Du pain, des tomates, des haricots blancs, un avocat… J’oublie un truc, j’en suis sûre. Michelle inspecte pour la millième fois sa liste de courses, figée devant le rayon fruits et légumes. S’il y a bien une chose que la rousse déteste, c’est remplir le frigo. Il lui arrive souvent de regretter l’époque où il se remplissait comme par magie… Où par la magie de la bonne de papa. Malgré tout, cela lui plaisait de vivre seule, même si elle devait apprendre à faire pour la première fois de sa vie les tâches ménagères et pire, la cuisine, en ces rares jours où elle prenait la bonne résolution de se préparer son repas et de ne plus faire appel aux livreurs. Ce qui finissait souvent par arriver. Mais elle se sentait libre, presque qu’adulte. Elle souffla un grand coup et se dirigea vers la caisse, faisant claquer ses talons. Elle se souviendra de ce qui manquait une fois à son appartement. La jeune femme dépose son sac sur le tapis roulant en expirant bruyamment une nouvelle fois pour exprimer son agacement. La caissière n’aura qu’à sortir les articles du sac, elle était payée pour ça après tout, elle n’avait que ça à faire. Michelle attendait son tour, les mains sur les hanches, son regard se baladant de client en client autour d’elle. Ses grands yeux bruns ne manquaient aucune information, tout était bon à jugement. L’horrible robe jaune de la femme à la caisse en face qui la boudinait comme un gigot. Le vieil homme fripé derrière qui comptait ses pièces et ses coupons de réductions. Ou encore le garçon derrière qui venait certainement de quitter le carton qui lui servait de maison. Son regard s’attardât sur ce dernier. Un bonnet gris, un style douteux, un air renfrogné… Elle connaissait cet homme. Elle le connaissait même très bien. Rainer Mu.. Mo.. Truc. Seul son prénom lui revenait à l’esprit. Rainer, c’est ce type bizarre qui restait au fond de la classe au lycée, celui à qui on pique les vêtements quand il est dans les douches du bahut, celui avec qui –ou plutôt de qui– on rit à chacun de ses mots. Un sourire se dessine sur le visage de Michelle. Plein de bons souvenirs avec ses amies refont surface. Il y a quelques semaines, elles l’avaient trouvé sur un réseau social et une idée avait germé dans l’esprit de la belle : reprendre contact avec. Retrouver ces délires avec les filles ne serait-ce que le temps de quelques conversations, avant qu’il capte. L’agent double envoyé pour cette mission, Daphné, était bien coopérative au début. Chaque mot était rapporté, des blagues étaient lancées, moult rires étaient émis. Puis elle en parlait de moins en moins, riait de moins en moins. Lorsque Michelle l’évoquait, Daphné paraissait distante, embêtée… C’était louche, très louche. Lui cacherait-elle quelque chose ? Impossible, rien n’échappait à la rousse. Il était temps de mettre les choses au clair, calmement, en douceur. Michelle entendit la caissière dire « S’il vous plaît, bonne journée mademoiselle ! ». Elle l’ignora, repris son sac, jeta sa longue chevelure dans son dos et se mis à marcher d’un pas pressé vers la sortie. Il ne fallait pas que ce hobo lui échappe. Elle finit par le rattraper. Il avait la tête baissée, ses yeux cachés par ses cheveux noirs, les mains dans les poches. Elle toussa bruyamment. Une fois. Deux fois. Voyant qu’il ne daignait pas se retourner, elle augmenta la vitesse, se planta devant lui, les bras croisés.
- Tu te souviens de moi, cas social ?
Quelle question, qui ne se souviendrait pas d’elle ?