between the wars

La rame de métro freine dans un crissement aigu. Daniela descend sur le quai pour constater que ce n'est plus l'affluence des grandes lignes de Manhattan. Elle traverse le sous-terrain, énumérant machinalement des dates et des faits, curieusement observée par un peloton poussif d'étudiants et d'hommes à mallettes. Elle sent que la plupart d’entre eux ne la regardent et ne l'écoutent déjà plus. En général, ce manque d’intérêt ne l’affecte pas, mais ce jour sa patience a été mise à l’épreuve. L’odeur aigrelette d’urine l’assaillit. Les murs sales semblent se refermer sur elle, menaçants. Sans se retourner vers la rame où sont entassés ses compatriotes, elle s’arrête pour soupirer avant de poursuivre au trot vers la sortie. Elle gravit l’escalier aussi rapidement que l’autorise sa hanche douloureuse - une mauvaise chute au Mexique - et se retrouve sur le boulevard. Le bruit de la ville la heurte de plein fouet. Des taxis, des mobylettes passent devant elle dans un grondement de moteur débridé. Le jour se couche et parait d’une lumière sinistre l’hyperstructure métallique du métro. Elle sort le téléphone de son jean, rajuste les bretelles de son sac à dos et remonte le boulevard. Elle parcourt ses contacts et s'arrête sur Nando. J'arrive dans 5 minutes. Pris du retard à l'université. Les trottoirs jonchés de déchets et les façades délabrées des immeubles accrochent son regard. Le quartier effervescent du Queens est encore moins reluisant que dans ses souvenirs. Les émanations piquantes de gasoil et d’essence se mélangent à celles des déjections canines. Etrange que la puanteur des lieux l’agresse autant - elle qui se contente de vivre dans la sueur et le sang la plupart du temps. Ces années à couvrir les recoins les plus dangereux de par le monde l'ont habituée à vivre à la dure. Les désagréments du quotidien des New-Yorkais ne sont rien à côté. Et au moins ici, un coup de machette ou un tir en l'air ne signerait peut-être pas son arrêt de mort, la hanche et les os brisés. Sa boiterie s’accentue tandis qu'elle parvient à hauteur de l'immeuble. Elle encaisse mal la fatigue d’une nuit trop courte, passée à ressasser et à approfondir ses recherches. A comprendre comment elle en est arrivée là, et comment elle sortira indemne de son séjour prochain dans la jungle brésilienne.

Elle entre sans hésiter, une demi-heure en retard. Les heures semblent toujours s’envoler lorsqu’elle s'entraîne avec Nando. Elle répète inlassablement les mêmes enchaînements, même seule, cherchant à réaliser avec fluidité des exploits et des mouvements inédits. Elle se redresse, réaffirme sa posture, espérant par ce geste qu'il ne s'aperçoive pas sa blessure et ses yeux désarçonnés se posent sur son ami. Alors, Daniela pose ses affaires dans un coin contre le mur, retire ses écouteurs, ouvre son sac. Elle met deux bonnes minutes à enfiler les coussins autour de ses poignets et pour se positionner en face de Nando. Elle attend que les autres clients s’éloignent suffisamment. « Salut. » Elle affiche une mine crispée, tant pour la douleur contre son bassin que pour les décisions qu'elle doit prendre. Quelle résistance opposera Nando à sa requête ? Quelle résistance aurait été la sienne ? Comme sur pilote automatique, elle se rapproche de lui, les émotions provisoirement en suspens, elle lève ses bras pour l’encourager à frapper. A ce moment précis, elle donnerait n’importe quoi pour troquer cette position contre un verre, peut-être deux. Un peu de vodka ne leur ferait pas de mal, anéantirait la douleur même, surtout si elle est double.

@Nando Jiménez

Nando avait répondu par la positive au message de Daniela. Une petite séance d'entrainement poussée ne lui ferait pas de mal, de quoi mettre à profit son savoir ainsi qu'une bonne manière d'évacuer la rage incandescente qui naviguait dans ses veines. Pour le reste de la soirée sa patronne n'avait pas besoin de lui, alors il était arrivée trop tôt. Comme à son habitude. S'amourachant du sac de frappe avec une hargne inimitable. Au bout de plus d'une heure, il avait zieuter son téléphone, préoccupé par l'absence de sa camarade, puis s'était engagé dans un deux contre deux avec un inconnu. Quelques minutes tout aussi intense, durant lesquelles il lui été arrivé de cracher quelques gouttes de sang, de quoi réamorcer sa haine viscérale. Puisque dans ces moments là, il ne pense qu'à elles, son ex-femme et sa fille.

Il est en train de reprendre son souffle, assis sur un banc, une bouteille d'eau à la main quand il aperçoit enfin la portoricaine. Son regard s'attarde sur sa démarche bancale, il l'observe de haut en bas, le visage sévère sans dire un seul mot. Il se lève quand elle arrive à son niveau, enfile ses gants rapidement pour recommencer son shadow boxing jusqu'à ce qu'elle se pointe devant lui. salut ? qu'il répète en fronçant les sourcils, il est déjà en garde mais frappe son propre torse de son poing pour qu'elle commence ses enchainements. Ils ne sont pas du genre à discuter énormément, c'est avec son frère qu'il a passé le plus clair de son temps, un genre de meilleur ami. Un membre de sa famille qu'il n'a jamais eu. qu'est-ce que t'as là ? à la jambe ? on dirait que t'as marché sur une mine antipersonel putain ? ses traits se froissent une nouvelle fois alors qu'il donne un coup de menton en direction de la jambe de Dani. C'est que Nando est du genre soucieux, en permanence, d'autant plus lorsque cela touche à son entourage restreint. Le mexicain laisse retomber ses bras le long de son corps, quémande une réponse qui ne vient pas assez rapidement. tu crois tu vas être en mesure de tenir la distance, sinon on remet ça dani. c'est pas un soucis. déjà prêt à se défaire de son équipement pour continuer à récupérer son souffle. Il sent, que quelque chose cloche mais il ne saurait mettre le doigt dessus.