distortion of reality.

Elle pouffe : « j'ai pas peur. Krav maga, rappelle-toi. » Mais son aplomb l'abandonne considérablement aussitôt que Devon se tient devant elle et que ses doigts entrent en contact avec la peau de ses reins. Shea déglutit et lève les yeux vers elle : elle n'a plus son sweat, et elle réalise seulement à quel point elles sont proches l’une de l’autre, et soudainement, elle peine à respirer. Ses cheveux ondulent sur ses épaules et Shea ne peut que baisser les yeux et se repositionner lamentablement sur ses deux jambes. « T'arrêtes pas de dire que tu prends les mauvaises décisions. » Elle installe ses mains sur ses épaules, les bras tendus pour garder un peu de distance, un geste qu'elle estime courageux et vraisemblablement surhumain. « Tu penses pas que ça c'en est une ? »

Avant qu'elle n'ait le temps de protester, Devon s'empare de ses lèvres, et elle n'a pas besoin d'ouvrir les yeux pour comprendre que son regard est bien plus tendre que ce qu'elles ont partagé dernièrement, sentant que quoi qu'elle puisse dire, ce sera mal interprété ; ce n'est pas une vérité générale, mais ce qu'elle constate la plupart du temps. Elle tend aussitôt ses bras pour l'envelopper répond avec la même ardeur, et quand elle met fin au baiser, elle cherche son regard des yeux. Shea hoche la tête, pose son front contre celui de sa collègue, comme si le fait de ne pas répondre à haute voix limitait les dégâts, puis elle soupire à son tour. Au delà de ce silence, elle perçoit le battement de son cœur, incoercible, à se demander comme un organe si vide peut battre avec une telle énergie, la sensation dans ses tempes et dans sa gorge, tout rythme absent ; c'est une cacophonie de tambours. En y réfléchissant, elle ne saurait vraiment dire si elle est mue par le désir ou l'appréhension, si elle est trop lâche pour admettre que Devon pourrait rompre cette indifférence, ou si elle s'accroche héroïquement aux dernières bribes de cette aventure avec elle.

Elle la pousse à s'asseoir sur le bord de son lit, et par la force de ce simple geste, elle a fait revenir le frémissement dans le bas de son ventre. Ses doigts s'accrochent au bout de ses boucles, et en silence, avec cette avidité sourde, elle fixe la lumière qui filtre jusqu'à ses iris. Elle s'interroge : à quoi pense-t-elle, est-elle en train d'imaginer entrapercevoir une réaction normale ? Aussitôt, comme si elle s'était brûlée, elle se dégage de son étreinte. Perdue dans ses pensées elle fuit d'un pas nonchalant jusqu'à la salle de bain pour s'asperger d'eau. Dans le miroir, elle observe son visage : elle n'y voit rien, n’y reconnait rien, elle ne voit pas comment cet assemblage de traits si divers tiennent ensemble et serait un jour capable de s'ouvrir à qui que ce soit, et plus elle les considère, plus ils lui deviennent étrangers. « Tu sais, elles veulent toutes ne pas être traitées comme les autres. Mais je suis comme ça, j'y peux rien. » qu'elle hèle à Devon depuis la pièce voisine. Elle passe longuement les mains sur son visage, dépossédée face à l’issue incertaine de cette soirée, qui peut à la fois la mener à une errance avide éternelle ou vers une capitulation certaine. Elle rejoint sa collègue et grimpe sur le lit, l'enjambant presque, et passant une main dans ses cheveux : signe caractéristique de son incertitude. « J'ai rien à t'offrir de plus, c'est pas que je veux pas, c'est que je suis pas faite comme ça. Je suis... vide. Tu voulais un sermon, ben le voilà. » Elle soupire une nouvelle fois. « On n'est pas obligées de coucher ensemble, tu peux dormir ici et remettre ta dernière nuit de baise infernale un autre jour. »

@Devon Willis