All endings are also beginnings. We just don’t know it at the time. B & T
Après avoir passé une superbe journée de merde (probablement la plus merdique depuis celle où Trump avait été élu président et ex aequo avec celle où son père avait découvert la liaison de son épouse – confrontant le plus jeune, Taj, à son terrible mensonge par omission) – l’oxymore saluée par la conscience accrue que Stein avait à cet instant là de la migraine qui lui bouffait les neurones jusqu’aux sinus pour le rendre intolérant aux rayons solaires, le fait d’avoir mis la main sur un simple – plutôt banal, facture quelconque, couverture en cuir – bloc note représentait un clin d’oeil voire une pichenette du destin, esquissé.e dans le seul et unique but de chasser l’énorme cumulonimbus qui le suivait sans cesse depuis qu’il avait eu la malencontreuse idée de quitter l’espace réconfortant de son king size douze heures plus tôt. La longueur de la phrase précédente aurait pu suffire à l'achever. - On fait une pause – avait-il déclaré, alors que la luminosité faiblissait et que la foule, de curieux badauds amassés là depuis l’installation des premiers rails et projecteurs, s’était grandement dispersée pour ne laisser qu’une poignée de guérilleros prêts à installer un campement s'il leur en prenait l’envie. De toute façon, l’intérêt de toute la scène réside dans le fait qu’elle soit censée se produire aux premières lueurs de l’aube ; c’est le crépuscule et bientôt il fera nuit. Il n’avait pas son mot à dire ; ce qu’il fichait sur ce lieu de tournage, pourquoi il squattait une chaise haute, en se permettant de gratifier les acteurs de quelques unes de ses remarques sur leur élocution, leur posture – clairement le rôle du réalisateur – lui échappait grandement. Peut-être s’agissait-il d’un moyen obsolète et parfaitement pathétique de se changer les idées ; d’oublier qu’il y avait – quelque part, à New York – quelqu’un qui aurait été heureux de pouvoir rire de son malheur, quelqu’un qui attendait, dans l’ombre, qu’il commette une autre erreur, pour le pointer d’un doigt accusateur et l’assommer de reproches. Ce à quoi il avait eu droit un nombre incalculable de fois ces derniers temps– en dînant avec le reste du clan Stein, le rabbin, les principaux investisseurs, l’équipe de la prochaine pellicule qui avait pour titre provisoire « La tête dans les nuages », en croisant Athenais à cette fête de fiançailles minable, en s’engueulant avec – à peu près- tous ceux qui avaient compté ou comptaient encore pour lui. « La tête dans les nuages », putain ! Un titre qu’il trouvait d’une ironie sans bornes, alors qu’il avait l’impression d’avoir effectivement la tête dans les nuages ( d’un genre gorgé de pluie). - Tu tires exactement la même tronche que James Franco aux Oscars ; dire qu’il aurait pu être récompensé pour son «The Disaster Artist » s’il ne se l’était pas joué Weinstein lui aussi. Bordel à cul, sérieusement ? Allaient-ils s’engager dans une énième discussion anti-harcèlement sexuel alors que tout ce qui comptait à cette minute-là c’était le calepin emprisonné dans sa main et qu’il serrait compulsivement depuis une bonne demi heure ( il avait peut-être bien besoin d’une tasse de café, sans sucre, servie avec le sourire ou n’importe quel type de rictus qui puisse le laisser complètement indifférent). Un assistant s’était adressé à lui. Avec confiance, le ton un brin présomptueux. Depuis quand les assistants se donnaient-ils le droit d’ouvrir leur boîte à conneries avec un scénariste en vogue comme lui ? Il ne plissa pas les paupières, ni ne lui offrit ses pensées – elles auraient été gravement insultantes et, bon, ça n’était qu’un simple assistant (combien pouvait-il bien être payé à lécher des culs toute la journée, franchement?) Entre deux pirouettes linguistiques, Taj s'était enfin souvenu que son absence pour les derniers enregistrements n’allait pas changer la donne, que sa présence toute entière n’avait pas servi à grand-chose et c’est pour cette raison – et une autre plus absconse encore – qu’il prit la tangente, saluant au passage certains de ses collègues plus pour la forme que par pure camaraderie (la plupart n’était constituée que de gros branleurs qui n’auraient jamais eu de job sans les rouages du népotisme). Quand on s’appelait Taj Stein : on était soit né sous une étoile éteinte, soit garant d’un tirage de ficelles frauduleux. Le monde s’accordait souvent à dire qu’il n’était qu’un énième fils à papa. Et ses manières de gosse pourri gâté n’aidaient aucunement à changer son image. Il enfourcha sa bécane, coinça l'objet dans la poche de son blouson et démarra à la sauvage. Ce fatras de notes, de dessins, de textes n’avait eu de cesse de titiller sa curiosité depuis qu’il avait mis la main dessus. Il fallait qu’il le rende à sa propriétaire ; une certaine Bonnie et à en croire l’emploi du temps glissé entre les pages, son dernier cours de la journée allait s’achever dans l’heure. Evidemment, il mit les bouchées doubles. Cela faisait un sacré bail qu'il ne s'était pas mêlé à la plèbe estudiantine, ne trouvant son bonheur que dans des rassemblements d'intellectuels "on fleek" à la con; lorsqu'il posa le regard sur les hordes successives, il se rappela que l'ambiance générale ne lui avait pas manqué. - Bonnie Weaver ? questionna-t-il, lorsqu'une tentative facebook fut un énième échec. Aucune photo de la gamine sur la toile, rien qui ne puisse lui faciliter la tâche, comme s'il avait mis la main sur les carnets de notes de Mark Twain, version invisible. D'après les indications de la nana qui bossait à l'accueil, il était devant la bonne salle. Mais, cette @Bonnie Weaver ne devait pas avoir tant le vent en poupe si même le thon auquel il venait de demander l'info n'avait aucune idée de qui il pouvait bien s'agir. Il se résolut à agiter le calepin jusqu'à ce qu'il finisse par attirer un regard. Il arqua un sourcil et , s'avança prudemment dans la direction de la silhouette. - Particulièrement fan du second texte intitulé "Weasley"...grande admiratrice d'Harry Potter ? Moi, c'est Taj Stein ou tu peux aussi m'appeler celui-qui-a-retrouvé-mon-calepin.
meet me halfway ★ I want you so badly, it's my biggest wish ft. taj
Je n'étais pas bien, je n'avais pas dormi de la nuit, je n'avais même pas pris le petit déjeuner avec mon frère ce matin, je n'étais même pas concentrée en cours... J'étais obsédée par le carnet perdu, j'avais toute ma vie à l'intérieur, mes pensées les plus intimes, sur le sexe, l'alcool, l'amour, la décadence de la nuit, des écrits, des poèmes, des chansons que je jouais parfois au piano. Si quelqu'un de la fac l'avait récupéré j'étais fichue, foutue, dans la merde, oui, on pouvait le dire.
Chaque regard rivé sur moi à la fac me donnait envie de vomir, déjà qu'ils étaient moqueurs de base, là j'avais l'impression que c'était pire. Je transpirais, j'avais la bouche sèche, mes yeux étaient légèrement rougis dû à la fatigue, les cernes se dessinaient sous mes yeux. Si mon frère apprenait tout ce qu'il y avait dedans, il allait me tuer. Il ne savait pas que j'avais envie de sexe, de "vivre" comme une jeune de mon âge, pour lui mon plus gros amour c'était mes études et lui, voilà. Il n'avait pas tord. Je l'aimais. Je pourrais mourir pour lui, le savoir avec d'autres filles m'anéantissaient, mais qu'est-ce que je pouvais faire contre ça? C'était mon frère, non mon mari. Alors pourquoi moi je me privais pour un amour plus que débile et impossible?
Le professeur annonça la fin du cours. Je laissais tout le monde sortir. Je rangeais doucement mais sûrement mon livre, mon ordinateur portable, mon minable stylo.
- Au revoir Monsieur.
Il me salua d'un signe de tête en finissant d'éteindre le rétroprojecteur, jusqu'à qu'une fille vienne me bousculer gentiment.
- T'as un beau gosse qui te cherche. - Quoi ? - Regarde là-bas, t'as de la chance.
Il agitait mon carnet dans tous les sens. Je ne fis même pas attention à cette fille qui apparemment bavait déjà sur lui, mais je fus partagée par deux sentiments : le soulagement de retrouver mon carnet mais aussi la peur... Peur car cet homme connaissait sans doute trop de choses à mon égard. Je courus presque vers lui, les pupilles dilatées et sans dire un mot je lui pris le carnet des mains.
- Où vous l'avez trouvé??? Vous avez lu... Quoi dedans?!
J'entendis la dite-fille rire lorsqu'elle passa à côté de nous. Je mettais mon sac sur une table de l'amphithéâtre et je rangeais en toute vitesse mon carnet à l'intérieur. Je n'osais même plus regarder cet homme... Pourquoi était-il beau? Puis un homme? Puis pourquoi il avait voulu me le rendre? Il aurait pu le brûler, ou m'afficher en public.... Ou me piquer certains de mes écrits s'il écrivait aussi.
- J'ai rien à vous offrir si vous cherchez une quelconque récompense...
Je n'avais pas d'argent, pas de drogue sur moi, je ne pouvais le faire rentrer dans aucune soirée... J'aurais préféré que ce soit une gentille mémé de 70 ans qui retrouve mon carnet, mais là... Il était bien trop imposant et intimidant. Je sentais déjà mes joues se rougir et mon coeur s'accélérer. Je remettais mon sac à dos sur mes épaules en cachant ma poitrine généreuse de mes bras. Oui, j'avais un débardeur où le décolleté était déjà trop prononcé, alors face à lui c'était juste.... gênant.
- J'ai une tête de gamine mais je ne fais pas partie du club fan d'Harry Potter donc c'est loupé...
Je voulais fuir, j'aurais dû. Pourtant je restais là, face à lui, osant enfin le défier du regard.
All endings are also beginnings. We just don’t know it at the time. B & T
Il était tombé dans le métier comme Obélix dans la marmite de potion magique, tôt et contre toute réelle attente. Pourtant, il avait longtemps cherché à désavouer ce que le commun s’amusait à nommer « la malédiction des Stein », toujours prompts à s’illustrer dans un milieu qui souvent ne leur avait pourtant pas rendu la vie facile (les critiques se révélaient virulentes, l’un avait un jeu bidimensionnel, l’autre un angle trop étroit, une vision restreinte, une moustache de pervers, c’était dit : l’on cherchait facilement la bébête et même le plus casual des Stein n’était pas épargné. Atticus Stein, perdu au milieu du montana, élevant ses vaches et se la jouant cowboy tout droit sorti d’un vieux Eastwood, par exemple). Mais pour Taj, pour le scélérat, le vilain petit canard auquel l’on n’aurait rien donné, pas même le bon dieu sans confession – diantre comme il était énervant, ce môme ! - c’était différent, une différence qu’il avait senti jusqu’à la moelle de ses maudits os, qui l’avait arraché à la définition de la norme pour le placer à l’écart, aux yeux de tous, surtout de ses propres parents qui n’avaient eu de cesse de le dénigrer pour des travers dont il ne répondait pas tant que cela. Tantôt « l’irrascible », tantôt « l’insolent », il n’était – et ce, à aucune exception près – que l’irrécupérable ; celui qui maculait de boue le nom, exhortait l’opinion publique à la diffamation, rendait imprononçable les quelques lettres dont son prénom était constitué : Taj ; il s’était rebaptisé par la force des choses et contre l’avis général, averti. Un quart de siècle au comptoir (oui, parce qu’il adorait boire), grand bien lui fasse, il ne pouvait plus supporter les piques à peine déguisées derrières les simples palabres ; des politesses esquissées avec des risettes entendues, barriolées d’intentions putrescentes : on le condamnait et il feignait l’indolence. Avec tout le monde, même avec l’autre (dont il avait détruit le vinyle de merde, s’il ne pouvait l’avoir, il avait fait en sorte qu’elle non plus ne l’ait pas). Mais, il se tenait bien là, pas le moins du monde penaud face à la froideur du contact, pas plus enorgueilli par la maladresse de son interlocutrice ; il la fixait d’un regard où se mêlaient chaleureusement l’amusement et la perplexité, dansant un slow où aucun faux pas n’aurait pu être toléré. Elle l’avait délesté du calepin, furtive comme un lièvre, pourtant, son regard , lui, était aussi languide qu’un cour d’eau ; il y avait surement un lever de soleil dans ses iris, il le perçut rapidement, au cours de cet instant fugitif où il aurait aimé pouvoir s’abandonner aux mots, pour les lui dire, les lui chuchoter, les lui montrer, autrement. - Une simple supposition – ainsi s’était-il trompé ? Qu’est-ce que cela changeait, au fond ? Rien. Il avait tout de même l’intention de lui proposer d’aller le boire ce fichu verre, quelque part où les lumières étaient étudiées pour distordre la réalité et donner à quiconque jouissait d’un spot l’impression d’évoluer dans un rêve : affranchi des qu’en dira-t-on, suspendu au dessus d’un vide, sans avoir la moindre peur d’y faire un plongeon. - J’ai tout lu, c’est vrai. A quoi ça pourrait bien servir que je m’en cache ? - le prenait-elle pour un salaud ? Peut-être , la perspective redoubla son amusement – il aimait être capable de surprendre, d’offenser, de susciter un intérêt et , celui qu’il avait réussi à percevoir chez ladite Bonnie méritait qu’il s’arme de patience, il avait la même attitude face aux personnages de fiction, à ceux qui prenaient forme sous sa plume, lorsqu’il le voulait. Comme il les voulait. Le second texte était intéressant, les tournures de phrases, les rimes, leur panache ! J’étais quasiment mort d’ennui lorsqu’un assistant m’a tendu ton calepin. Et puis, tout à coup : j’étais comme ressuscité. Ça n’a pas dû plaire au réalisateur – duquel j’avais effectué 80 pourcent de la tâche - , que mon intérêt passe de son énième navet à ce calepin que tu viens de planquer dans ta besace. T’aurais pas honte de tes écrits, quand même ? Son ton était taquin. Je n’avais pas prévu d’obtenir une récompense mais maintenant que tu en parles, ça te dirait d’aller boire un verre quelque part, histoire de je te cite : « m’abandonner à la déraison éph-amèrement ». Mention spéciale au jeu de mots. Il avait eu le temps, disons, d’apprendre par coeur quelques citations.
meet me halfway ★ I want you so badly, it's my biggest wish ft. taj
J'avais envie de partir en courant et de rester à la fois. Mais j'en tremblais presque, je savais pas quoi faire... Il ne cessait de me dévisager, de me regarder de bas en haut puis de haut en bas comme si j'étais un objet non identifié. J'avais envie de pleurer tant tout était intime dans ce carnet.
- Supposition, donc vous vous trompez, voilà.
Pourquoi ne partait-il pas tout simplement ? S'il était venu ici dans l'espoir de coucher avec la propriétaire du carnet, juste ma simple présence aurait dû le décourager et non, il était encore là. Il vint même à m'expliquer le comment du pourquoi de MON carnet entre ses mains. Mains que je regardais inconsciemment où j'admirais ses longs fins doigts bien formés... J'avais lu que les mains pouvaient être considérées comme une zone érogène pour certains ou bien alors une zone de fantasme pour de nombreuses femmes qui espéraient voir ces dernières posées sur leur corps. Non, je devais arrêter.
Je me grattais la gorge en revenant plonger mes yeux dans les siens mais certains mots qu'il avait prononcé me "tiquèrent". Assistant? Réalisateur? Qui était-il? Était-il connu? Où alors travaillait-il avec des gens de certains noms? Sauf que sa question me fit vite redescendre sur terre. Il avait tout lu, je ne savais pas s'il se moquait de moi sur mes écrits où j'hurlais à la mort mon envie de me délivrer sexuellement ou dans la vie en générale. Non. Il se moquait.
- Je...
Il ne me laissa même pas le temps de répondre à sa "fausse question" qu'il rebondit directement sur ma "fausse invitation." Mon coeur s'emballa de nouveau, encore plus quand il cita un des passages de mon poème. J'avais chaud, ma gorge se nouait, mon estomac me torturait.
- Tu n'avais pas le droit de lire!
Voilà que je le tutoyais enfin, en passant à côté de lui, le bousculant de façon assez violente pour vite m'enfuir dans le couloir de la faculté pour vite rejoindre la sortie. Je devais être filmée, c'était impossible. Un garçon comme lui ne pouvait comprendre mes mots... Il était beau garçon, il semblait "populaire", avoir un métier prenant, entourant des personnes "connues", alors pourquoi était-il venu ici ? Pour se ficher de moi? Y'avait-il une équipe de tournage pas loin pour me tourner au ridicule?
Mais il m'intriguait. Je m'arrêtais devant la porte qui menait à l'entrée de la fac. Il m'avait suivi à son rythme. C'était la première fois de ma vie qu'un garçon m'invitait à boire un verre. Première fois. Etait-ce un piège? Un test? Une véritable invitation?
- Tu veux aller où?
Est-ce qu'il faisait parti de ces garçons osant faire des paries sur des filles comme moi pour les tourner au ridicule? J'attendais qu'il se rapproche pour sortir avec lui de cette maison du savoir, comme j'aimais appeler l'université. Pleins d'étudiants nous entouraient, il n'y avait aucune caméra rivée sur moi, pas de regard malsain ou malaisant rivé sur nos deux corps vivants... Et c'était une fois dehors que la caresse du vent naissant vint me titiller les narines pour me faire sentir le parfum de cet étranger. Il sentait extrêmement bon. J'avais l'habitude des parfums de mon frère, mais lui, c'était nouveau.
- Je ne suis pas sûre que tu puisses m'aider à la déraison. Puis peut-être que tu as mal interprété mes mots, mes tournures de phrase... Il faut un certain recul, une certaine imagination. Si tu as lu mes écrits parce que tu t'ennuyais, tu as clairement dû passer à côté de plein de choses mais je ne te laisserai plus rentrer dans mon univers. Tu en sais trop. Qui te dit que tu ne vas pas devoir en payer les conséquences ?
Faible menace, débile menace, maladroite menace surtout. Il faisait deux têtes de plus que moi, était plus musclé et fort que moi. Il était le loup et moi la pauvre brebis sans défense et aussi étrange soit-il... Ca me faisait palpiter le coeur à cent à l'heure.
All endings are also beginnings. We just don’t know it at the time. B & T
De tous les droits qu’il s’était un jour donné, celui de lire, de dévorer ce maudit calepin et les textes qui y étaient couchés était sans le moindre doute le moins condamnable. Pourtant, l’offense le fit tiquer, dans ce grain velouté, celui d’une voix qui ne semblait pas du genre à résonner à quelques décibels. Il avait fouillé dans les affaires de son ex, pérégriné naturellement dans les méandres de son téléphone cellulaire, il s’était affairé dans les nids de vipères et creusé un trou dans les milieux les plus hostiles pour se construire une place de choix, s’offrir des bases solides, cimentées par des convictions, des rêves aux allures de projets chichement protégés. Taj Stein n’avait pas seulement connu le faste, la facilité. Il était capable de reconnaître les différentes nuances de cette difficulté que certains dépeignaient comme une misère, il était capable d’en tracer les contours du bout des lèvres, d’un murmure guttural qu’aucune équivoque n’aurait pu altérer : dans ses billes d’acier incandescent. Il ne fit aucune remarque lorsqu’elle le bouscula, il accueillit l’étreinte – éphèmère – comme il aurait accueilli la pointe d’une dague soigneusement aiguisée, de cette souffrance teintée de soulagement, prêt à en découdre avec les questions existentielles. En posant les pieds dans cette fac, à la recherche de la propriétaire du feuillet, il n’était soumis à aucune interrogation, clairvoyant entreprenant un périple dont les secrets n’étaient plus à découvrir. Il les avait lu, il les avait parcouru avec cette curiosité quasi scientifique qu’il affichait face à la vie, aux interactions entre ses semblables, face à ce qui était simple et pourtant si complexe, effarant de factualité. Taj Stein était un chasseur de songes ; il n’y avait que dans leurs volutes qu’il puisait l’inspiration, cette volonté folle de poursuivre. Et alors que la jeune femme , à la peau qui lui rappelait les dégradés ocres des bâtons de cannelle, dardait sur lui des yeux qui modulaient un visage aux rebonds encore poupins, il se surprit à vouloir s’abandonner, lui aussi, à la déraison, éph-amérement. Il n’était qu’un piètre humaniste. Mais, il était le meilleur dans le domaine, piètre jusqu’aux propositions dont il était fidéjusseur. Il lui emboîta le pas, mains nonchalamment enfoncées dans les poches d’une veste qui avait connu des jours moins sombres (les prémices, sur le portant d’une boutique qui avait depuis été détruite, à bushwick. Avant que les hipsters ne colonisent l’endroit et le transforment en temple vegan). Il n’avait aucune arrière pensée, du moins pas dont il se garderait de faire part à la principale concernée le moment venu. - Là où tu n’auras jamais mis les pieds, pour commencer – répliqua-t-il, aussitôt la question fut prononcée. Enfant du coin, il ne ratait jamais une occasion de babiller sur les charmes et les recoins méconnus d’une ville qui n’avait jamais autant été sous les projecteurs (les films prenaient place dans ses ruelles, les chansons dépeignait son effervescence, les bouquins en faisaient un paradis terrestre au revers moins recelleur de rêve – somme toute, New York intriguait, soulevait les foules, elle rendait fou). Etait-ce aussi le cas de Bonnie Weaver ? - Pour quelqu’un qui écrit noir sur blanc qu’il manque d’audace, je te trouve un certain aplomb – fit-il, accompagnant ses paroles d’un sifflement approbateur. Il n’avait clairement rien à gagner, ni rien à perdre : il avait du temps et il était prêt à gager une partie de ce qu’il considérait plus que le fric. Il y a un bar-restaurant-bibliothèque qui sert les meilleurs Aperol Spritz qu’il m’ait jamais été donné de goûter ,situé dans le vieux Brooklyn, ouvert à cette heure-ci.Il avait prononcé ces mots, sous la forme d’un constat. D’un ton égal, sans artifices. J’ai vu et vécu bien trop de choses pour mal interpréter ce qui peut me tomber sous les yeux, Bonnie. Il la tutoyait et usitait de son prénom, royal, comme s’il en était déjà devenu propriétaire. Peut-être qu’elle n’avait pas son mot à dire. Que dans son imaginaire d’homme à qui tout tombait dans le bec, elle faisait partie d’un décor, restait à savoir duquel il s’agissait. A quoi il faisait référence. Il savait que seul le temps le leur dirait. - Après, peut-être que tu comptais réviser ou faire un truc barbant du genre. Il haussa les épaules et décida de s’engager dans la direction du parking, là où il avait immobilisé sa moto. Il n'avait pas peur des conséquences et, il avait surtout de quoi se les payer, elles aussi.
meet me halfway ★ I want you so badly, it's my biggest wish ft. taj
Je me sentais bête, très bête. Sa posture, son phrasé, sa présence, sa façon de s'exprimer, le ton de sa voix. Tout me rendait ridicule. Moi "l'intello de la promo" était surpassé par autrui, un élément étranger qui plus est. Il restait si calme, comme si tout était sous contrôle, alors que je paniquais. Je sentais encore mes mains moites, ma respiration se saccader, mon coeur s'accélérer. Dans mon propre univers je me sentais bête, mais pas juste à cause de mon manque de "culture" sociale, mais là on arrivait sur mon domaine : l'intellectuel et ça me braquait. Il connaissait tout de moi, il me connaissait même mieux que mon frère. Mes écrits étaient ma vie, la "vraie Bonnie" avec ses passions, ses envies, ses désirs... Pour qui me prenait-il ? Il savait que j'étais vierge, inexpérimentée avec une soif d'envie et de savoir à ce niveau. L'amour que je ressentais envers mon frère... mon impopularité, mon inexpérimentation sociale... Tout. Alors quand il me dit m'emmener à un endroit que je ne connaissais pas, je ne pouvais même pas nier le contraire vu ce que mon carnet lui avait dévoilé.
- Arrête de me parler comme si tu me connaissais... Ca... Ca m'énerve.
Ca m'énerve car il avait raison. J'avais à peine retenu son prénom... Taj? Oui je crois. Je n'en étais même plus sûre tant tout cela était soudain et inattendu à mes yeux. On continuait d'avancer dans la cours de la fac, se dirigeant vers le parking, je le dévisageais, j'étais comme obnubilée par lui mais j'étais surtout horriblement effrayée. Est-ce qu'il avait fait des copies de mes écrits ? Voulait-il dévoiler mes envies et fantasmes à autrui ? Quand il évoqua l'Aperol Spritz je ne savais même pas ce que c'était... A boire je supposais. Etait-ce fort? Je n'avais jamais bu une goutte d'alcool de ma vie... Et je n'avais surtout pas l'âge légal pour boire. Je n'avais que 20 ans et non 21.
- Pourquoi tu tiens tant à m'emmener là-bas... ?
Il m'intriguait, je me sentais dépassée par la situation. J'étais à deux mètres derrière lui juste. Il m'expliqua qu'il avait connu bien de choses dans sa vie pour "mal interpréter" cela. Il avait quel âge ? D'où il venait ?
- Excuse-moi mais... Tu es qui? Tu connais beaucoup de choses sur moi mais... J'ai à peine retenu ton prénom. Taj ? Pourquoi tu veux m'inviter à boire un verre? J'ai... 20 ans. Ils ne me laisseront jamais boire quoique ce soit. Et pour ta gouverne non, j'ai déjà révisé ce que j'ai à réviser... Mais merci de t'en inquiéter.
C'était faux, j'avais vraiment prévu de réviser ce soir mais cet homme me... Perturbait. C'était la première fois de ma vie qu'on m'invitait à "boire un verre" même si je n'étais pas sûre de ce que cela signifiait. Au bout de deux minutes on arrivait au parking, il commença à s'avancer vers une moto... Je fis les gros yeux. Je comptais prendre le métro pour aller à ce bar...
- Euh.... C'est ta moto ?
Bien sûr Bonnie que c'est sa moto, il n'allait pas voler la moto d'une autre face à une petite intello bien éduquée qui respectait les lois... Jusqu'à présent en tout cas. Désormais mes yeux bavaient devant ce bel engin. J'avais toujours trouvé cela sexy... Mais je n'avais jamais osé monter dessus. Peut-être car personne ne m'y avait invité aussi.
All endings are also beginnings. We just don’t know it at the time. B & T
Lorsqu’il avait observé la chute du répondeur, depuis les hauteurs, sans que la moindre molécule d’air ne semble être dérangée, il se souvient s’être dit : qu’est-ce que ça pourrait bien donner, si moi aussi, je m’élançais dans le vide. La moto, c’était plus une blague qu’un truc pris au sérieux, au début. Taj avait toujours été comme ça, à prendre tout à la rigolade, avant de s’en amouracher – gravement. Il en avait été ainsi, depuis son premier caprice de morveux à sa dernière lubie en date. Il passait d’une envie à une autre, les valses s'enchaînaient, éreintant l’idiot qui ne trouvait de plaisir que dans ce qui finissait par le détruire, d’une manière qui échappait à l’individu commun : cruellement. Trop facilement. La guitare. Le théâtre. L’écriture. Athenais. La moto. Les vieux répondeurs. Les vinyles. (son vinyle) Pourquoi pas celle-là, cette Bonnie, songea-t-il, alors qu’elle portait sur son véhicule un regard effaré, pas prête à se laisser amadouer par la rutilante carrosserie et le casque en rabe dont il s’était muni en fouillant dans la malle rattachée au bolide. Sept cent cinquante centimètres cube. Contre les milles cinq cent d’une boîte crânienne. Ce putain de casque avait une utilité et, il était prêt à parler chiffres pour la lui mettre en exergue, l’utilité, bien sûr. - Ma moto, ouais -fit-il, d’un air perplexe. Il se fichait bien de ce à quoi elle ressemblait, sa bécane. Au début, il avait eu des étoiles pleins les globes et il aurait été capable de disserter sur ses nombreuses options pour lesquelles il avait raqué. A cet instant là, il se fichait éperdument de l’image qu’il renvoyait, celle que la biche percevait, plantée là, à le dévorer d’un regard qui aurait pu abriter tout ce qui se trouvait entre ce fichu ciel et la terre qu’il foulait d’un pas lourd. T’inquiète pas, je ne dépasserais pas les limitations en vigueur et ferais en sorte que même le moins intrépide des papis roule plus vite que moi. Il affichait ce sourire qui avait l’air de suggérer qu’une partie de son blabla était complètement faux et la mettait au défi de deviner laquelle. Taj, il ne manquait aucune occasion, surtout lorsqu’elle avait une frimousse exotique pareille. Il avait des questions. Il comptait les poser. Et il avait bien l’intention qu’elle y réponde. Jamais montée sur un engin de ce type, n’est-ce pas ? A ce que j’ai cru comprendre, t’as pas mal de trucs couchés sur ta to-do liste. Je serais ravi de t’aider à cocher certains. Il lui balança le casque avec si peu de délicatesse puis s’installa lentement sur le véhicule. Qu’est-ce qu’ils ressemblaient à un mauvais cliché, on les aurait dit tout droit sortis d’une daube pour ados.
(…)
- A vingt et un ans tu n’as jamais bu ? - siffla-t-il, après avoir garé l’engin, il se passa une main dans les cheveux, dérangeant davantage leur instable harmonie en ne quittant pas la jeune femme du regard. C’était idiot. Plutôt invraisemblable. Cette rencontre, son comportement. Et tous les fils conducteurs qu’il y avait autour. L’enchainement invisible d’évènements qui les avaient rapproché. Même pas une canette achetée par le grand frère d’un pote ? Même pas une bouteille de whisky soigneusement planquée par un parent ? Il avait bien du mal à croire qu’une licorne pareille puisse se balader à New York, sans qu’un taré n’ait décidé de mettre une pogne dessus. Puis, il se souvint, il remarqua que ledit taré, c’était peut-être lui. Celui-qui-a-retrouvé-son-calepin. Il s’était glissé dans l’intimité de ses pensées, collecteur de ses secrets, de ses désirs. Et de toutes les premières fois dont elle avait été privée. Injustement. Il allait rétablir une justice. - Tes parents auraient du soucis à se faire : entre ce qu’il y a d’écrit dans ton bloc notes et le fait que tu suives un parfait inconnu dans un coin paumé de Brooklyn, à la nuit tombée...c’est pratiquement comme ça que commencent toutes les histoires de meurtres impliquant des jeunes femmes ayant eu lieu dans le coin.
Prosecco et rondelle d'orange immergée dans le verre. - Le patron est un ami - lança-t-il lorsque les deux verres furent déposés sous leurs iris. Alors, si tu as l'intention d'avoir ta première cuite, je pense qu'il s'agit de l'établissement idéal et, je pense surtout que je suis le partenaire idéal.
meet me halfway ★ I want you so badly, it's my biggest wish ft. taj
Il était fier de me présenter sa bécane, ça se voyait. Et plus il semblait sûr de lui, plus sexy et effrayant à la fois. Il me faisait peur car il me connaissait trop, mon ventre était toujours serré, mon coeur battait à cent à l'heure et j'avais follement envie de boire, ma gorge était asséchée tant cette situation me laissait sans voix, perdue, perplexe. A quoi je jouais?
- C'est gentil de te préoccuper de mon bien être...
Ironie bonjour. Je n'aimais pas quand on me parlait de la sorte... Comme une biche fragile, une poupée de porcelaine même si clairement il devait me percevoir ainsi. Déjà par mes écrits mais aussi juste par le fait de tenir "un carnet" avec ce genre de pensées. Qui faisait ça encore à 20 ans passé? Mais pourquoi était il là encore avec moi? Je n'arrivais pas à comprendre. Avait-il prit ça pour une sorte de défi ? Je regardais autour de moi, personne de connu à l'horizon mais lorsqu'il reprit la parole mon coeur manqua un battement.
- Non je ne suis jamais montée sur un engin comme ça, non...
Est-ce que sous ces propos pourtant banales, il masquait des sous-entendus sexuels ? Surtout il parlait de ma "to do list" ce qui me rendit encore plus mal à l'aise. Il savait que j'étais inexpérimentée en tout et ça me braquait... Ca me braquait tellement que j'avais envie de lui hurler dessus et de lui ordonner d'arrêter de me parler de ce carnet.
- Je compte pas faire toute ma to do list avec toi...
De quels points il parlait ? Le sexe ? L'alcool ? La drogue ? Embrasser ? Quoi ? Alors quand il me jeta son casque avec nonchalance, je le rattrapais par pur réflexe en le regardant monter sur sa bécane au ralenti. C'était incroyablement sexy... Chaud. Ouais, j'avais chaud. Je me grattais la gorge et je regardais encore une nouvelle fois autour de moi : personne. Si je ne montais pas avec lui, je resterais l'ennuyante Bonnie jusqu'à la fin de ma vie.
- Et merde...
Je finissais par mettre ce casque qui écrasait mes cheveux au plus haut point, mais au moins il me protégerait de sa folle conduite. Sans plus réfléchir je montais derrière lui, tant bien que mal, je ne savais pas où mettre mes mains... J'étais déjà si proche de lui. Mais pour ma survie fallait bien que je m'accroche alors j'entourais son torse de mes bras et je le laissais partir.
Au début, rien que le bruit du moteur m'effrayait, je fermais les yeux, je froissais bien son haut qui était pourtant si lisse de base mais au fur et à mesure du trajet, j'avais rouvert mes deux perles pour admirer le paysage, le vent sur mon corps et je m'étais mise à sourire. Mon coeur battait gaiement contre le dos musclé de Taj, je sentais encore plus son parfum chatouiller mes narines grâce au vent qui venait caresser mon corps tout entier, j'étais carrément déconnectée de la réalité, j'espérais juste ne pas croiser mon frère.
(...)
Il finit par ralentir et se garer à un parking, à peine arrêté, aussitôt descendue. Je retirais mon casque en me recoiffant tant bien que mal. Je regardais autour de moi, je ne connaissais même pas cette partie de la ville. Il descendait aussi, je le regardais du coin de l'oeil à peine mais il reprit aussitôt avec ses questions.
- J'ai 20 ans... Et non... Je n'ai jamais bu.
A quoi bon essayer de mentir ? Il avait lu mon carnet, il savait très bien que plus sage ou "pure" que moi il n'y avait pas autour de nous.
- Non rien... Généralement je parle pas trop aux amis de mon frère... Et si je touche aux bouteilles de mes parents ou mon frère, je me fais tuer sur le champ.
Je restais à une certaine malgré tout. Je me rendais toujours pas compte de "ce que je faisais". Je devrais être chez moi en train de réviser... Mon frère allait rentrer et je devais au moins le prévenir. Alors je pris mon téléphone et j'inventais un mytho comme quoi j'allais assister un médecin de garde à l'hôpital, tard ce soir, là où je faisais mon stage.
- C'est bon j'ai 20 ans, j'en ai pas 14... J'ai mon permis, je ne vis plus avec eux, je suis responsable... Mais si tu veux que j'me tire, t'as qu'à le dire. Tu le veux ce verre ou pas ?
Je le fusillais du regard avant de me diriger d'un pas décidé vers le bar.
(...)
Assise au comptoir, le bar était assez calme. Du brouhaha certes, une musique de fond que je ne connaissais pas certes, mais j'entendais très bien Taj. Personne ne m'avait demandé mon âge, les gens saluaient Taj et on fit servi en premier alors que des gens attendaient. Je m'installais correctement un grand tabouret, ne sachant même pas où regarder... Jusqu'à avoir mon verre face à moi. C'était quoi ? Il avait demandé un "Prosecco" mais c'était quoi ? Je me sentais tellement stupide.
- Pourquoi tu serai le partenaire idéal ? Pour me violer et me tuer après ? T'as bien parlé de meurtre tout à l'heure non ? Tu comptes me tuer comment ?
Demandais-je l'air narquois, tout en douceur en sirotant un peu mon verre. Je fis un peu la grimace au début mais ça se buvait. J'essayais de devenir avec mes papilles gustatives à quoi ça pouvait s'assimiler le plus. Du vin ?
- Puis ça semblerait logique... Qui viendrait rendre un tel carnet à une nana inconnue au bataillon... Pour l'inviter à l'autre bout de la ville dans un bar méconnu du grand public. Je suis loin de chez moi, j'ai menti à mon frère... Concrètement, à part toi, personne ne sait où je suis. Donc t'es l'assassin idéal.
Une autre gorgée, je buvais trop vite, mais ça se laissait boire tellement rapidement. On m'avait toujours conseiller de boire doucement le jour où j'oserai, mais là... Ca se faisait naturellement.
- Donc tu as des questions à poser sur ta future victime ? Juste assure-toi de me tuer rapidement, je veux pas trop souffrir.
Je faisais la maline, mais au fond je n'étais pas sereine à cent pour cent. Inquiète ? Oui. Apeurée ? Un peu. Excitée ? Énormément. J'avais l'impression que mon coeur allait sortir de ma poitrine à tout instant.
All endings are also beginnings. We just don’t know it at the time. B & T
Il n’y avait d’idéal que l’imaginaire dans lequel il se prenait souvent à se perdre, lorsqu’il cherchait une échappatoire, il était question de survie. Taj n’ignorait jamais des signes, il s’appliquait à les déprécier, à ne leur octroyer que le minimum syndical d’importance, un mécanisme suspect visant à s’interdire tout accès à la peur. Pourtant, il craignait tout et par dessus tout la solitude. Il ne pouvait pas se mentir à lui même, Bonnie Weaver n’était qu’un trompe-l’oeil, celui qui avait pour fonction première de détourner son attention de ce qui le rongeait vraiment (depuis plusieurs mois, plusieurs années). (de ceux qui le rongeaient vraiment, depuis plusieurs mois, plusieurs années). Il n’avait d’idéal que son portefeuille et, peut-être, ce dégoût du néant qui l’obligeait à sans cesse rechercher l’adrénaline. Des pics atteints avec peu d’engouement. Par habitude, enrobés d’une lassitude que l’on disait flagrante, chez lui. - Avec des poussées d’endorphines, c’est la meilleure façon d’atteindre la petite mort – siffla-t-il, attrapant la décoction pour en boire une gorgée, les prunelles d’onyx à peine voilées, quelque chose chez lui hurlait à quiconque doté d’un tant soit peu de jugeote de s’esbigner dans la direction opposée. Je ne bute qu’avec mes mots, sois rassurée. Il grimaça, ce cocktail n’était vraiment pas ce qui lui fallait à cette heure-là, après une journée pareille à se farcir des acteurs de série B (et un réalisateur du même acabit!). Bonnie n’avait pas tort. Il assassinait, à son grand dam, mettait fin à des relations, sans que le moindre scrupule ne soit perçu, sans que cela ne semble affecter sa conscience, son quotidien, son estime de lui-même. Il élimait la confiance, une ficelle à la fois, méticuleusement. C’était inévitable. Il existait un motif, répétitif. Il jetait son dévolu – il clamait pourtant que c’était le contraire ! - , harponnait les femmes, les tamponnait à vitesse de charge, s’en délaissait avec une méchanceté arrangeante. Comme un bonjour lancé, très vite suivi d’un adieu. Pas d’aurevoir. Mais, parfois, parfois certaines se distinguaient. Elles pénétraient par les brèches, celles appartenant au domaine de l’infiniment petit. Et, elles instillaient leur venin, il ne s’en rendait compte que lorsqu’il était trop tard, fichu, il restait des semaines (des mois, des années) à panser ses plaies à coups de langue (ou à coups de queue). Elle avait parfaitement raison d’avoir peur. - Ton calepin a changé le cours des choses – dit-il, après avoir observé quelques secondes de silence, nécessaires à la recherche des mots, puisqu’il s’agissait là du seul domaine où il ne décevait presque jamais. Quelle véritable plaie. J’avais des questions te concernant, au début. Mais, maintenant, les seules questions qui demeurent me concernent moi. Mes réelles motivations. J’aimerais avoir les réponses, pour le moment, elles m’échappent. Il haussa une épaule, sourire en coin, verre presque terminé, il restait quelques gouttes, qu’il décida d’abandonner. Il fit signe à Trevor, le barman et reporta son attention sur la jeune femme. Billes scrutatrices, il semblait vouloir imprégner ses traits dans sa rétine. Pour les visualiser plus tard, lorqu’il fixerait le plafond de son loft, sans pouvoir trouver le sommeil. Parfois, il lui arrivait de regretter son répondeur. Avant, il en consultait encore les messages. En boucle. Toujours en boucle. - Peut-être seulement que je m’ennuie. Il agita les mains. Toi, tu as besoin de vivre, de t’affranchir, d’apprendre. Et moi, moi j’ai besoin de comprendre comment ça fonctionne : toi, le monde, les attentes. L’alcool ne parlait pas encore à sa place mais, avec sa prochaine commande, il allait pouvoir le faire. Faciliter leur échange, amortir les chocs, réveiller les bestioles qui ne demandaient qu’à surgir, rugir, réclamer ce qui leur revenait de droit : agir. - On n’a qu’à passer un pacte, Bonnie Weaver. Il ne voulait pas s’inscrire dans ce schème comme un Christian Grey trois grades en dessous : tiré de l’esprit déginglos d’une ménagère en manque de cul. Il voulait, Taj Stein, le vrai, celui qui se planquait derrière tous ses maniérismes, aborder la vie différemment. Se trouver un partenaire de crime. Quelqu’un qui n’aurait jamais vu l’état de ses casseroles. - Première fois que tu te fais aborder par un inconnu, première virée en moto, premier Aperol Spritz dans ce bar. A moi seul, je comptabilise trois de tes premières fois. Je n’ai même pas l’intention de m’attribuer toutes tes premières, seulement, j’aimerais que tu considères ma candidature à l’occasion. Je ne suis pas un psychopathe, j’ai du temps à te consacrer, de l’expérience et même si ça n’a aucune pertinence, aucune IST au compteur. Il finit sa phrase avec une pointe d’humour dans la voix. Taj stein ne voulait rien d'autre qu'aborder la vie différemment.
meet me halfway ★ I want you so badly, it's my biggest wish ft. taj
Je le provoquais, j’en devenais presque insolente. Je lui demandais clairement ce qu’il voulait : me tuer. Puis je continuais de me moquer gentiment. On aurait dit une petite de 10 ans en plein caprice face à l’homme le plus noble du monde. Même sa façon de manier les mots à l’oral était stupéfiante, si stupéfiante que je me sentais... Conne. Oui il fallait le dire, je me sentais conne. On aurait presque dit qu’il avait romancé notre rencontre, que tout avait été prévu au millimètre près et qu’il avait calculé le moindre de ses mots, de ses rimes, de ses métaphores... Alors quand il me parla « de poussées d’endorphines », je manquais presque de m’étouffer avec mon verre. Je me raclais discrètement la gorge en essayant de rester le plus « digne » possible mais là niveau dignité je devais être au plus bas. Après tout, j’étais là, à ses côtés, dans ce bar perdu au milieu de Brooklyn. Je me sentais si perturbée, si « faible » que je ne savais quoi répondre à ses punch-lines. Je me perdais ce verre d’alcool. Je buvais encore une énième gorgée, trop rapidement, j’étais déjà à plus de la moitié du verre et je sentais mes joues se rougir de chaleur. Certes ça ne se voyait pas beaucoup vu mon métissage, mais moi je le sentais.
J’osais le regarder dans les yeux, même juste quand il sirotait une gorgée de son verre ça m’en laissait toute chose. Je ne voulais pas succomber. C’était trop facile... Et je n’avais pas prévu « cette chose ». Si je commençais à lui dire « oui » à tout, jusqu’où on irait ? Je me contredisais moi-même. J’avais envie de connaître tous les travers de l’univers, me jetais dans la gueule du loup aussi rapidement, et ce soir, j’étais comme perturbée. Cet homme me démangeait. Il n’était pas comme les « autres ». Pas qu’il soit meilleur ou pire, mais il était... Différent. Peut-être car un jeu entre nous s’installait et que ça aussi c’était « ma première fois » de la sorte. M’inviter à boire un verre, me regarder comme lui le faisait... Mais là je commençais à voir un peu trouble. Je me mordais ma lèvre inférieure un peu paniquée avant de finir cul-sec ce verre. Je toussais une nouvelle fois, ça piquait un peu. Je levais la main pour réclamer un autre verre. Il m’avait amené ici pour boire après tout, non ? Alors j’allais boire.
- Votre meilleur cocktail s’il vous plaît.
Je ne laissais pas Taj choisir pour moi cette fois. Je laissais le barman le faire. Peut-être en guise de mini rébellion car moi aussi je pouvais être l’auteure de mes première fois sans l’aide de quiconque. Mes yeux revinrent instinctivement vers ses doigts entourant son verre, il buvait calmement mais sûrement son énième verre d’alcool de sa vie. C’était chaud, j’avais chaud. Il m’en fallait vraiment peu pour me prendre directement aux tripes. Alors qu’une femme d’expérience, s’en ficherait pas mal. Parfois je me demandais comment les filles faisaient pour parler à mon frère, le draguait, l’attirait dans leur lit. Il y avait une recette miracle ? Ou s’afficher à moitié dénudée suffisait pour attirer les garçons ? Pourtant, là, j’étais bien habillée, on ne voyait rien de mon corps à part ma poitrine qui ressortait mais je n’avais pas un décolleté de 30cm jusqu’au nombril. Il humait ses lèvres avant de reparler du calepin. Il était obsédé par ce bout de papiers. Je baissais les yeux, honteuse, je n’assumais toujours pas qu’il ait tout lu. Pile à ce moment, le barman me tendit le cocktail de la soirée. Je ne savais même pas ce qu’il y avait dedans. C’était de couleur orangé et j’aimais bien l’odeur, c’était un peu sucré. Je mis la paille en bouche en regardant l’horizon mais ses mots me firent tourner la tête.
Doucement, je fronçais les sourcils, gardant la paille de ce cocktail entre mes lèvres. Je ne sentais pas du tout le goût de l’alcool, c’était horriblement sucré. Mais soudain, il semblait devenir plus « humain », il avait des questions, au début, désormais, il se remettait lui-même en question. Pourquoi cet air si philosophique et mystérieux ? A côté de lui, je semblais toujours autant ridicule et abrutie.
- Je doute que mon carnet ait changé tant de choses... Ces questions envers toi tu les avais déjà avant... Mais je suis ravie que mon carnet ait pu t’aider à les... Extérioriser ?
Moi aussi je voulais être curieuse.
- Je pense que tu me dois quelque chose. Tu connais trop de choses à mon sujet, je connais rien de toi. Tu peux commencer avec tes questions à ton égard ? J’ai peut-être quelques réponses.
Ce que je doute au fond, mais qui ne tentait rien n’avait rien, n’est-ce pas ? Dans mon carnet il y avait énormément d’interrogations, de remises en question, des envies, des peurs... Je remis cette petite paille entre mes lèvres humides et sucrées et je fixais Taj droit dans les yeux, en aimant faire des allers-retours sur ses mains que je trouvais attrayantes. Est-ce que les mains des hommes pouvaient réellement exciter les femmes rien qu’à leur vue ? Je soufflais doucement en l’écoutant attentivement jusqu’à le voir se confier, un peu, avant d’agiter les mains. J’arrêtais de boire en ayant eu un peu peur face à ces gestes si soudain. J’avalais difficilement ma dernière gorgée où je voyais déjà mon cocktail à moitié vide. Il commença à évoquer mes besoins : vivre, m’affranchir, apprendre... Mais quand il me dit qu’il avait besoin de comprendre comment « je » marchais suivi du monde et des attentes j’arrêtais de boire. Juste un instant. J’allais ouvrir la bouche mais il reprit vite la parole. Je buvais le moindre de ses mots comme s’il s’agissait de ce magnifique cocktail, mais j’eus des frissons quand il évoqua mon nom en entier. C’était quoi le sien ? J’hochais la tête en guise de « oui je l’écoutais ». Je m’attendais au pire à cet instant, il comptait vraiment me tuer ? Je me noyais dans ses yeux, le coeur battant la chamade et il commença à évoquer « mes première fois » à ses côtés. Où voulait-il en venir ? Puis quelques mots s’écoulèrent et j’avais une boule au ventre mais il finit par me faire rire... C’était bizarre comme sensation, j’avais chaud, la boule au ventre, et je riais de gaité. L’alcool sans doute qui me montait vite à la tête vu ma non-expérience sur le sujet.
- Je retiendrais ta candidature... Mais je ne pense pas que... M’aider à ce niveau puisse répondre à tes questions. Mais tu es dans la liste promis, y’a une longue liste d’attente, imagine pas que t’ais le seul hein.
Je tournais ça à la plaisanterie car même si c’était dit de façon poli et marrante à la fin, ça restait une invitation. Je ne savais même pas comment une fille normalement constituée pourrait répondre à cela. En riant ? En touchant son bras ? En se jetant sur lui ? Je préférais finir de boire rapidement mon cocktail à l’aide de cette paille que je machouillais de façon assez nerveuse.
- Tu n’as pas de petite-amie ? Je suis peut-être inexpérimentée mais pas encore trop conne. Comment un beau mec comme toi puisse être célibataire ? Ou une ex à énerver sans doute ? Mais je doute que ma personne soit celle qu’il te faut. Regarde, la fille à ta gauche, 1m75, taille mannequin, un cul à la Kardashian et un décolleté où ses seins vont partir en couille. Elle ne demande que ça. Puis elle te dévore des yeux.
J’essayais de détourner le sujet. Ca me gênait... Alors que j’avais envie de me laisser aller. Pourquoi alors je me retenais avec lui ? Encore la même question du début qui revenait.
- Ou alors c’est bel et bien une caméra cachée...
Je me retournais sur ce haut tabouret, regardant autour de moi. Je cherchais ce qui pouvait ressembler à des endroits stratégiques pour des caméras camouflées, mais il n’y avait pas grand chose.