Edelweiss, nuit sans lune. Posté à l’arrière du bureau. Le crayon gratte sur le papier. Mélodie brute de la mine contre support. Un morceau en morse. À l’abri des regards. Silence assourdissant ou presque. À tendre l’oreille, le chant de sirènes sous les effluves des courbes se libèrent. Un arrière fond sonore dont le russe s’est habitué, dans une lassitude presque certaine. L’esprit dans les nombres et les chiffres. À l’attente du jeune Orlov. La comptabilité les attend.
Viktor, danseur en disgrâce. L’homme ayant perdu sa carrière. L’homme abandonnant sa carrière. La réalité est floue sur cette histoire. Il n’en relève pas le voile. Viktor laisse planer le doute et les suppositions. Il n’en a que faire, à corriger les rumeurs et les cancans.
La pénombre de la pièce, à l'unique source éclairante, la lampe de bureau creuse son air fatigué. Visage en cartographie de lignes. Ces lignes du temps. Plus communément appelé rides. L’âge avance et la peau d'autrefois se laisse aller à marquer l’histoire d’un artiste reconverti à une vie nouvelle. Une vie choisie depuis plusieurs années. Au chemin opposé à sa destiné, et qui surtout, le satisfait. L'homme renoue avec ses racines et une famille. La mafia lui offre un confort autrefois perdu.
L’esprit vagabonde et se perd. Pourtant masqué par cette figure adossée qui travaille sur les chiffres. Danseur troqué contre comptable ordinaire. Ordinaire en surface. Il se sait à présent las des corps féminins. Attirance curieuse pour les contours masculins. Formes nouvelles. Silhouettes sculptées autrement. Celles qui ont gardé de leur superbe pendant que les filles se démystifient sous le joug de leurs affaires. Ces poupées que l’organisation façonnent pour les rendre parfaites. Parfaites commercialement parlant. Les hommes, eux, entretiennent un mystère brut. Parce que ce milieu est une usine à muses. Les hommes sont restés intacts. Du moins chez les Romashka.
Les idées se balaient et s’effacent sous l’entente des pas qui claquent. Il l’entend, il s’avance. Les bras se nouent sous froideur pour afficher une rigidité qu'il ne décroche pas. La rigueur, il la possède à l’extreme. À l’obsession. Une seconde de trop et Viktor s’agace. La responsabilité est portée par cette éducation militaire qui l’a formé durant ses années d’académie.
Misha apparaît. Les traits gracieux. Le sourcil de Mandelstam se hausse et la voix détonne.
- Plus vite tu t’actives et plus vite ton Enfer se termine.
L’Enfer des nombres. Il sait à quel point le fils de Grisha déteste être nominé à cette discipline que Viktor affectionne.
Sujet: Re: new york, entre les lignes (ft misha) Dim 15 Nov - 12:14
entre les lignes
Viktor & Misha
« Numbers are consistent. You can count on them. »
Le corps de Misha est pétri par l’asphalte ; le poitrail coulé de naphte ne saurait se détourner de l’appel de la rue. Et c’est sans doute cet amour pour la vie de terrain, cette belle propension qu’il a à honnir les bureaux et s’investir plus encore dans les sales affaires se tramant en dehors des murs, que le père ce matin l’a fustigé de ses paroles abruptes et de son regard de suie. Derrière la porte les soupirs contrits de Rufus, chien de garde à la babine toujours scellée mais dont l’esprit ne saurait réchapper des foudres qui se trament au sein de ce bureau mené en huis-clos; “encore une dispute”. Le père et le fils, ce vieux couple en adoration mais dont la jalousie, parfois, s’exprime à travers les persiennes d’autres excuses ; c’est qu’elle aurait pu te tuer. Amour, quel drôle de prénom pour une harpie. Et le fils de vitupérer à son tour puisqu’il ne saurait que bouillir, pas bien foutu de se défaire de son inconscience mais suffisamment lucide pour capter à hauteur de ce regard fou les prémices de la jalousie du père. Le châtiment fond sous la langue, sur les lèvres et se confond dans sa voix des rocailles ; “cette nuit tu aideras Viktor”, assène-t-il sans que l’invective ne convie le refus. Puisque le fils, lorsqu’il se plie à l’exercice de la comptabilité, démontre une disposition en la matière mais sans en avoir l’appétence, Grisha le somme de s’emmurer vivant avec leur trésorier. Le fils a claqué la porte lorsque la lippe a ravalé ses sales injures. De ces palabres piquantes qu’il pourrait regretter, Misha a préféré les déglutir plutôt que de clamer le désamour qu’il n’a pas à l’encontre de son père.
Dans les ténèbres il se fond, se fait avaler par la berline ronronnant sous la nervosité piquante du conducteur. Le pouls de son cœur en prise avec le courroux bat la pulse jusque dans ses tempes lorsque Misha se remémore les conflits de ce matin, mais c’est glacé et glaçant qu’il roule jusqu’aux Edelweiss. Maison abhorrée du fils et chérie par le père, leurs dissensions se goûtent parfois à la faveur de leurs préférences. A la prime jeunesse de ces enfants perdues, Misha leur préfère la beauté brute des Glycines. Le parfum ordinaire et quelconque des prolétaires lorsqu’il s’y invitent, et les manières absentes des filles hantant la Maison. La nuit a bercé les martyrs, toutes recluses dans leurs chambres et ne daignant laisser planer derrière elles que le bruit de leurs pas, de leurs pleurs, de leurs rires, s’évaporer sous les airs du Clair de Lune régnant dans la bâtisse. Debussy a apaisé les pauvres âmes mais n’a pas décrassé la carcasse d’un client au sourire fier prenant pas vers la sortie. Il a salué Misha, lequel lui a rendu la salutation polie sans piper mot. Le gamin a la posture droite, bien verticale, la colonne tirée vers les hautes sphères. Cet habitus tenace bien ancré dans ses os depuis qu’il est en âge de marcher, gomme à outrance son faciès aux traits fins et cette aura paisible trahissant l’assemblée.
C’est un autre homme au faciès élégant que Misha rejoint dans les hautes tours de ces géhennes. Viktor secoue ses cordes vocales de la froideur des steppes, ourlant derechef un bref rictus sur les lippes de Misha. « Le but des enfers, c’est qu’ils n’aient pas de fin. » qu’il argue non sans lorgner sur la pile de paperasse. Prendre place dans un souffle et se mettre au travail, sans complaintes ni lamentations, un pli creusé entre les deux yeux manifestant de sa concentration.
La comptabilité comme pénitence. Au fond d'un bureau quand les rayons du jour ne sont plus pour embaumer d'espoir. Ici tout est ténèbres. Ils sont les pions d'un bas monde. Qu'ils articulent de chairs et d'artifices. Pourtant, comme tout spectacle, le revers est d'une réalité cruelle. Les chiffres. Des nombres qui s'accumulent entre eux pour satisfaire les normes d'une société. Pour passer entre les mailles. Laisser à l'entreprise, toute la jouissance de s'alimenter et de grossir. Mafia au dessus de la loi, tant que certains documents sont là pour couvrir les vices qu'ils animent.
La silhouette se trace. Il n'est pas danseur mais il a la carrure pour l'être. Dans son élégance il entre, l'enfant Orlov. Misha. Il suit Viktor dans le rompt du silence, pour rebondir sur la phrase lâchée. Les tempéraments se croisent et sans, il serait impossible de survivre dans les méandres de leur univers. Viktor a choisi ce changement brutal pour vivre, se sentir dans l'action stimulante de ce sombre décor.
L'Enfer. Enfant de foi. L'image a une connotation certaine dans son esprit. Esprit formé à croire les récits à l'éducation donnée. Sans remettre en cause les mots. Pourtant, maternelle de lettres et père activiste, il aurait dû. Remettre certaines choses en question. Mais certains murs porteurs structurent son schéma de personnalité, des pans de lui immortels.
- Vrai. Alors, tu es damné à jamais, dans les couloirs de l'Eternité, à la comptabilité.
L'humour. Un humour froid qui ne se laisse transparaître que dans de rares moments. Quand une porte s'ouvre pour s'y infiltrer. La main se tend pour lui indiquer où s'assoir. Les documents se placent sous le nez. Des justificatifs. Des tas de justificatifs à remettre dans l'ordre. À associer aux dépenses. À vérifier que rien n'est manquant. Que tout est retracé du papier au logiciel informatique.
- Si tu veux vraiment t'en sortir, il faut que tu montres que l'activité ne t'embête plus.
Un conseil. Une opportunité pour ne plus subir. Viktor aurait mieux fait de garder les lèvres closes, mais si l'enfant doit devenir héritier, il doit avant tout apprendre à contrôler ses points faibles. À montrer qu'il ne se laisse plus atteindre. Un je m'en foutisme étincelant pour gagner toutes les batailles.
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Sujet: new york, entre les lignes (ft misha) 
Mer 4 Nov - 17:21