« Je ne veux plus jamais te voir. » Les mots de Rainer résonnaient dans l’esprit de Daphne depuis qu’elle était partie de ce café, sans même consommer. Sous les regards interrogatifs des clients du café qui avaient observé toute la scène entre les deux jeunes. Pourtant, malgré une discussion avec Neva, malgré qu’elle regardait tous les soirs s’il était connecté, elle n’avait pas osé lui envoyer un message. Elle n’avait pas essayé de reprendre contact car elle savait pertinemment qu’il ne répondrait pas, mais elle avait relu leurs messages : ceux où il disait vouloir la voir, voir son sourire, la serrer dans ses bras. Et elle essayait de se faire une raison, il ne voulait pas la voir, surtout pas après huit mois de mensonges, à ses yeux. Daphne secoue la tête, branche ses écouteurs et enclenche une musique au hasard dans son téléphone. C’est la mélodie de « the night we met - lord huron » qui résonne dans ses oreilles : un slow, qu’elle a toujours tant aimé. Un slow dont elle lui avait même déjà parlé, dans ces nuits où ils parlaient jusqu’à pas d’heure.
Elle marchait dans la rue, toujours ses écouteurs dans les oreilles, elle n’avait pas grand chose à faire aujourd’hui. Ses cours étaient finis, elle ne travaillait pas, alors elle en profitait pouf aller faire un peu de shopping, des choses que les jeunes femmes de son âge font d’habitude. Une vie comme toutes les filles de son âge, simple, sans tracas. Sans penser à ses problèmes amoureux, ses sujets si ennuyeux pour bien d’autres. Elle avait vu les filles, mais n’avait pas osé leur parler de ses sentiments pour ce garçon, celui dont elles se moquaient depuis si longtemps. Daphne soupire et retire ses écouteurs, les rangeant dans son sac. Sortie de la bulle, fini les rêveries, retour dans une réalité trop compliquée. Et c’est aux éclats de voix qu’elle se rend compte de la situation : un vélo, une voiture, un accident. Elle voit un jeune homme parterre et regarde le conducteur de la voiture sortir rapidement, elle s’approche, le cœur serré à l’idée de ce qu’il se passe. Est-il mort ? Oui ? Non ? Peut être. Et elle n’ose pas regarder vers l’homme mais il doit être conscient. Car le type commence à hurler. « C’est pas possible ça ! Tu pouvais pas faire attention, non ?! Impossible, inconscient. Et ma voiture... » Et le type se retourne vers son véhicule, même pas un coup, peut-être des griffes. « Votre voiture n’a même pas un coup. Alors que vous auriez pu le tuer ! » Daphne a réagi avant même d’y penser, ne supporte pas de voir la colère de cet homme qui est certainement plus en tort que le vélo. « Vous ne savez pas de quoi vous parlez, il s’est jeté sous la voiture. » Daphne croise les bras, toisant l’homme en face d’elle alors qu’elle voit deux autres personnes passer pour aller voir l’état du conducteur du vélo. « Vous n’allez pas me faire croire qu’il a voulu se jeter sous votre voiture. C’est lui qui avait priorité, vous veniez trop vite. Vous auriez pu le tuer, il est peut-être même blessé et vous ne vous en souciez même pas ! » Daphne, elle le sait que l’homme pourrait simplement l’empoigner, la frapper et qu’elle ne saurait pas se défendre. Mais il ne fait rien, parce qu’elle a de la chance, il y a d’autres hommes, arrêtés sur le côté, qui viennent parler avec l’homme, affirmant qu’elle avait raison. Et Daphne soupire, laisse les hommes s’occuper de ce type. Connard. Elle se retourne et va trouver le jeune homme qui était sur son vélo, celui qui s’est fait renverser. « Vous allez bien ? Pas blessé ? Et le vélo ? » Et c’est quand elle s’attarde un peu plus sur le visage du jeune homme qu’elle se rend compte de l’étrangeté du destin. Rainer Mulroney. Je ne veux plus jamais te voir. Daphne recule d’un pas, baisse le regard comme pour échapper au sien. Elle n’ose plus dire un mot, son cœur qui s’accélère.
La vie suivait son cours, Rainer avait retrouvé son train-train quotidien, celui d’un solitaire sans ami et sans emploi, l’histoire de sa vie en somme. Depuis son rendez-vous avec Danielle – Daphne, sa vie sociale en avait pris un coup lui qui avait, le temps de neuf mois, redonné un sens à tout le reste. Plus de messages, plus de coups de fil, plus la mélodie de son rire qui venait séduire ses oreilles, rien. Il l’avait décidé, elle s’était foutu de lui, pas un mensonge, mais des tas et des tas de mensonges, du début à la fin. Elle répondait oui à ses « Danielle », elle prétendait le comprendre et ne pipait mot lorsqu’il lui avait parlé de son vécu, alors qu’elle en était l’une des actrices principales ! Trop de non-dit, elle avait ruiné la confiance qu’il lui avait accordée, lui qui ne croyait plus en l’être humain. Alors, il avait repris ses vieilles habitudes, celle d’un jeune homme mal dans sa peau et mal tout court, accroché à ses jeux vidéo, dans sa chambre, à l’abri des regards, des moqueries, du jugement des autres. Cruel destin d’un gamin de vingt ans. « Cherche du boulot Rainer, j’en ai assez de te voir trainer à la maison. », elle n’avait pas tort sa mère, et surtout, elle n’en pouvait plus de le voir abandonner sans cesse au lieu d’essayer de voir le positif, si seulement il tenait un peu plus de sa sœur, elle qui rêvait en couleurs, la fonceuse de la famille, celle que l’on ne pouvait imaginer autrement qu’avec un sourire sur les lèvres.
Cependant, ce jour-là allait être différent, il avait un entretien professionnelle pour un boulot de plongeur dans un restaurant. D’abord, il avait fermé l’annonce, puis les critiques de sa mère l’avait finalement convaincu, sortir de cette baraque et ne plus entendre ses remarques incessantes ne pourraient pas mieux tomber. Puis à la plonge, il serait seul dans son coin à laver ses gamelles, ses assiettes, ils n’auraient pas à parler aux clients, seulement aux machines. C’était déjà ce qu’il faisait finalement, il gueulait sur sa manette quand il perdait une partie, il insultait l’écran, ou bien lui adressait des louanges en temps de victoire. C’était le boulot parfait pour un asocial comme lui. Attrapant le guidon de son vélo, il enfourcha son deux roues et fila à travers les rues du Queens direction le restaurant. Il avait préparé un cv, sans grandes lignes ni expériences intéressantes, sans même un degré de confiance qui ferait oublier le reste, mais il s’y était résigné. Son sac bandoulière sur le dos, il pédalait comme un dingue, vérifiant sa montre toutes les minutes. Il lui restait quatre petites minutes pour se garer, souffler un peu coup et passer du rouge écrevisse de fatigue au teint blanchâtre habituel, essuyé les perles du sueur sur son front, et tenter par-dessus tout d’avoir l’air serein, et en toute honnêteté, il ne savait laquelle de la première et de la dernière tâche serait la moins impossible. « Oh non, feu rouge encore !! » Pas de chance. Le pied à terre, Rainer attendit son tour, non sans ronger son mal en patience, il allait finir par arriver en retard tout ça à cause de la circulation et de sa malchance avec les feux. Vert. Le brun remit le pied à l’étrier, mais à peine eut-il le temps de faire quelques mètres qu’une voiture le percuta et l’envoya à terre. AIE. La chute, l’impact sur son épaule, son genou qui brûlait, le monde qui agglutinait, le jeune homme eut bien du mal à tourner la tête pour regarder ce qui avait bien pu se passer. Il n’eut pas bien longtemps à attendre quand un homme grossier se pencha vers lui pour lui aboyer dessus et l’accuser de cet accident pour lequel il était des plus innocents. Rainer n’eut pas la force de répondre, son corps lui quémandait de l’aide, écorché partout, le coude en sang, le visage tuméfié. Puis une voix féminine cette fois se mit à crier, mais pas après lui cette fois, après le conducteur de la voiture qui l’avait percuté. Une fois, deux fois, avec véhémence, enfin un minimum de justice dans ce monde de brutes sans pitié. La jeune femme s’adressa alors à lui, vérifiant son état. Quelle prévenance, Rainer n’avait jamais été habituée à tant de la part d’une étrangère. Délicatement, il se retourna pour assister à cette scène inespérée. Oui, inespérée, c’était le mot. Devant lui, Daphne, une des brutes de ce monde, cette fille qui avait ruiné sa vie scolaire, et sa vie sentimentale en une fraction de seconde des années plus tard, venait tenir tête à un type à la corpulence double de la sienne. Les yeux écarquillés, il ne sut quoi répondre, choqué par l’accident, par cet homme qui se souciait plus de sa voiture que d’un homme, par elle. Oui, surtout par elle. « Euh, oui, je… Je sais pas. » C’était tout ce qu’il avait dit en tentant de se relever tant bien que mal. « Je ne pensais plus jamais te croiser… » finit-il par ajouter. Evidemment, c’était même lui qui en avait décidé ainsi, mais c’était ce qu’il avait trouvé, et c’était déjà pas mal.
Le destin ou le karma, elle ne savait pas trop. Était-ce un coup du destin pour lui faire payer toutes ces années, de la mettre en face de lui ? Et il était pas mal amoché, elle n’avait pas eu le temps de s’attarder avant de s’en prendre à l’homme qui hurlait. Elle n’avait pas réfléchi, pas regardé de peur de découvrir un corps inanimé. Elle s’était contentée de crier avec une certaine véhémence sur un type deux fois comme elle. Elle ne l’aurait peut-être pas fait quelques années plus jeune, parce que les autres ne l’intéressaient pas. Parce qu’elle avait été des plus égoïstes, n’accordant d’importance qu’à ses amis les plus proches, sa famille. Elle-même. Elle ne situait pas le moment où le changement avait commencé à se produire. Et c’est pour cette raison qu’elle se retrouvait face à un jeune homme au visage tuméfié, pas mortellement blessé mais bien arrangé. Un jeune homme qu’elle connaissait bien, et des mots qui restaient gravés dans son esprit. « Je ne veux plus jamais te revoir. » Ironie quand tu nous tiens. Et Daphne se rendit compte que la plupart des personnes arrêtées avaient repris le cours de leur vie, il était en vie et debout. Il n’était pas seul non plus. Elle sourit à une vieille dame qui lui demande si ça ira en les laissant tous les deux et elle répond oui, sans même savoir s’il accepterait de l’accompagner pour voir un médecin.
« Je ne pensais plus jamais te croiser… » Et dans sa voix, ce n’est pas la colère de ce jour-là qui transparaît, plutôt de l'étonnement. Daphne ne sait pas si elle doit rester ou partir, elle ignore ce qu’il est le mieux de faire. Alors elle se contente de ramasser le vélo, pour éviter de gêner la circulation alentour et se tourne vers Rainer. « Moi non plus, et surtout pas... Alors que tu viens d’avoir un accident. » Elle l’observe quelques secondes pour se rendre compte que toutes les parties découvertes de son corps sont écorchées, son coude en sang et son visage. « Je peux te conduire chez un médecin si tu veux ? Parce que... T’es bien arrangé quand même. » Elle ajoute, simplement, presque timidement. Parce qu’elle ne sait pas ce qu’il est le meilleur de faire. Il a dit ne jamais vouloir la revoir mais ainsi l’abandonner lui paraît bien plus horrible. « J’ai garé ma voiture à quelques rues d’ici, si tu ne te sens pas capable de marcher ? Tu as mal ? » Elle observe un peu le vélo, lui aussi est pas mal arrangé dû au choc avec la voiture. Et ce conducteur reparti en faisant crisser ses pneus sur le bitume, il n’avait certainement pas apprécié les réactions. Mais Daphne s’en fichait, elle n’accordait que peu d’immortance au regard des gens. Seulement ses amis, et lui. Mais elle aurait réagi sans savoir que c’était lui parce que ça lui paraissait juste. « Je comprendrai que tu voudrais que je parte, je sais que je ne suis pas la meilleure compagnie pour toi. Mais je voudrai quand même que tu sois soigné, histoire de pas infecter. Tu peux aller ta sœur ou tes parents si tu veux. » Soledad, la sœur de Rainer. Elles ne s’etaient pas vues souvent mais Daphne se souvenait très clairement de leur dernière altercation à propos de ce que Rainer subissait. Si elle les trouvait ensemble, Daphne risquait de s’en prendre plein la gueule. A croire que c’était une habitude de la famille, ou le karma qui se vengeait.
Debout, tant bien que mal au beau milieu de la route, peinant à s’appuyer sur son genou gauche, ce même genou qui avait touché le sol en premier lors de sa violente chute, Rainer ne pensait plus à sa douleur. En fait, il ne ressentait plus rien, comme vidé, probablement choqué par sa cabriole mais surtout abasourdi par la présence de Daphne à son secours. Il ne savait pas s’il était content de la voir, tout de même touché par son geste, son discours au café la dernière fois prenant un peu de sens. Elle prétendait avoir changé, et son attitude venait de lui prouver qu’elle avait peut-être été honnête au moins à ce propos, mais en même temps rongé par la colère qu’il a mûri pendant ces derniers jours. Dire qu’il n’avait pas pensé à elle serait mentir, mais c’était Danielle qui lui manquait, c’était Danielle qui avait pris toute la place dans sa vie, pas Daphne. Il avait essayé d’imaginer plein de scénarios, celui durant lequel elle lui avouerait de suite qu’elle n’est pas celle qu’elle prétend être, qui s’excuserait pour son comportement au lycée et qui lui expliquerait ce qu’elle veut réellement. Il a aussi imaginé Daphne l’abordant sous son propre compte, et en toute honnêteté, il n’aurait évidemment pas donné suite, bloquée et supprimée dans la foulée. Si elle avait été sincère dès le début, il n’aurait jamais connu Danielle, et finalement, jamais la vraie Daphne non plus... Il ne savait pas, il ne savait plus, mais prendre le risque de l’écouter, de lui parler à nouveau, de lui envoyer un message, c’était également le risque de souffrir à nouveau, d’être humilié, et ça, c’était impossible. Alors il avait renoncé, préservant le peu d’amour propre qui lui restait, choisissant la sécurité à la peur, la facilité au risque.
“Un coup de main ne serait pas de refus...” fit-il en boitant, levant son bras pour lui faire comprendre qu’il avait besoin d’un point d‘appui. Il ne réussissait pas à basculer sur sa jambe gauche, et bien que l’idée de s’appuyer sur Daphne ne le séduisait pas, le jeune homme n’eut guère le choix. “Soledad est sortie je crois, et mes parents sont tous les deux au travail...” D’ailleurs, lui aussi était censé être au travail, du moins, essayer d’en obtenir un, et c’était d’ores et déjà foutu. Se pointer maintenant la tête refaite au carré ou bien appeler, expliquer cette action improbable et s’excuser ? L’une ou l’autre des solutions sonnait le glas sur cet emploi de plongeur qu’il ne décrocherait donc pas. “Du coup, j’veux bien un taxi, puis c’est le moins que tu puisses faire je pense...” Mais d’où sortait-il cette confiance tout à coup ? Rainer ? Tacler Daphne ? Effectivement, il avait dû prendre un sacré choc sur la tête. Le brun regarda à droite à gauche, les gens avaient déjà repris le cours de leur vie tandis qu’il restait là, mal en point au beau milieu de la route, seul face à son passé, seul face à celle qu’il prenait pour son destin. “Fais gaffe, on pourrait te voir avec moi, ça serait mauvais pour ton image...” Il la cherchait, il prêchait le faux pour savoir le vrai, il voulait en savoir plus, il voulait connaitre l’envers du décor, il voulait savoir ce que la jolie Pearson lui avait caché de plus, savoir si sa vie était vraiment celle de Danielle, si “tout le reste était vrai” comme elle le lui avait affirmé. Il avait besoin de comprendre, et ça passait par la provocation, parce qu’il ne lui restait que ça pour se défendre.
« Un coup de main ne serait pas de refus... » Et il lève le bras. Et Daphne s’approche pour qu’il passe son bras autour de ses épaules, un contact qui provoque trop de réactions dans son corps alors qu’il ne le fait que par nécessité. Elle passe son bras dans son dos pour le soutenir ; il a beau être plus lourd qu’elle, elle devrait pouvoir gérer le chemin jusque la voiture. Et quand il lui indique que sa famille n’est pas là, Daphne n’est pas vraiment étonnée. Tout le monde travaille, c’est un jour de semaine et en pleine après-midi. Elle l’avait demandé peut-être plus par politesse que par réelle supposition qu’ils soient présents. Elle ne sait plus trop quoi dire, trop décontenancée par sa présence et le destin, elle ne sait pas quoi dire, parce que le semblant de calme peut très vite dégénérer. « Du coup, j’veux bien un taxi, puis c’est le moins que tu puisses faire je pense... » Et ce ton de presque défi qu’elle entend dans sa voix, ce pique qu’il lui lance, elle essaye de ne pas y faire attention. De ne pas réagir comme l’ancienne elle l’aurait fait. Parce qu’elle n’est plus cette fille là, depuis plusieurs mois. Depuis plusieurs années, elle s’était calmée. Et c’était certainement ce qui l’amenait là, à aider Rainer Mulroney à marcher jusqu’à sa voiture pour le reconduire chez lui. « Je ne peux pas laisser un estropié au milieu de la route quand même. » Ce qu’elle lui avait dit, au café, elle le pensait. Et elle l’aide à marcher au moins pour remonter sur le trottoir et ne pas embarrasser la circulation et risquer le sur-accident. Elle observe le vélo appuyé contre le mur d’une habitation. « Je te ramène ton vélo après ? » Parce qu’elle voit pas trop comment elle pourrait ramener les deux à sa voiture en même temps, ça risquerait d’être compliqué, surtout qu’il a été abîmé aussi. Et ils commencent à marcher, avec l’aide de Daphne.
« Fais gaffe, on pourrait te voir avec moi, ça serait mauvais pour ton image.. » Une pique lancée par le jeune homme alors qu’ils se dirigent vers la voiture de la brune. Elle se mord la lèvre, elle lui aurait répondu méchamment si elle était toujours la même daphne qu’au lycée, mais elle avait changé. Et elle encaisse le pique, elle l’a mérité après tout. « Si tu savais comme ça me passe au-dessus de la tête. » Elle soupire légèrement, même si elle sait qu’il ne sera pas facile de le faire changer d’idée. Parce que ce sont des années de souffrance qu’elle ne pouvait pas effacer en un coup de baguette. « Je ne suis plus cette Daphne là, qui vivait pour le regard des autres. » Elle observe les alentours, n’osant pas porter son regard sur le jeune homme. « Je sais que c’est difficile à imaginer, surtout en me voyant comme ça. Mais j’ai changé. Ce que j’ai dis était vrai. »
Alors qu’ils avançaient doucement, au pas non assuré de Rainer, le jeune homme sentit la main de la jolie brune venir se poser sur sa taille. C’était con, c’était ridicule et même pathétique, mais c’était la première fois qu’une fille nouait un contact physique tel que celui-là avec lui. « Trop maigre », « trop moche », « trop bizarre », jamais personne ne lui avait proposé de sortir, et encore moins n’avait souhaité entré en connexion avec sa peau, ou une quelconque partie de son corps en toute honnêteté. Toutefois, le brun n’avait guère confiance en sa partenaire d’un instant, et restait sur le qui-vive. Elle avait beau clamé haut et fort à quel point elle avait changé, combien elle disait la vérité et tenté de prouver sa sincérité à bien des égards, la vie lui avait prouvé de ne croire que son instinct, et celui-ci lui disait de fuir. Evidemment, avec le genou en vrac, la mission s’avérait périlleuse voire impossible, mais une chose était sûre, c’était qu’elle ne gagnerait certainement pas sa confiance avec un seul acte, aussi brave soit-il. « Ouais, j’veux bien récupérer mon vélo, j’m’occuperai de le réparer en temps voulu. » L’idée de voir Daphne faire l’aller-retour pour lui rapporter son deux roues l’amusaient, elle allait être celle qui faisait le sale boulot, celle qui devait galérer pour une fois, et une satisfaction presque sadique s’empara de Rainer, un petit sourire en coin sur le visage. Il avait tellement souffert à cause d’elle que de l’imaginer trainer son vélo à lui, faire des efforts pour son confort alors qu’elle avait fait tout ce qu’il lui était possible de faire pour lui ôter toute once de joie des années plus tôt, lui mettait du baume au cœur. Justice.
Pourtant, la jeune femme, insensible aux phrases lâchées pleines de sous-entendu, de ressentiments de Rainer, continuait à prôner le changement, indiquant ne plus attendre le jugement des autres pour se faire le sien. Bon point, mais insuffisant. La douleur dans son genou devenait de plus en plus intense alors qu’il se dirigeait vers la voiture de son ancienne Danielle. Ce fut à cet instant précis que le drame arriva, à environ vingt mètres du but, du saint graal, de la délivrance, son genou faiblit, absence de réponse qui eut de grosses conséquences. Rainer perdit l’équilibre, son genou rompant sous le poids de son corps, et le bras toujours autour du cou de Daphne, il entraîna la malheureuse dans sa chute. Deuxième gamelle de la journée. Non seulement l’accident n’avait pas été suffisant, il avait fallu qu’il remette ça, avec cette fois la jeune femme allongée sur lui, leurs visages à quelques centimètres l’un de l’autre… C’était terriblement gênant, et le plus maladroit des deux ne savait plus quoi faire, paralysé par la douleur et par la gêne. Il pouvait sentir son souffle contre sa peau, et ses cheveux au parfum sucré enivrant était venu caresser son visage tuméfié. L’espace d’un instant, il avait senti son cœur rater un battement, et son estomac se nouer. C’était trop, c’était étouffant, et puis c’était « elle »… Certainement pas la fille de ses rêves. « Je suis désolé… Mais j’ai les bras coincés et je n’ose pas trop bouger de peur que tu crois que j’essaye de te tripoter tu vois… Ca aurait été quelqu’un d’autre, j’aurais peut-être trouvé la situation charmante, mais là pas vraiment. » BAM. Pas très gentil, il faisait le mec froid, pourtant, il n’était pas complètement indifférent. Probablement parce que son discours le rendait curieux, même s’il ne voulait pas en croire un traitre mot. Rainer n’oublierait pas le passé si facilement, qu’elle finisse à terre dans ses bras ou bien face à un colosse au beau milieu d’une rue, qu’elle lui prouve qu’elle était bien la Danielle pour qui il avait une tendresse toute particulière prendrait du temps, des efforts, et beaucoup de persévérance. Daphne en avait fait preuve pour lui rendre la vie impossible, ça oui, mais pour ce qui est de se battre pour lui, il n’avait aucun espoir, strictement aucun.
Il y avait beaucoup de ressentiment, de la haine dans les mots du jeune homme, alors qu'ils se dirigeaient vers la voiture. Et la pensée de croiser Michelle dans cette position la fit trembler, son amie ne pourrait pas comprendre comment une blague avait pu prendre des proportions si importantes pour la brune. Elle n'aurait jamais dû tomber amoureuse de ce garçon, elle aurait dû supprimer son profil et retourner à sa vie tranquille, elle y avait pensé. Elle s'était souvent retrouvé devant le bouton "suppression" du réseau social mais n'avait jamais appuyé. Parce qu'au fond, elle n'en avait pas eu envie, jamais. Et ça la menait à cette situation, peut-être aurait-elle dû appuyer. Elle ne se retrouverait à marcher avec ce garçon, qui ne cessait de lui lancer des piques, comme pour la faire réagir, comme pour réveiller l'ancienne. Comme pour lui prouver qu'elle était incapable de changer. Et le silence qui règne entre les deux jeunes a tendance à agacer la jeune femme, mais elle ne sait pas quoi dire. Et il est bien assez rare de faire taire la jolie brune. Mais elle n’a pas le temps de se concentrer pour dire quelque chose, elle se sent entraînée dans la chute de Rainer. Et elle ne peut se retenir, qu’elle se retrouve écrasée contre le torse du brun, trop près de son visage, trop près de ses lèvres. Et elle aurait profité de la situation, si ça n’avait pas été lui. Lui, qui la haïssait, lui, qu’elle aimait. Lui qu’elle ne devait pas almer, qu’elle n’aurait peut-être pas dû aider. Daphne aurait pu passer son chemin, comme elle l’aurait fait il y a quelques années, mais elle s’était arrêtée, et ce n’était pas parce que c’était lui. « Je suis désolé… Mais j’ai les bras coincés et je n’ose pas trop bouger de peur que tu crois que j’essaye de te tripoter tu vois… Ca aurait été quelqu’un d’autre, j’aurais peut-être trouvé la situation charmante, mais là pas vraiment. » pas du tout. Elle le voit dans son regard, elle a le souffle court, surprise de la chute dans laquelle il l’avait entraînée. « Danielle, par exemple. » Parce que, quand il parle de quelqu’un d’autre, elle n’est pas dupe. Elle a lu les messages, entendu sa voix au téléphone, ses espoirs et ses rêves de la rencontrer. Et il avait suffi de quelques secondes pour tout gâcher, pour tout foutre en l’air, lui et elle, eux. Mais il n’y aurait pas d’eux, jamais. Vu la haine qu’il nourrissait envers elle. Elle se relève presque précipitamment, comme si son contact la brûlait, alors que ce sont plutôt ses phrases qui font chemin dans son esprit. Elle l’aide quand même à se relever, l’estropié. Alors qu’elle pourrait le laisser là, à terre, au bord de la route et partir, sans un regard pour lui. Mais elle avait réfléchi, longtemps, parlé à Nevaeh et elles en étaient venues à une même conclusion : ce ne serait pas facile. Mais elle pouvait lui montrer qu’elle avait changé. « Ce n’est qu’un hasard, j’sais bien que tu veux plus me voir, plus jamais. » Elle l’observe, elle voit cet éclat dans ses yeux, et elle ne le reconnaît pas. « Alors je sais bien ce que tu penses, mais une chose peut au moins te rassurer : j’ai pas payé quelqu’un pour t’écraser. » Il avait été bien assez clair lors de leur seul « rendez-vous » auquel il avait rapidement mis fin, là laissant seule et démunie dans un café, beaucoup de regards curieux braqués sur elle. « Je vais pas te baratiner pendant tout le trajet, t’as envie de rien entendre. Je conçois. » Elle n’avait pas envie de continuer de lui dire qu’elle avait changé. Elle se battrait, donnerait tout ce qu’il fallait pour sa confiance, mais elle ne passerait pas pour quelqu’un de faible. Elle ne le supplierait pas, s’il ne voulait plus d’elle dans sa vie, alors il ne la verrait plus. C’était la réaction la plus correcte à avoir face à lui mais elle ne s’y résignait pas. « Tu sais, j’aurais très bien pu te dire qui j’étais, tu m’aurais supprimée. J’aurais pu me faire passer pour Danielle pendant des années, mais tu ne m’aurai jamais vue. Il y a des milliers de scénarios. Mais aucun où ça se passe bien, je vis pas dans un film, je suis pas idiote. » Et au fond, elle se demande même s’il l’écoute. Parce qu’elle est presque certaine qu’il n’en a rien à faire.
Devant la voiture de Daphne, le jeune homme bien amoché s’appuyait contre le capot, économisant ses dernières forces en attendant que la demoiselle trouve ses clés. L’ambiance était glaciale, mais quelque chose le faisait rester, et ce n’était pas seulement le besoin d’un taxi vers l’hopital, c’était elle, son discours, ses belles paroles. Elle s’était caché pendant si longtemps derrière Danielle, elle lui avait menti et il ne supportait pas ça, déjà parce qu’il partait sur une inégalité, lui qui lui avait ouvert les portes de sa vie à travers des écrans interposés, et aussi parce qu’il aurait pu pardonner n’importe qui, mais pas elle. Pourtant, cette voix qui essayait de lui répondre, cette intonation, il la reconnaissait, il lui suffirait de fermer les yeux pour essayer d’y croire à nouveau, mais il ne le ferait pas. Danielle l’intéressait, mais pas Daphne. Elle avait beau dire qu’elles étaient les mêmes personnes dans deux enveloppes différentes, c’était faux. Danielle n’avait pas son passé, elle n’avait pas rendu la vie impossible à un gamin innocent, elle n’avait pas ri de sa souffrance et pire encore, elle ne s’était pas amusée il y a de ça quelques mois à remettre le couvert en l’abordant sur un putain de réseau social. Il était là le fond du problème, Daphne n’était pas Danielle, quoiqu’elle dise. « Je m’en fous que tu cherches à me faire écraser par une bagnole ou non, t’as déjà ruiné ma vie il y a bien longtemps, apparemment c’est encore ton passe-temps préféré. » Il était en colère, il ne comprenait pas comment elle avait pu lui faire ça, même encore maintenant, après des années ? Le lycée ne lui avait pas suffi, elle n’avait pas mûri au point de reprendre du plaisir à blesser les autres ? Certes, elle l’avait aidé aujourd’hui, mais cette Daphne qu’elle prétendait être, une fille mature qui avait appris de ses erreurs, n’était-elle pas la même que celle d’il y a quelques mois prête à lui jouer un tour pour se rire de lui ? Il ne lui faisait pas confiance, il ne la croyait pas, il ne voulait pas ne serait-ce qu’essayer de la comprendre. « C’est vrai, t’as raison, si j’avais su que c’était toi dès le départ, je t’aurais supprimée, j’aurais pu épargner mon cœur d’une cruelle déception et je n’aurais pas perdu des mois à rêver d’une relation qui n’existait pas et qui n’existera jamais !! Tu m’as humilié Daphne, et si tu veux l’oublier, moi je suis condamné à revivre ces images à jamais. Encore cette fois, tu as cherché à te foutre de moi, et même si aujourd’hui, t’es là à me vendre ta pseudo sincérité, je ne peux pas y croire. T’es une bonne actrice, je t’applaudis. Mais moi je m’en fous de tout ça, tu peux me sortir tous les violons du monde, je ne peux pas imaginer qu’une fille comme toi qui me méprisais puisse en toute honnêteté penser tous les mots que Danielle me glissait. » Il était en colère, frustré, son poing s’était serré et lorsqu’il posait les yeux sur la petite brune de l’autre côté du véhicule, il n’y avait que du mépris. « J’y croyais putain, j’avais enfin quelque chose de bien dans ma vie pourrie, une porte de sortie, de l’espoir, et d’un souffle, tout s’est envolé. Tu viens de me voler mon bonheur, j’espère que t’es fière de toi. » Il s’assit dans la voiture, lentement, une grimace lui tordant un visage déjà crispé. Elle roulait, les blancs étaient pesants, c’était un cauchemar de se retrouver dans un espace aussi clos pour deux personnes en guerre. Après quelques instants, d’un ton plus apaisé, il finit par demander : « dis-moi juste pourquoi. » Il avait besoin de savoir pourquoi lui, pourquoi encore, pourquoi elle essayait de se justifier, pourquoi elle avait pris tout ce temps à parler avec lui, est-ce que son humiliation valait la peine de sacrifier des heures quotidiennement ? Pourquoi est-ce qu’elle était encore dans cette voiture à le conduire aux urgences ? Pourquoi est-ce qu’elle ne l’avait pas abandonné au beau milieu de la rue avec son vélo cassé après qu’il lui ait hurlé dessus ? Des réponses, pourvu qu’elle lui donne des vraies réponses, qu’elle lui donne envie de lui laisser le bénéfice du doute, pourvu qu’elle soit Danielle et non Daphne le temps d’une réponse…
« Je m’en fous que tu cherches à me faire écraser par une bagnole ou non, t’as déjà ruiné ma vie il y a bien longtemps, apparemment c’est encore ton passe-temps préféré. » Et hop, une pique, encore une. Il n'arrêtait pas, depuis qu'il l'avait reconnue dans la rue, de lui lancer des remarques, chaque fois plus blessantes. Mais malheureusement chaque fois vraies ; elle avait rendu la vie de ce garçon impossible jusqu'à le pousser à quitter l'école, parce qu'elles avaient trouvé ça marrant, les filles. Elles étaient que des gamines mais elles avaient réussi à briser un garçon, un jeune homme qui ne leur avait rien demandé, rien fait, qui avait juste jeté un oeil à maelis. Etait-ce assez grave pour mériter tout ça ? Daphne savait que non. Mais elle l'avait fait et elle ne pouvait pas revenir en arrière sur toutes ces années, sur cette douleur qu'elle ne pourrait jamais faire disparaître. Parce qu'elle serait toujours ce monstre, à ses yeux, aux yeux de tous peut-être. Et il lui balance tout ces mots, pleins de haine et de colère, tous dirigés uniquement contre elle. Parce que c'est elle qui a porté le nom de Danielle durant toutes ces semaines, c'est elle qui lui parlait le soir, c'est elle qui attendait impatiemment l'heure de rentrer pour lui envoyer un message. Mais ça n'aurait jamais dû aller si loin, jamais elle n'aurait dû se prendre à son propre jeu. Alors elle l'écoute déverser son venin, en ouvrant la voiture. Et quand il s'arrête, seulement quelques secondes, elle s'installe au volant, sans même oser lui jeter un regard. Tu viens de me voler mon bonheur, j’espère que t’es fière de toi. Les mots du jeune homme tournent dans son esprit, et elle serre ses mains contre son volant, essaye de se concentrer sur la route. Parce qu'elle ne sait pas vraiment quoi lui dire, parce qu'elle aussi souffre mais ça, elle sait qu'il s'en fiche, qu'il ne la croirait pas. Il ne connaît pas ses peurs et ses angoisses, il se fiche de savoir les problèmes qu'une fille comme elle peut avoir. Parce que c'est le karma et qu'elle l'aura bien mérité. Daphne sait que c'est ce que la plupart des gens pensent, et peut-être qu'ils ont raison après tout. La belle brune a enfermé ses peurs à double tour dans son coeur il y a bien longtemps, parce qu'avec ses amies, elle ne pouvait plus avoir peur. Parce qu'elle n'avait plus jamais été seule, jamais été abandonnée. Et qu'elle le craignait plus que n'importe quoi. Les blancs alors qu'elle roule lui serre la gorge. Et quand il lui demande pourquoi, elle n'est pas sûre de vouloir lui répondre. Pas certaine de vouloir faire tomber les murs, les masques, pas pour qu'il s'en serve contre elle. Pourtant, elle sait, la jolie poupée, qu'il ne le ferait pas. Parce qu'il n'était pas comme elle. « Parce que j'ai peur. » Et la réponse fait l'effet d'une bombe dans l'esprit de la belle brune, elle qui ne voulait pas le dire à voix haute. Avouer qu'elle était si faible, que la peur d'être abandonnée la faisait trembler. Qu'il y avait les autres filles. « Maelis, c'était son idée. C'est celle qui mène le groupe, mais ça tu le sais. Celle qui décide, celle que les filles suivent, j'fais pas exception. » Ses mains se serrent sur le volant, son regard reste fixé sur la route. Elle pourrait se taire jusqu'à ce qu'ils arrivent à l’hôpital, ce n'est pas loin. Mais elle ne le fait pas, parce que c'est peut-être le seul instant de lui dire la vérité, toute la vérité. Celle dont elle n'a jamais parlé à qui que ce soit. « J'ai peur d'être seule, d'être abandonnée. » Sa voix se fait de plus en plus tremblante, les émotions la prennent à la gorge. « Alors, j'ai fais ce qu'elle a dit, je t'ai fais souffrir, encore, et encore. » Et sur les derniers mots, sa voix se brise. Il est en colère, et il a raison. Elle sent ses larmes qui montent à ses yeux, mais elle ne veut pas pleurer. Pas maintenant, pas devant lui. « J'ai voulu arrêter, j'ai voulu supprimer ce putain de profil. » Et elle ne tient plus, ses larmes coulent, elle les sent dévaler ses joues. Alors elle se met sur le côté de la route, elle ne veut pas risquer l'accident, ses mains toujours vissées sur le volant. Son regard qui refuse de croiser celui de l'homme assis à ses côtés. Et cette atmosphère oppressante, qui lui donne l'impression d'étouffer. « J'ai voulu tout arrêter, je.. Je voulais abandonner, faire disparaître Danielle, pour arrêter cette masquerade. Je voulais te dire qui j'étais, en sachant que tu ne me pardonnerai jamais. Et j'ai été égoïste, parce que je ne l'ai pas fait. Mais ce n'était pas pour te faire souffrir. » Elle frappe sur son volant, essuye rageusement des larmes qui reviennent rapidement. « Je l'ai pas fait parce que je voulais pas arrêter de te parler, je voulais pas perdre nos conversations, nos appels, nos messages. Ces moments... » Elle pleure et elle lui déballe tout ce qu'elle n'avait jamais dit à personne. Pas même à Neva, pourtant sa meilleure amie, celle qui était la plus à même de la comprendre. « Je voulais pas les perdre. Ni mes amies, ni ces moments. » Elle souffle pour réussir à construire une phrase correcte. « Mais le bonheur, c'est pas pour moi. Je le mérite pas, je sais bien. » Et enfin, des mots qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir prononcer. « Je suis désolée, Rainer. »
En lui demandant pourquoi elle avait fait ça, pourquoi elle avait choisi de lui faire du mal, pourquoi elle en avait remis une couche après toutes ces années, Rainer s’attendait à toute sorte d’excuses bidons. C’était tout ce qu’elle représentait pour lui, des faux-semblants, alors évidemment, il n’attendait pas de meilleures explications que celles qu’une Maelis pleine de dédain lui aurait dictées. Parce que j’ai peur. Le jeune homme fut surpris, et ça, c’en était une autre de surprise. Il avait imaginé tout un tas d’excuses ridicules, des raisons qui n’en étaient pas, mais la peur, ça, il ne la connaissait que trop bien, elle était froide, elle était paralysante, elle était tout ce que l’on ne voulait pas sortir, tout ce dont on voulait se débarrasser. Il ne dit rien, la laissant seule face au reflet de son attitude, tout en l’observant. Il voyait ses mains se crisper sur le volant, ses bras se tendaient, et ses lèvres se pinçaient. Il était devenu doué dans l’art d’analyser les gens, c’était la seule chose qu’il avait été libre de faire durant sa scolarité, lui, le garçon qui mangeait seul, lui ce garçon qu’on évitait de peur de subir le même sort que lui. Ses réactions traduisaient une sincérité qu’il ne pouvait ignorer, elle ne mentait pas, et c’était nouveau. Alors ses yeux s’ouvrirent un peu plus, il ne l’entendait plus seulement, il l’écoutait cette fois. Elle lui racontait tout depuis le début, Maelis, son leadership, le pourquoi du comment elle a fait ce qu’elle a dit... Mais Rain, ça lui faisait mal d’entendre tout ça, parce que lui, dans tout ça, il était celui qui avait subi, injustement, un innocent pris pour cible parce qu’il était un peu différent. Et elle l’avoua, enfin, les mots sortirent, elle l’avait fait souffrir encore et encore, elle le reconnaissait, ouvertement. En même temps qu’elle, lui aussi avait les larmes aux yeux, parce que c’était dur de ressasser tout ça, dur de faire le rapprochement entre cette Daphne là, cette fille sadique et méchante, et celle dans la voiture pleurant face à ses démons. Puis enfin, elle en vint aux faits, à ce profil, à ces mois de mensonges... Pendant qu’elle parlait, qu’elle pleurait, Rain sentit son estomac se nouer. Elle racontait avoir voulu tout arrêter, mais n’avoir pas réussi à le faire, trop attachée à leur conversation, à leur relation ? Tout était flou, tout était complètement dingue, c’était beaucoup d’émotions en quelques instants là, trop. Pour finir en beauté cet ascenseur émotionnel, elle s’excusa, et le garçon craqua. “ARRÊTE LA VOITURE !!! ARRÊTE CETTE PUTAIN DE VOITURE !!!” Il criait, il avait besoin d’air, il était en train de s’étouffer dans ses propres émotions, dans ses propres peurs, dans ses doutes et dans ses craintes. Il avait vu sa détresse à elle, et lui, il était celui qui la regardait s’effondrer, elle, cette fille-même qui l’avait mis lui à terre tant de fois. Pas possible, ce schéma ne devait pas exister, il était en colère, oui, il était déçu, oui, mais il était mal, et là, cette scène, c’était trop. Il ne voulait pas être celui qui faisait mal, il ne voulait pas la voir s’écrouler, il ne voulait pas qu’elle pleure, et il ne voulait pas pleurer non plus. C’était confus, c’était trop. Tout était en train de prendre un nouveau chemin, et cette fille dans la voiture, cette Daphne là avait quelque chose à offrir au monde, parce que pour une fois depuis le début, elle lui avait dit la vérité, son langage corporel l’avait trahie, et c’était cette personne là à qui il avait parlé pendant des mois, pendant des nuits entières, cette Daphne là pouvait être sa Danielle, c’était une idée devenue possible, maintenant qu’il avait vu le vrai visage de Daphne, l’image de fille parfaite brisée, la carapace pleine d’assurance laissant place à une fragilité insoupçonnée. D’un ton plus calme, une fois sur le bas côté et en dehors du véhicule, à l’air libre, respirant l’air frais d’une nuit tombante, il fixa la jeune femme, réfléchissant aux mots à utiliser, prenant grand soin de les sélectionner pour qu’ils reflètent parfaitement ce qu’il ressentait. “Je crois que tu te trompes de combat. Avant de vouloir que moi je te pardonne, je crois que tu devrais déjà apprendre à t’accepter. La Daphne que je viens de voir est celle que tu devrais être au quotidien, avec tes peurs et tes angoisses. Celle-là est de loin la plus intéressante des deux, alors si tu veux faire en sorte que je t’écoute, tâche d’être celle-là en ma présence, ça sera un bon début. Arrête de pleurer maintenant...” Fit-il en s’approchant d’elle, essuyant d’un revers délicat de la main, la perle qui ruisselait le long de son visage rosi par l’émotion, son mascara laissant trainer quelques traces noires dont il ne commenta rien. Il était trop gentil Rainer, c’était la source de bons nombres de ses problèmes, mais ce soir, il n’avait pas envie d’être le con qui renverrait une fille pleurer chez elle, humilié par ses propos inquisiteurs. Quelque soit leur passif, quelque soit la rancoeur qu’il éprouvait, il se refusait à reproduire le schéma qui avait détruit sa vie, jamais. Alors, tout en gardant une mine impassible, il restait là, à côté d’elle, n’ajoutant plus rien au silence de la nuit.