin.
il passe d'abord devant le billard.
s'arrête devant son café favoris.
passe son dernier appel avant l'euphorie.
(l'euphorie de quitter son boulot trop longtemps,
de laisser des innocents,
scotchés dans le temps)

en rentrant, il fait que sourire au personnel sans s'arrêter par la case gérant. sa table à lui, celle toujours réservée, au fond à droite, vue sur la rue, un couvert, dans un semi-silence où son portable vient à rythmer ses bouchées. le menu l'attendait. et il fouille -c'est faux, son regard s'arrête comme toujours, sur le plat de pâte à l'italienne. cinq ans. et toujours pas foutu de changer d'plat. et il attend. le temps d'un dernier coup de fil. le temps de réajuster ses vêtements toujours repassés. le temps d'enfiler sa serviette blanche au cou. le temps.

ce temps qui un jour, se moquera de lui,
où le soleil laissera place à la pluie,
dans un sourire infini,
on pourra en rire parce qu'on s'était dit:
''c'est la fin de pacôme, dommage. il était si joli''

au brouillard mélangé
@pacôme curtis

Un service, tout les jours, de onze heures à quinze heures. Une routine professionnelle dont elle a besoin. Besoin pour couper avec son quotidien. Sa vie de nuit aux multiples facettes. Sa part sombre. Un chemin qu'elle empreinte pour réaliser ses rêves. Elle en est intimement persuadée. Ses efforts vont payés. Encore un peu de patience.

L'espoir. Elle s'y attache malgré ces six dernières années passées hors de l'Italie. A errer sur les routes américaines. A la recherche de son rêve. Encore et toujours. Enchaînée à cet espoir d'être reconnue alors qu'elle n'a plus rien. Son dernier mec l'a mise à la porte. Terrible scénario répétitif. L'instabilité et la violence lui collent à la peau. Incapable de repérer ce qui est bon pour elle. Elle n'y arrive pas, elle n'y a jamais su.

Curtis. Un nom qu'on lui répète inlassablement tout au long de son service. Si elle veut garder son poste et faire ses preuves, elle doit satisfaire ce client. Le plus important. Précieux à l'établissement depuis des années. Bien loin d'être l'employée de l'année, malgré tout ses efforts, elle ne comprend pas pourquoi on lui assigne ce type. Elle hausse les épaules, bien habitué à servir les hommes tout au long de sa vie. Le mode d'emploi est extrêmement précis. Chacun de ses collègues lui indiquent les consignes à suivre. Avec Monsieur Curtis, c'est comme ça et pas autrement. L'italienne se calibre au millimètre près. Ce job, elle en a besoin. Déjà parce qu'elle n'a plus de logement, mais aussi parce qu'il la rattache à un semblant de vie normal. Un besoin qu'elle ne peut sacrifier.

Au fond à droite, près de la fenêtre, celle avec la vue sur la rue. Armes-toi de ton plus beau sourire. Elle n'a pas peur. Ce n'est qu'un homme. Elle en a connu d'autres. Bien plus dangereux. Certainement plus dangereux. Il se tient là. Propre sur lui. Impeccable. Carte sous les yeux.

« Bienvenue au café Monsieur Curtis, comment allez-vous aujourd'hui ? Je vous sers les pâtes à l'italienne ?  » Elle marque un temps. Avec son accent italien, elle se sent presque ridicule. Au bord du cliché. Si ça se trouve, elle se fait bizuter par ses collègues. Une idée qu'elle chasse immédiatement de son esprit et se contente de laisser échapper un petit rire. Non. Il paraît qu'il prend ça à chaque fois. « Sachez que je veillerais moi même à ce que la recette traditionnelle soit respectée  »

au brouillard mélangé
@serpentine girardi

cette voix qui vient faire pop,
contre son nuage aux formes kaléidoscopes,
pacôme au bord de la syncope,
relève les yeux, les plissent, soudain devenue myope.

changement. drôle de mot dans sa bouche. pacôme, l'habitude de connaître le dictionnaire sur le bout de sa langue, prend souvent quelques mots à part pour ne jamais les utiliser. comme bannit de son monde, elles n'ont rien à faire entre des lèvres immondes. changement fait partit de ces mots interdit. perçut comme une anomalie, pacôme les gardent pour lui. lui, lui et seulement lui. mais aujourd'hui, ce mot vient s'illustrer en lettre rouge sur son cerveau. un panneau pop-up, une fenêtre qu'il ne peut fermer ou contrôler, s'agite dans le fond de sa carcasse.

ce sourire aux lèvres. ce n'est pas habituelle.
elle n'est pas habituelle.
ces cheveux bruns -voir noirs- qui se tordent en duel
pour rester le plus fidèle
possible, à un visage quasi sensuel.

un sourcil s'arme dans les airs, pacôme qui semble trouver le sol plus très droit, d'un coup. qui trouve que le temps ne semble plus si important que ça, d'un coup. que son portable qui vibre sur le coin de la table n'est que futile, d'un coup. et ce rire. oh, ce rire. ses yeux qui semblent s'emballer, son cœur qui ratte trente battements par minutes et son alliance à sa main gauche qui brûle l'espace-temps. putain. il reprend ses esprits, ravale la dignité de ses mots. d'une main grave, il retire cette serviette ridicule autour de son cou. d'un regard vaillant, il lui tend la carte pour qu'elle l'emmène loin de lui. loin, loin, loin très loin de lui.

journée chargée, pour changer. l'ironie d'un mot dont elle ne comprendra le sens. ça aurait pu faire marrer un de ses collègues, mais pas elle. non, pas elle. vous savez quoi? mettez-moi ce que vous voulez. ce dont vous avez envie. pas de pâte à l'italienne pour aujourd'hui. là-haut, sur le mont de l'olympe, l'alarme vient d'exploser. vous connaissez mon nom. puis-je savoir le votre? et en vient à ce sourire. miracle de la nature. un sourire si pur, si dur, si doux, si épuré. les dieux se penchent en avant pour observer le visage de pacôme d'un peu plus près. on pourrait lui donner le bon dieu sans confession.

au brouillard mélangé
@pacôme curtis

Pendant un instant, le silence s'installe. Laissant durement, le bruit du vibreur téléphonique grincer sur la table. Calepin à la main, elle s'apprête à noter, pâtes à l'italienne, qu'elle attend impatiemment. Après lui avoir rabâcher pendant des heures la façon de faire de ce client particulier, la serveuse ne peut s'empêcher d'arquer un sourcil en même temps que lui. Comment ça, pas de pâtes à l'italienne ? C'est une blague ? Une caméra cachée ? Ecoutant à peine ce qu'il lui raconte. Sonnée, choquée, presque agacée d'avoir été prise par une idiote par son équipe. Tout ces pseudo-conseils ont été qu'une poudre aux yeux. Une farce. Elle s'est faite avoir. Comme une bleue. Ce client, il n'a rien de ce qu'on lui a décrit. A part son emplacement. Oui. Il est à la fenêtre. Et c'est tout.

Pour couronner le tout. Il lui demande de choisir. Il n'y a plus aucun doute. Elle est en pleine phase de test. L'équipe la teste. Faut-il garder l'italienne ? Pour le savoir, organisons une mise en scène avec notre client préféré. Simplette, elle ne se rendra compte de rien. Incapable de mentir sur ses émotions, elle affiche, un instant, une moue. Perdue sur sa façon de réagir. Le sang chaud, elle est prête à exploser. Ces façons de faire. Ce bizutage. Quel est le but ? Elle n'est certainement pas la meilleure serveuse de l'établissement mais c'est loin d'être une fille méchante.

Non. Pas maintenant. Ne perds pas la face devant ce client. Montre-leur ce dont tu es capable. Alors, elle le garde, ce sourire sur son visage. Celui qu'on lui réclame chaque jour. Le sourire de la bienséance. Celui qui cache ses blessures. « Vous êtes sûr de vouloir changer ? Je ne suis pas sûre d'être de bons conseils. Mes collègues vous diront que j'ai des goûts étranges.  » Elle pointe la cuisine avec son stylo, avant de le remettre en bouche et de mordiller quelques secondes le bouchon en plastique. Merde. Un comportement qui n'est clairement pas approprié. Une réponse à côté de la plaque. Ne jamais dire à un client que l'on n'est pas à la hauteur. Jamais. JA-MAIS. Mais elle est comme ça, Serpentine. Sa fragilité enfantine. Cette naïveté. Cette pseudo innocence. C'est tout son charme. Alors elle décide de faire un pied de nez à cette situation. Se penche légèrement vers lui, prête à se confier et propose à voix basse :  « Vous savez quoi ? Vous avez bien raison. Je vais vous trouver quelque chose d'étonnant. Parfois, il est bon de se laisser surprendre. Détendez-vous, je m'occupe de tout.  »

Elle s'apprête à faire demi-tour. Il lui demande son nom. Oui, ça lui paraît juste mais elle n'aime pas ça. « Serpentine. » Ce nom qui fait rire à chaque fois qu'elle le prononce. Son rire, elle ne l'attend pas et poursuit avec un « Je reviens » avant de s'éclipser. Bien prête à reprendre le contrôle de la situation, elle retourne en cuisine et commande un plat de frites. Tous, médusés, la regardent incrédule. Elle insiste et leur fait croire que c'est pour la table familiale. La panique retombe. Elle commande ces fameuses pâtes à l'italienne qu'elle mangera à sa pause. En attendant, elle leur fait croire que c'est pour lui. Curtis.

au brouillard mélangé
@serpentine girardi

on entend déjà, dans un écho très lointain, que pacôme vient de se faire avoir par un coup de foudre. une ola un peu plus tardive, se penche sur la question, sourire têtu à la main. non,
non,
non,
pas vraiment
presque pas
un peu
mais pas tant que ça,
pour être plus clair:
ici, on a affaire à
un coup de foudre
a r b i t r a i r e
arbitraire? arbitraire?
le caprice d'un corps,
la volonté d'une fois
ou deux
ou trois
ou toujours
l'attraction physique qui-
vient déranger l'alliance à sa main, détruire ses vœux pour le tout puissant et, par la même occasion, arracher un amour qui s'épuise avec le temps. pacôme, laissant ces idées trotter bien loin de ses pensées, s'entiche à la regarder de grands yeux amusés. elle avait du être briffé de son arrivée et son choix étrange devait l'avoir bluffée.

mais son visage reste impassible.
muraille de chine invisible,
où derrière ce cache des sentiments terribles
de tromperie incorrigible.

pacôme sourit. comme si le bon dieu l'avait rendu heureux en un claquement de doigt. elle se penche. il se penche. confidence pour confidence. je vous fais confiance. presque chuchoté. presque murmuré. comme si le simple fait de faire confiance à cette inconnue était un secret qu'ils se devaient de garder.
elle lui ordonne de se détendre et pacôme aurait bien envie de se laisser aller. pieds sous la table. regard vers l'extérieur, il oublierait son portable après deux trois passantes potables. mais c'est pas le cas. verrou qui se referme un peu plus, laissant sa main attraper son portable avec la dextérité d'un bambin.

serpentine, serpentine, serpentine.
oh toi, serpentine, serpentine, serpentine.
et ce prénom résonne dans ses oreilles, de façon si enfantine.
oh toi, ma douce inconnue aux origines latines.

pacôme n'en a pas rit, de ce prénom timide. par contre, ça l'a fait sourire. sourire d'un charme dont il ne connait les secrets, sourire à s'en péter les dents, sourire pour montrer une reconnaissance palpable. aussitôt partit, pacôme se fondit dans l'écran de son téléphone.
appel sur appel.
paperasse sur paperasse.
jolis mots comme acerbes.
tout ça, il l'étalait sur sa table.
son coup de crayon à droite et à gauche, son porte-feuille en haut à gauche, ses yeux qui s’effaraient sur des petits bouts de papier pour y trouver une justice dans l'injustice. c'était lui, sentant un bout du monde, de cette ville, sous la paume de ses pieds.
quelques minutes (secondes, heures, des jours, il n'avait plus de notion de temps lorsqu'il travaillait) plus tard, serpentine débarqua avec une assiette de frite. il haussa les sourcils, stoppant tout mouvement. drôle de plat. drôle de choix. c'est un visage délicat qui s'arrêta sur celui de serpentine, pacôme petit enfant qui n'avait pas mangé des frites depuis si longtemps. pourquoi avoir choisit ce plat? étonnant choix. mais en quelques secondes seulement, son sourire était revenue.

au brouillard mélangé
@pacôme curtis

Retour en salle. Plat à la main. Une assiette de frites. Accompagnée de sa salade et de son burger maison. La table est encombrée. De papiers, de notes, d'un téléphone et autres accessoires. Des accessoires soigneusement disposés, renvoyant comme message un propriétaire occupé. Débordé. Dans l'attente qu'une place se libère pour y déposer soigneusement le plateau. Ce festin. Ces frites. Des féculents troqués contre du gras. Une surprise presque fade. Pas de frissons. Une assiette tout ce qui a de plus banal. L'italienne ne prête pas attention à son étonnement et reste impassible. Sérieuse par sa proposition. Un sourire se dessine sur le visage de son client, après lui avoir posé sa question amusé. « Et pourquoi pas ?  » lui répond-t-elle sous le même ton. Les yeux malicieux. Joueurs. Quel intérêt de servir du homard, des saint-jacques ou le petit risotto aux truffes ? Ce genre de plats plus adaptés ? Ceux à la hauteur de ce client.

Elle s'assoit en face de lui. Pose sa tête dans sa main. Le visage légèrement penché vers la gauche. Elle fixe ces frites, la mine boudeuse. L'odeur réveille sa gourmandise. Elle résiste. Une fois. Deux fois. « Depuis quand vous n’en avez pas mangé ?  » Question sincère. Elle ne connaît de lui, que ce qu'on lui a briefé. Il n'a pas l'air d'être du genre à se laisser tenter par ce type de repas. A ce gras qu'il faut manger avec les doigts. Plat populaire qui bat toutes les règles de bienséance à table. Trois fois. Elle ne peut plus résister à ce ventre qui gargouille de plaisir. Attrape de ses doigts agiles, un morceau de pomme de terre et le déguste. « C'est ce je prends après mon service. Vos habitudes sont les pâtes à l'italienne, les miennes sont les frites américaines. La cuisine ne m'aurait jamais laissé vous servir ça. J'ai dû commander votre plat habituel pour laisser passer cette.. nouveauté. Et... » Elle tourne discrètement la tête vers la cuisine, laissant ses cheveux noirs, couvrir une partie de son visage. « Vos pâtes seront l'exception de mes habitudes. » Elle lui sourit. Amusée par l'inversement des rôles. Il dégustera son dîner alors qu'elle se chargera de faire disparaître le sien. Une enfant motivée par sa mission secrète. Serpentine qui désobéit. Encore. Comme toujours. A l'encontre des règles et des normes. A suivre son coeur, à faire taire sa raison. A vivre à mille à l'heure. A ne penser à rien. A vivre autrement. A croire naïvement que le destin se chargera d'elle. De la mener sur des chemins qui s'entremêlera bientôt à ses rêves.

Il n'a toujours pas picoré dans son assiette. Les mains agités. L'annuaire gauche décoré par du laiton. Ou de l'or. Elle fixe un instant l'objet silencieuse. Envieuse. Envieuse d'avoir également un foyer et une stabilité. Ces choses qui ne viendront jamais à elle. Parce que sa vie est différente, parce qu'elle a choisi une famille particulière, celle qui doit la sortir du brouillard, en contrepartie de quelques services peu conventionnels. Elle cligne des yeux. Plusieurs fois. Revenant à elle, se reconnectant difficilement à la réalité.