lying has to stop | joleo #2

Leonide et Joana sont les deux faces d’une même pièce, elles s’appartiennent mais ne se voient pas vraiment telles qu’elles sont. Chacune a des secrets qu’elle retient, qu’elle dissimule à l’autre, et elles en ont toutes les deux pleinement conscience. Elles acceptent les choses ainsi, elles s’aiment avec les ombres et les non-dits. Toutefois, ces deniers temps, une certaine distance s’est installée entre elle, et cette dernière qui ne trouve pas un écho dans le passé. Le silence s’'étend depuis plusieurs semaines sans qu’elles ne s’expliquent ce revirement de situation à voix haute. Leonide s’est d’abord accommodée de ce silence, car il était pratique pour elle, il lui permettait de tenir Joana loin de sa réalité, loin de la nouvelle de ce futur mariage qu’elle n’approuverait certainement pas. Puis le manque et l’inquiétude ont fait leur chemin jusqu’au cœur de Leo. Que se cache derrière le silence de Joana ? Leonide sait qu’il est trop long pour être innocent.

En arrivant au théâtre où sa cousine lui a indiqué de la rejoindre, Leonide demande où trouver la comédienne et l’agent d’accueil la dirige vers sa loge. Elle emboite le pas connaissant parfaitement le chemin qui la conduira à destination. Sans grande surprise, Joana et elle se sont dirigées vers la même passion, elles partagent l’amour de l’Art dramatique. Peut-être parce qu’elles ont toutes les deux grandies avec le besoin de se cacher du reste du monde pour survivre ; peut-être parce qu’elles ont très jeunes compris l’intérêt de tromper pour mieux régner. Elles récitent et incarnent des répliques sous les projecteurs, capturent les regards et trompent les cœurs ; elles jouent la comédie dans un monde qui sonne de plus en plus faux.

Leonide passe par la salle pour saluer le metteur en scène avec qui elle a déjà travaillé avant de se faufile sur la scène pour rejoindre les loges. Dans ce couloir qu’elle a déjà emprunté de nombreuses fois elle se prépare à la confrontation qui l’attend. Elle ne sait pas ce que Joana cache derrière son absence, en revanche Leonide sait ce qu’elle va devoir lui avouer. Et cette révélation pourrait changer les choses entre elles en même temps qu’elle rendra la situation définitivement réelle. Elle toque à la porte et l’ouvre sans même attendre que sa cousine lui réponde. Elle découvre alors Joana assise dans un fauteuil fasse à un miroir en train de se démaquiller et elle ne peut s’empêcher de lui dédier un sourire malin. « Ça fait si longtemps que je ne t’ai pas vue… seraient-ce des rides que j’aperçois aux coins de tes yeux ? » Elle ricane en refermant la porte derrière elle et va se laisser tomber sur le sofa non loin de celle qu'elle est heureuse de retrouver. Elle glisse ses doigts dans son sac pour y chercher une cigarette. « Comment vas-tu ? » Elle allume sa marlboro gold en accrochant son regard à celui de sa cousine dans le reflet du miroir. Si Leonide est là pour lui dévoiler ses futures noces, elle attend de Joana qu’elle lui dévoile les raisons de son silence en premier, le temps qu’elle se prépare à lui donner sa terrible vérité.

Tu te souviens de leurs rires?
Te souviens-tu de leurs visages?
De leurs sourires combinés?
De leur force inestimée?
Tu te souviens de leurs mains enlacées?
De leurs tombeaux et leurs peaux glacées?
C'étaient nos mères, nos exemples.
Regarde-nous aujourd'hui...

Joana lâche un soupir, le regard dans le vide, les yeux dans le miroir. Son reflet ne l'intéresse pas. Machinalement, elle caresse son visage du bout des doigts, à la recherche d'une mère qu'elle ne voit plus, d'un souvenir qui s'estompe progressivement. Elle était si belle. Sourire passager sur ce visage ravagé par la souffrance d'une vérité qui la trouble. En elle, un être chamboule tout. A l'extérieur, un autre pense avoir son mot à dire. La glace accueille la phalange manucurée tandis que Joana inscrit les lettres de son prénom dans une trace invisible. James. Même initiale pour débuter leur appellation. Mais jamais ils ne partageront le même nom. Car elle n'est pas femme à se soumettre et lui n'est pas homme à demander. Ont-ils un avenir? Nouveau soupir tandis qu'elle repose son téléphone sur la coiffeuse, attendant que Leonide pointe son nez de fouineuse dans sa loge. Pourquoi l'avoir invitée à te rejoindre? Pourquoi l'appeler alors que tu ne veux pas geindre? Ses yeux croisent son regard dans le miroir et elle se glace toute seule. Joana fait peur en ce moment même. Le noir de son mascara ne couvre rien à sa détresse. Instinctivement, elle prend un coton pour démaquiller ces yeux qui autrefois étincelaient constamment. Parce que j'ai besoin de parler à quelqu'un. Et je n'ai qu'elle... La porte s'ouvre comme une réponse à son appel intérieur. Leonide pénètre la pièce comme si elle était chez elle. Les deux cousines ont déjà joué ici ensemble et la loge est habituée à leurs babillages constants. « Merci cruella, ça fait plaisir aussi de te revoir. » Leonide est moins mal en point que celle qui partage son sang. Mais elle semble préoccupée. Joana sait qu'elle l'est car jamais elle n'aurait laissé autant de temps entre leurs entrevues si elle n'avait pas été elle-même absorbée par autre chose. Habituellement, cela rendrait curieuse la harpie de savoir ce qui se passe dans la vie de l'intrépide Tendler. Mais pas maintenant. Maintenant, elle est trop accaparée par ce foetus qui bouffe tout en elle, tout dans sa vie. « Mmmh, t'as pas une question moins banale? » répond-elle sarcastiquement et adroitement. De la sorte, elle repousse la réponse aussi. Joana en a marre de mentir. Mais commencer la conversation par une complainte ne lui ressemble pas. « Tu veux du thé? » elle indique la théière en argent qui traîne sur la table basse. Luxe des privilégiés, la diva a exigé d'être servie à toute heure et avec du matériel importé de Londres. « On vient de me l'apporter. Cannelle, j'avais envie de quelque chose plus piquant. » Elle sourit et se lève pour jeter le coton imbibé du maquillage qu'elle a daigné s'ôter du visage. Se rasseyant dans le sofa de luxe qu'elle a elle-même acheté pour orner sa loge, elle croise ses jambes, sort une cigarette qu'elle entube dans son porte cigarette pour préserver ses doigts de la nicotine et souffle « Je suppose que tu es venue me parler du bébé. » Elle annonce avec théâtralité, profitant du moment suspendu où le drame est dévoilé au spectateur. Son regard est intense et un sourire malin se glisse sur ses lèvres avant d'acquiescer. « Oui, oui, mon bébé. » La possession du terme est sans égale. C'est son bébé, son sort lui appartient. Quoiqu'il en dise, James n'a pas de pouvoir dans cette histoire. Il est géniteur mais pas propriétaire. Propriétaire de rien. Vas-y, interroge-moi Leo, force-moi à te délivrer mes secrets, à soulager mon âme de cette souffrance acerbe qui s'épanouit avec l'enfant en même temps.

La porte s’ouvre et Leonide s’enfonce dans la pièce comme si elle lui appartenait. Un sourire sur ses lèvres quand elle croise le regard de sa cousine en même temps qu’elle la jauge, à la recherche d’un quelconque signe qui pourrait éclairer ses interrogations. Elle ne peut s’empêcher de constater que Joana n’a pas bonne mine. Ses traits sont tirés et son regard semblent avoir été déserté par les nombreuses étoiles qui l’habitent d’habitude. Ce constat inquiète d’autant plus Leonide. Elle espérait arriver et retrouver sa cousine comme elle l’avait laissée quelques semaines plus tôt, qu’elle la rassurerait avec un sourire et que les mots n’auraient finalement pas à se frayer un chemin jusqu’à leurs lèvres. Maintenant, elle sait qu’elles ne doivent pas y échapper. Leonide traverse la pièce et s’installe sur le sofa derrière sa cousine tout en lui demandant comment elle va. Une question banale pour amorcer une conversation qu’elle ne sait pas vraiment comment appréhender. La jeune femme ne lui répond pas, préférant lui poser une autre question en guise de réponse. « Je vois que tu n’as pas perdue ta douceur légendaire. »  lui répond-t-elle en ricanant légèrement. Elle lui propose alors de quoi boire, et Leonide s’étonne de la nature de sa proposition en même temps qu’elle s’amuse de constater le caprice qu’elle a fait subir à la régie. « Depuis quand tu bois du thé à cette heure-ci toi ? Mais soyons-fous, je vais en prendre une tasse. » Elle l’interroge, plus pour la taquiner que pour obtenir une véritable réponse. Joana finit par venir la rejoindre sur le canapé et lui souffler une confession que Leonide ne parvient à assimiler. « De quoi tu me parles ? »  Son regard s’ancre dans celui de Joana, attendant la chute d’une phrase qu’elle espère comique.

Mon bébé.

L’incompréhension s’éprend alors de Leonide quand elle comprend ce que ça cousine est en train de lui annoncer. Joana est enceinte. « Tu rigoles Jo ? »  Figée sur le tissu luxueux du canapé Leo dévisage sa cousine à la recherche d’une information complémentaire. Elle ne pensait pas entendre ces mots sortir un jour de sa bouche, et Leonide ne parvient pas à complètement assimiler l’information qu’elle vient de lui confier. La comédienne secoue la tête comme pour essayer de reprendre ses esprits. « Mais tu le sais depuis quand ? »  Elle sonde le regard de sa cousine pour y trouver les réponses à toutes les questions qui se bousculent en elle. « Tu sais qui est le père ? »  Ses sourcils sont froncés, non par pas parce qu’elle juge ou réprimande la grossesse de sa cousine, il s’agit simplement de la manifestation de son inquiétude soudaine. Leonide ne parvient pas à savoir s’il s’agit de l’annonce d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle. « Je suis obligée de te poser cette question, mais tu sais que quoi qu’il arrive, j’accepterai ta réponse sans chercher à influencer ton choix. Tu veux le garder ce bébé ? »  Elle tourne son corps pour faire face à sa cousine dans l’attente d’une réponse qu’elle ne parvient pas à deviner d’elle-même.

Un roman entre les mains,
Un sourire qui se dessine dans nos traits,
Un inconnu qui passe l'air de rien
Et nos rires qui galopent vers le niais.

Nous étions jeunes et déjà cruelles.
Mais pourtant si belles.
Nous étions jeunes.
Que sommes-nous désormais?

« Tu me traites d'alcoolique là?  » Joana sourit de son sourire tranchant tout en se servant et en servant sa cousine. C'est vrai qu'elle n'est pas des plus douces ou des plus conscientes à ce niveau-là. Mais la femme s'est quelque peu repentie depuis que la vie s'épanouit dans ses pans. Ceci dit, elle ne traîne pas sur le sujet trop longtemps. Autant directement avouer ce qui la rend si différente, si fatiguée, si... peu elle.

De quoi tu me parles?

La question est logique, banale, prévisible. Et elle précise pour ne pas devoir jouer aux sous-entendus trop longtemps. Joana a décidé d'en parler à Leo et il est temps de tout mettre sur la table. « Non.  » Ce n'est pas froid, c'est clair. Elle ne rigole pas. Le choc se lit sur les traits de la jolie femme en face d'elle. Jusqu'à présent l'aînée s'est toujours considérée plus belle que Leonide. Mais aujourd'hui, Leonide dégage la beauté de l'insouciance quand Joana semble avoir pris trois années de souffrance. «  Je pense que j'ai commencé à m'en douter lors de notre dernier resto. T'as dit quelque chose à ce sujet en blaguant et ça a fait tilt. J'ai pas voulu réaliser tout de suite mais très vite après, j'ai dû faire face à mes propres démons.  » Elle sourit faiblement, jouant la comédie d'une femme résignée. Son thé entre les mains, il chauffe son épiderme tandis que les mots qui glissent entre elles la laissent de marbre. Son coeur est froid. «  Malheureusement oui. » Son sourire devient plus froid encore. James. Le maudit. Elle lui en a déjà parlé mais si peu. Si peu que Leonide a dû comprendre que c'était un terrain miné et que Joana ne voulait pas l'évoquer.

Faut-il aujourd'hui lui dire de qui il s'agit? Elle roule des yeux en reposant sa tasse. « C'est un ancien amant, une histoire ancienne... que je n'ai jamais réussi à classer. James, si ça te dit quelque chose.  » Pourquoi en parler? Elle n'en sait rien. Ca la pèse de trop. Faut que ça sorte. Et y a que Leonide qui puisse l'écouter sans la juger. Le jugement est toujours absent quand elle offre son soutien inconditionnel la minute suivante. « C'est là que le bât blesse. J'en sais rien. Oui. Non. Je veux pas d'enfant putain. Mais j'ai pas envie de le jeter. Pas cet enfant. Puis, j'ai pas envie de garder sa saleté de môme à lui. Je...  » Ses paroles vont dans tous les sens, elle halète, balbutie, craque. Les larmes lui montent aux yeux sans qu'elle ne puisse plus les retenir. « Ca me fout en l'air!  » Sa voix exprime le désespoir. Les larmes perlent violemment sur son visage. Faiblesse qu'elle ne peut afficher, jamais. Mais elle est là, au fond d'elle, à germer. Les hormones font sûrement leur travail aussi.

Sa cousine lui demande si elle a la traite d’alcoolique et Leonide ne peut retenir le rire franc qui lui chatouille la gorge. Si Joana a bien des vices, l’alcool n’en a jamais vraiment fait partie. Contrairement à elle sa cousine n’a jamais laissé le poison prendre de la place dans sa vie, trop accrochée au contrôle de cette dernière. Avec son seul rire pour réponse, Leo choisit de laisser un doute factice planer. Mais si les rires et les sourires se mélangeaient, soudain une réalité vient assombrir la loge où elles viennent de se retrouver. Des mots d’abord incompris, puis répétés en boucle dans sa tête. Une information qu’elle n’arrive d’abord pas à saisir dans son entièreté, comme si elle ne pouvait vraiment la considérer telle quelle. Les questions arrivent sur ses lippes et l’information se dessine, de manière de plus en plus précise. Joana est enceinte. Leonide la regarde, décrit son visage à la recherche d’un semblant de réponse à toutes les questions qui se bousculent en elle. Elle est surprise, car elle n’avait pas envisagé cette éventualité.

Comment devenir mères en ayant perdu les nôtres si tôt ?
Sommes-nous seulement capables de l'être un jour ?

Joana lui confie que l’idée a commencé à germer en elle la dernière fois qu’elles se sont vues et dans d’autres circonstances Leonide se serait félicitée à voix haute pour la clairvoyance dont elle a fait preuve. Plus sa cousine lui dévoile le tableau de cette grossesse inattendue et plus la force légendaire qui a toujours su provoquer l’admiration chez sa cadette semble la quitter, absorbée par une souffrance que Leo ne supporte pas de voir sévir en elle. Elle devine des doutes et des craintes dans le regard de sa cousine, mais cela ne l'empêche pas de continuer à lui poser des questions car elle ne peut la laisser seule face à ces ombres qui paraissent vouloir s’emparer de chacun de ses espoirs. James. L’un des rares prénoms que Leonide ait retenu bien qu'il n'ait été que rarement prononcé. Dès la première fois où il s’est glissé entre les lèvres de son aînée Leo a pressenti les vents violents qu’il semblait faire naître de son cœur. Et c’est dans le silence à son sujet qu’elle a compris l’importance que semblait cristalliser ce dernier. Elle hoche la tête pour lui signifier qu’elle se souvient de lui et du peu qu’elle lui avait raconté à son sujet à une époque. « Plus si ancienne que ça apparemment… » du moins, sa réplique doit être assez récente pour qu’elle résulte en un enfant.

Leonide enchaîne les questions, gardant la plus délicate pour la fin. Qu’est-ce que tu veux faire Jo ? Elle se doute que ce qu’elle lui demande implique une réponse bien plus complexe que la question ne le laisse entendre. Et celle que sa cousine lui apporte l’inquiète, car Leonide n’a jamais vu Joana dans un tel état. Elle ne l’a jamais vue avant aujourd’hui à la merci du doute et de la crainte. La douleur semble lui serrer la gorge, et provoque des larmes qui viennent perler le long de ses joues. Ça me fout en l’air. « Non. » Une réponse catégorique et ferme qu’elle siffle avant déposer la tasse à laquelle elle n’a pas touchée sur la table basse et de s’emparer du visage de sa cousine entre ses mains. « Ça ne te fout pas et ne te foutra pas en l’air, je ne le permettrai pas. » Car c’est comme ça qu’elle agit Leonide, elle pourrait tout donner, tout sacrifier pour le bonheur de son frère, comme pour celui de Joana bien qu'elle ne lui dise pas. Avec son pousse elle efface la trace d’une larme sur la pommette de Joana et reprend. « Cet enfant, c’est dans toi qu’il prend vie, et ce sera toujours le tien avant d’être le sien, quoi qu’il en dise et quoi qu’il en pense. Qu’importe ta décision, ce sera la bonne, car tu la prendras pour toi. » Elle retire ses mains du visage de sa cousine, tout en rapprochant son corps du sien pour venir le soutenir dans la lutte qu’il semble avoir entrepris avec la souffrance. « Et je serai là, quoi qu’il arrive Jo. Pour toi, comme pour cet enfant si tu veux le garder. » Elle passe une main tendre dans les cheveux de sa cousine, en plantant à nouveau ses yeux dans les siens. « Maintenant, je pense qu’il est temps que tu me dises qui il est, c’est ce qui fera que je pourrais t’aider. Je n’ai jamais posé de questions à son sujet, mais aujourd’hui tu dois me répondre... » Leonide dépose son visage sur le dossier du canapé, prête à rester ici des heures s’il le faut. « Il est au courant ? » Prête à prendre les armes pour chasser les larmes de sa cousine et protéger ce royaume qu’elles ont construit dans la douleur et la complicité d’un deuil commun.