S’il y avait bien une personne au monde contre laquelle il savait que sa patience finirait toujours par se heurter jusqu’à s’effilocher, c’était bel et bien Fletcher. Ses jeux de mots étaient intarissables, le blond increvable avait réponse à tout, pour son plus grand déplaisir. En temps normal Ambroise ne s’appliquait même plus à prendre sur lui, jamais face à lui. Au travail c’était différent. Cette fois encore, il trouva sa réplique agaçante, leva un regard jusqu’aux néons blanchâtres au plafond que le théologien ne put que peut-être deviner, à défaut d’avoir des yeux dans le dos. L’urgentiste ne répliqua rien (puisque la tête à claque aurait toujours de la répartie, quand lui le trouvait horripilant bien avant), lui conseilla sagement de se détendre, une main habituée plaquée devant son épaule déboitée, l’autre soutenant son coude. « Tu la connais », il répondit distraitement alors qu’il commençait délicatement à mobiliser le bras abimé. Il avait véritablement prévu d’essayer de le faire réfléchir dix secondes et de le distraire afin d’appliquer une manœuvre délicate, mais Fletcher trouva encore, et malgré la situation pourtant en sa défaveur, le moyen de jouer au plus malin. Alors il tira d’un coup très sec dans l’axe de l’articulation et ses pensées, qui consistaient à la traiter en des termes moins polis de sombre abruti, furent remplacées tout fort par un clac sonore. Plus douloureux, mais tout autant efficace.
Le geste avait au moins cela de plaisant qu’il lui avait cloué le bec pour un temps (qu’il prévoyait comme bien trop court). « Ce n’est rien, c’est terminé. Félicitations tu as été très courageux. » Il avait la voix tout sauf à la gratification, la patience déjà retranchée dans ses limites pour savoir faire véritablement dans l’ironie, deux ou trois impolitesses qui lui démangeaient le bout de la langue. « Ne bouge pas », il prévint, le temps de récupérer une écharpe qu’il avait préparée un peu plus tôt, puisqu’il n’était pas certain de ne pas résister à la tentation de lui éclater la tête humérale pour de bon si l’idiot trop malin, et suffisamment talentueux pour le rendre lui plus tout à fait doux comme un agneau, se mouvait trop tôt. Il glissa le bras immobile du garnement insatiable dans l’attelle. « Tu la gardes au moins dix jours, il expliqua en ajustant le matériel, d’ici là tu n’auras qu’à servir le vin de messe avec ton autre main, ça m’embêterait de revoir trop tôt tes beaux yeux. »
Incroyable mais vrai : après une éternité, il en avait pour ce soir enfin terminé avec lui. « Tu peux t’en aller, n’hésite pas à revenir s’il y a le moindre souci » Il donna sa bénédiction (et ça n’était pas trop tôt) à l’enfant doublement puni de part ses blessures et son médecin non désiré : hasta la vista, il pensa : bon débarras et ne reviens surtout pas ! « Oh et reprends ton petit canif au passage, sois bien prudent mon grand la prochaine fois que tu joueras avec, d’accord ? » Juste pour le plaisir en terminant, un sourire avec lequel il était incapable de ne pas montrer tout ce qu’il se foutait de sa tronche.