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Poppy ne s’était pas un seul instant imaginée dans un coin pareil ;
la moquette qui couvrait le sol était maculée à divers endroits et affichait plusieurs tâches en forme de cercles (des brûlures de cigarettes ).
A quelques pas de la table de chevet, dans le tiroir de laquelle se trouvait un exemplaire déchiré de la bible – c’était comme un rappel subtile de tous les péchés qu’elle avait commis - , jouait le petit Travis, ses babillements enfantins résonnaient parfois, couverts la majeure partie du temps par le son de la télévision (les infos passaient sur cette chaîne-là, des images de rixes et de pillages ayant eu lieu la vieille dans l’east side angelin tournaient en boucles depuis plusieurs heures -
ces scènes de violence avait pris lieu dans son quartier, celui où elle avait grandi, entourée des gangs latinos et de leur trafic peu recommandable.
Là où elle avait connu Ruben,
là où il avait également été retrouvé mort).
- Tu vas voir, on sera bien plus heureux sans cette bande de cons moralisateurs.
A cet instant là, aucune des paroles prononcées n’était sincère ; avec seulement quelques dollars en poche, tout juste de quoi payer cette maudite chambre, dans ce maudit hotel situé à quelques kilomètres de Fresno, il était plus qu’évident qu’ils viendraient vite à manquer de fric.
Ses parents, un couple d’américains très middle-class n’avaient fait aucun effort à l’annonce de sa grossesse et l’avaient aussitôt blâmé : dotés d’une clairvoyance toute parentale, ils lui avaient prédit un destin semé d’embûches et une fin misérable, leur piété n’avait visiblement d’égale que leur impressionnante capacité à juger leur prochain.
Elle avait balancé ses affaires, négligemment, dans la malle de la vieille pontiac qui avait appartenu à Ruben et déboité pour enchainer les accélérations dans le seul et unique but de mettre le plus de distance possible entre ceux qui n’avaient pas hésité à l’accabler et eux (son bébé, sa future vie géniale et elle).
A cette époque déjà, Poppy aurait pu se douter que les choses ne se passeraient pas comme dans un épisode de Happy Days (une série qu’elle regardait , petite, et qui était souvent rediffusée sur la ABC), elle aurait pu lister avec acuité toutes les raisons qui faisaient de son entreprise une tentative désespérée de donner tort à ses juges.
De donner tort à sa conscience.
Elle n’avait jamais été connue pour sa rationnalité et se démarquait par sa spontanéité qui était facilement – peut-être trop facilement- interprétée comme un manque cruel de dicernement. Et c’était évident, oui, irrévocablement, qu’elle était d’une crétinerie sans bornes – embarquant un môme dans son périple foireux.
Un beau jour, elle se retrouva à Détroit, sur le pas de la porte de Maria Diaz, dans les bras de laquelle elle n’hésita que quelques fractions de secondes avant de balancer Travis alors agé de quatre ans.
Elle avait quand même tenue quatre années avant de donner raison à monsieur et madame Mills (qui avaient consenti – acte de pur charité chrétienne – à « « offrir » » leur nom à leur petit fils). Travis Mills – bambin blond - se retrouva donc chez Maria Diaz – latina mate au regard sombre – sexagénaire qui peinait déjà à joindre les deux bouts -, tout ce qu’elle vit, avant de considérer leur lien de parenté, c’était une seconde bouche à nourrir. Et cela faillit la pousser à composer le numéro des services sociaux.
Il croquait dans une barre chocolatée Mounds lorsqu’il vit la silhouette de sa mère s’éloigner,
il ne chiala que trois jours plus tard lorsqu’il comprit enfin que ce départ était définitif.
Et c’était bien la dernière fois qu’il se surprit à faire cette erreur.
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Les bafles disposées là par la meute diffusaient une playlist mixée par les soins de Sandro « Cujo » Bones, membre incontesté de l’équipe Cobra 1, il s’enorgueillait d’ailleurs, une poule à moitié allongée sur lui, d’avoir passé seulement une demi heure à régler leur enchainement, non sans jeter de – pas du tout- discrets coup d’oeil à Travis qui ne voyait pas la moitié des scènes qui se déroulaient sous ses paupières,
le combat remporté deux heures auparavant , avait laissé quelques séquelles, la face tuméfiée qu’il arborait aurait pu faire fuir
bigfoot itself s’il y avait été confronté.
Les cadavres de bouteilles s’amoncelaient et les meubles sur lesquelles elles tronaient n’étaient même plus visibles, le son était trop fort, les discussions toutes – sans exception aucune- trop animées – régnait un vacarme que seul la folie semblait alimenter.
Travis , star de la soirée, nu comme un ver, immergé dans le jacuzzi – comptait les points lumineux qui scintillaient dans l’ciel - tellement alcoolisé qu’il n’avait même plus accès à sa mémoire et que ce qu’il aurait facilement pu identifier comme des étoiles n’étaient plus réduites qu’à…
eh bien, des points lumineux
- Est-ce que tu veux qu’on disparaisse dans ta chambre ? De quoi est-ce que cette gonzesse parlait ? Toute cette putain de fiesta se déroulait dans ce qui lui faisait office de chambre, elle n’espérait quand même pas qu’il la serre dans les chiottes ? Ou dans ce jacuzzi ?
Le jacuzzi.
Ou les chiottes.
(?)C’était une de ces questions dont la complexité se révélait en fonction des boissons avalées avant de les avoir formulé.
Combien de gars avant lui avaient été rendus fous par ce genre de question ?
Le jacuzzi ou les chiottes, bordel, de, merde.
- Non, pas question. Toi, tu dégages !La voix de Drazic, son coach, avait resonné – claquant l’air comme un fouet dont l’extrémité avait raclé une partie du derme déjà fort ravagé de sa pommette dans la foulée. Il avait jeté un peignoir à la jeune femme , son attention concentrée sur le fighter qui souriait, bêtement – toujours bêtement lorsqu’il était pris sur le fait- les couilles à l’air (enfin, plutôt à l’eau).
-
Le directeur de l’hotel envisage une injonction contre toi ; putain de merde, un mec vient de jeter l’écran plasma et...il vient d’atterrir dans la piscine.Drazic avait l’air de frôler la crise cardiaque et s’était précipité pour observer la chute du téléviseur.
Ce mec était un véritable ninja.
Sinon, comment expliquer la vitesse à laquelle il ralia la balustrade au coin situé à l’extrémité où le jacuzzi était installé en moins de trois secondes ?
- Le monde a déjà la désagréable possibilité de mater une vidéo de ta bite sous toutes les coutures //- C’est pas moi qui l’ai snapé.- C’est ta bite, oui ou non ? fit le slovaque, d'une voix égale.
Pénaud, Travis opina du chef, baissant légèrement le regard.
C’était déjà bien qu’il n’ait pas une estime de lui-même décuplée par sa consommation d’alcool post combat ( il arrêtait bien la tise, le sexe et toutes les réelles sources de plaisir et de distraction avant une rencontre), ç’aurait été un comble.
Un snap de sa queue.
Si la Culebra Diaz, sa tia, avait encore été en vie, elle lui aurait donné quelques coups de Bible dans le pif.
- Et te voila batifolant dans un jacuzzi, en compagnie d'une nana qui n'attend que ça, alors que tu devrais...Qu'est-ce qu'il devait faire ?
Penser au prochain combat ? A l'oseille qu'il se ferait s'il venait à le remporter ? Mais, s'il avait jusque là réussi à s'en sortir, qu'est-ce qui garantissait que le vent ne se la joue pas salaud et décide de tourner ?
Nada.
La vie ne s'était pas toujours montrée réglo avec lui (son père était mort, vidé de son sang à quelques pas d'une épicerie, sa mère s'était tirée le laissant chez une nana qu'il n'avait jamais vu jusque là, adolescent, on lui avait diagnostiqué une bipolarité qui ne le rendait que trop turbulent et imprévisible; il avait enterré son père, son meilleur ami, sa tia...il avait vingt neuf ans et la liste était déjà trop longue).
Lorsqu'il vit arriver dans sa direction Souleymane - son cornerman d'origine palestinienne - , tendant une barre chocolatée Monds pour lui faire reprendre des forces,
son corps refusa le souvenir et comme pour marquer son positionnement concernant le sujet fit contracter son estomac qui déversa son maigre contenu sur le slovaque.
Ça n'allait être ni le jacuzzi, ni les chiottes,
apparemment.