et d'un coup, plus rien.

sa propre vie a bien changé. elle, surtout, a trop changé. ils ont réussi, à faire d'elle ce qu'ils désiraient. celle qui s'en fiche de pratiquement tout. celle qui garde ce téléphone dans sa main, qui se concentre à faire des études qu'elle n'aime pas. qui rentre tous les soirs, un sourire des plus faux au bord des lèvres, sans savoir à quoi s'attendre pour l'après. mais encore une fois, elle fait ce qu'on veut d'elle, elle ne sait même plus très bien ce que ça veut dire que de prendre sa vie en main.
alors c'est le même train train, elles se retrouvent généralement dans un café huppé entre deux cours. ça débat, cinq petites minutes, du cours en question avant de s'en aller dans un sujet qui, généralement, les intéresse toutes. shopping, garçon, même réseau sociaux. pourquoi à un moment, ça lui a plu ? parce que ça doit bien être le cas, si elle s'accroche encore un peu à tout ça. c'est trop tard pour faire marche arrière de toute manière. elle est foutue. elle doit continuer de vivre ce bout de vie là. sans savoir à quel moment elle finira par craquer.
le cours se termine plus tard que prévu. loreleï est l'une des dernières à sortir, pour éviter de croiser ses... amies. elle aimerait rentrer à l'hôtel, directement. et pour ça, il faut qu'elle évite aussi le chauffeur pour se permettre un vrai temps libre. ses parents doivent sans doute être rentré de leur dernier voyage. quelque chose d'important pour la carrière politique de sa mère. elle comprendra plus tard, qu'on lui a dit. alors, sûrement qu'ils ont raison, mais pour le moment... elle est au ralentit dans quelque chose qu'elle n'a même pas envie de vivre une seule seconde.
et ça peut s'arrêter là. elle fait son chemin tranquillement, les talons claquent sur le bitume, elle regarde fièrement en face d'elle sans tomber, sans déchirer son collant noir, sans rien. mais non. parce qu'elle croise dans la rue une personne qu'elle n'a pas vu depuis trop longtemps. elle a fait son choix loreleï, dans le passé. pas le bon, mais il a quand même été fait quoi. par peur, pour son image, pour sa réputation. t'es au courant que les trottoirs des putes, c'est à l'opposé de ce quartier ? son regard noir qui ne quitte pas sofia. elle lui en voudra, comme elle doit probablement lui en vouloir de toutes les autres fois où, d'un tout, elles sont devenues un rien. c'est pas ton quartier ici, ma belle. beaucoup trop luxueux pour une pauvre comme toi. et oui, parce que maintenant qu'on a une réputation en jeu, on peut pas se permettre de la faire tomber. tant pis pour la cruauté. tant pis, si elle passe pour l'enfant sans coeur, sans âme. elle n'en a plus vraiment de toute manière. loreleï n'est plus à ça prêt, et peut-être qu'elle a envie de faire mal, pour une fois. même si rien n'est mérité. elle a besoin de se sentir vivre, sans projecteur autour d'elle. rien. juste elle, et ce faux masque qui a bien trop empiété dans les véracités de son propre caractère.

Chignon mal fait, laissant quelques mèches de sa crinière brune retomber sur ses épaules, elle avance, la démarche assurée, dans ce quartier qui accueille certains de ses meilleurs clients. Les gosses de riches, les petits merdeux désireux de montrer qui à la plus grosse à coup d’arme à feu. Ceux qui demandent toujours un peu plus, qu’elle se plait à rejeter, louve féroce du monde de l’ombre. Pas de cet univers, pas de celui de la lumière. Ta place est toute trouvée, chez les Ferreira. Comme le sens que t’attendais, les responsabilités prises pour la seule personne aimée. Protéger sa famille, sa seule famille, tout ce qui compte. Gratitude envers cette main tendue, cette main inconnue, quand elle était à la rue. Ce sang perdu, méconnu, retrouvé avec sa tante pour lui offrir, enfin, un vrai moment de paix. Plus d’inquiétudes durant des années, Sofia. Plus d’inquiétudes pour la première fois depuis que maman s’est tirée. Depuis que tu t’es retrouvée seule et abandonnée. Plus d’inquiétudes, jusqu’à ce qu’elle ne tombe malade, elle aussi. Jusqu’à ce que ta tante ne commence à faiblir. Monde devenu trop dangereux pour elle. Danger qui s’est installé en toi, au rythme de tes envies, au rythme de tes folies. L’adrénaline dans la peau, Sofia. La moto comme fétiche, les courses illicites pour te prouver que t’es seule maitresse de ta vie. Le dessus qu’elle reprend, les droits repris sur la vie, cette sale garce reine des coups bas. Le dessus repris, ce qu’elle croit, avant d’entendre cette voix persiflant à ses oreilles. Cette salope sans nom, L. Sans nom, mais elle en a bien un, Loreleï. Ce qu’elle appelait autrefois meilleure amie, sœur, binôme, pilier. Loreleï qui, a un moment de vie, en était une grande partie. Coup de foudre amical dont elle se souvient encore, un monde bien différent du sien mais elle en connaissait les moindres parcelles. Même la maladie. Même la maladie de ta mère, elle savait. Elle savait qu’à la maison, tout n’était pas rose, tout n’était pas étoilé. Elle savait combien c’était difficile pour toi, douloureux, de devoir prendre soin d’une mère au bord de la folie. Et Lore, à sa manière, elle prenait soin de toi en retour. Jusque l’abandon. Jusqu’à cet instant, le moment fatal, belle Sofia devenue sans-abri. Meilleure amie devenue pire ennemie. Sans explication. Sans compréhension. Et toi, ton père te laisse sortir de ta cage ? J’savais pas que les chiennes pouvaient se promener seules. Tu vois clair dans son jeu, Sofia. Lore, elle prétend. Lore, elle fait semblant. Elle ne vaut pas mieux que toi, non, ni-même mieux qu’une catin. La haine. La haine trop grande, viscérale, comme un coup de toner qui gronde dans son cœur. Ce qu’elle aimait chez elle n’est plus, ce qu’elle partageait avec elle n’existe plus. Ne reste que ce trou béant, cette pétasse superficielle venant effacer la Loreleï d’avant.

(c) shining.

l'ancienne amie est là, face à elle. les dés sont jetés, celle qui fera le plus mal gagnera. et. forcément, loreleï n'aime jamais perdre. peut-être est-ce de la provocation mal placée. ce n'était pas prévu qu'elle la voit, ce n'était pas prévu que leurs chemins se croisent. ce n'est pas la première fois, depuis qu'elles ne sont plus amies, qu'elles finissent par se voir sur le même trottoir. en temps normal, loreleï s'en fiche. fait semblant, du moins. elle se tait, ne dit rien, joue de la situation en temps normal alors qu'elle sait très bien ce qu'il se passe dans son coeur dès qu'elles sont proches.
comme maintenant.
maintenant, ça lui serre.
c'était son pilier, sa meilleure amie, l'unique personne où elle se sentait encore elle-même. un peu. où elle pouvait parler librement sans qu'on contrôle le moindre de ses gestes. merde quoi. elle était vraiment loreleï. et maintenant ? maintenant, elle a raison sofia. c'est le petit chien. celle qui a toujours cette laisse autour de son cou à bientôt vingt quatre ans. ça craint. c'est n'importe quoi. mais elle ne peut pas changer le cours des choses. elle ne peut pas changer ses actes, ce qu'elle a commis.
alors autant ne rien changer du tout.
son visage est impassible. le regard noir, elle ne baisse pas la tête une seule seconde. un sourire se glisse sur ses lèvres, elle ne peut pas se laisser toucher aussi facilement. elles doivent se faire mal ? très bien. en public ? elle en a rien à foutre, à ce stade là. l'hôtel n'est pas très loin. elle risque de retenir les larmes jusqu'au claquement de la porte de sa chambre, mais ça, ça ne regarde strictement personne qu'elle-même. au moins, les chiennes, comme tu dis si bien, sont rarement abandonnées. elle fouille dans son sac, sort son porte feuille. elle fouille, trouve rapidement une pièce de quelques cents. pièce qu'elle lui balance, gentiment, qui se retrouve à ses pieds sans aucun crépuscule. ça devrait suffire pour t'acheter du parfum. je sens l'odeur du trottoir jusqu'à là. ça se mélange à l'odeur du sexe, pas très glamour. elle se rapproche, continue, alors que sa conscience cherche à toucher, mémorer, elle n'en sait rien. quand ses doigts glissent dans les cheveux de cette brune, et que ses doigts sont plus doux que ce qu'elle n'aurait voulu. wow. pas si pauvre, à ce que je vois. t'as payé cher tes extensions ? t'as vendu un rein pour essayer de ressembler à toutes ses filles ? les mots durs, et les gestes tendres. un contraste qui ne s'explique pas une seule seconde. son regard noir, ses doigts s'appliquent. sofia est l'une des personnes qui manque le plus à sa vie. l'une qu'elle aurait aimé garder avec elle jusqu'à la fin de sa vie. maintenant, plus rien n'est possible. alors qu'elles continuent. ce mauvais jeu. elle sent déjà qu'elle est en train de brûler, faible qu'elle est. ça finira mal. mais peu importe. elle est prête. elle est prête depuis qu'elle a compris qu'elle n'était qu'un simple pantin aux yeux de tous.

Elle tape fort, loreleï. Elle tape juste, loreleï. Exactement où il faut pour la blesser, pour lui faire mal, pour qu’elle crache ses tripes, ne désire plus que sauter par-dessus un pont. Elle sait y faire, parce qu’elle la connaît bien trop. Parce qu’elles se connaissent bien trop, toutes les deux. Si bien que s’en est pitoyable, d’observer ce qu’elles sont devenues. De constater que l’amour s’est transformé en un tas de haine, sombre, dégueulasse. tu sais que c’est pas ta faute, sofia. Que t’as rien fait pour mériter ça, pour mériter son éloignement, son acharnement. Que t’as toujours été une véritable amie pour elle, mais qu’elle n’en était peut-être pas une pour toi. tu le sais, tout ça, et pourtant tu te sens mal, terriblement, même face à son visage de garce en puissance.
Mal, parce que pas assez bien pour elle. Malgré toute cette sincérité. Malgré cette belle amitié, cette évidence lorsqu’elles se sont trouvées. Autrefois, jamais elles n’auraient été capable de se déchirer ainsi, aux yeux de tous, aux yeux du monde. Autrefois, c’était elles contre ce dernier. Elles envers et contre tous. tu te souviens que t’étais littéralement capable de te jeter sur quiconque cherchait à lui faire du mal, sofia, quand aujourd’hui, c’est elle qui te fait tomber aussi bas. d’un mouvement ferme, direct, dur, la vénéneuse retire la main de son ancienne meilleure amie, qu’elle rejette immédiatement. Ecœurée par son comportement. Par sa main. Par cette pièce. Par elle, tout simplement. tu peux penser ce que tu veux, t’es certainement bien plus mal dans ta peau que moi, dans ton rôle de pétasse. ce qu’elle pense, sincèrement. Ce qu’elle pense, parce qu’elle s’assume, sofia. Parce qu’elle s’est toujours assumée malgré les difficultés, malgré cette carapace sauvage et effrontée. Alors que loreleï, elle, elle ne fait que se cacher. et entre nous, je crois que c’est toi qui cherche absolument à ressembler à quelqu’un d’autre. l’évidence.
L’évidence, et elle le sait sûrement, au fond d’elle-même, l’héritière. Sait surement qu’elle n’est qu’un automate, qu’un pantin inanimé, sans la moindre vie. en fait, tu me fais pitié. elle n’est peut-être plus dans ta vie, mais sait que jamais tu n’aurais accepté qu’un homme puisse te toucher. Elle n’est peut-être plus dans ta vie, mais sait que t’es impossible à abattre, sofia. Alors que, toi, tu ne reconnais même pas celle qui était ton coup de cœur, il y a des années de cela.

(c) shining.

elle aurait aimé faire les choses mieux, avec sofia. car, peut-être que grâce à ça, elle ne serait pas devenue sa propre ennemie. elle ne s'aime pas loreleï, elle n'aime pas ce qu'elle est devenue, l'ombre d'elle-même pour rester ce qu'on veut qu'elle soit ; cette fille détestable. elle pourrait s'excuser. elle pourrait la réclamer, car sofia est sans doute la personne la plus humaine qu'elle a eu dans sa vie. la meilleure, des meilleurs amis. c'était son point d'encre dans ce monde qu'elle ne supportait déjà pas avant. c'était cette main solide dans la sienne. c'était un moment où elle se remettait elle-même en question, d'un probable sentiment qu'elle a commencé à voir un peu plus fort que de l'amitié. c'était... l'envie qu'un jour, elle pose ses lèvres sur les siennes pour voir ce que ça fait. c'était des choses, des idéaux, des fantasmes qu'elle ne gardera à jamais que pour elle.
c'est cette main qu'elle provoque dans ses cheveux, pourtant pas pour envenimer la situation qui n'est déjà pas incroyable, uniquement pour... pour la toucher elle. sans le dire. en envoyant des pics au lieu de lui envoyer de l'amour. cette main qu'elle retire, comme si c'était satan. comme si ce geste brûlait son épiderme, mais pas de la bonne façon. elle ne peut que comprendre. elle ne pleure pas, même si l'envie est là, au fond d'elle. non, elle ne flanche pas une seule seconde, au contraire. elle garde ce sourire hypocrite. j'sais pas. ça va. je le vis bien. elle assure. alors que c'est faux. arthur en a eu les frais la dernières fois, sous ses larmes et sous la pluie. mais sofia... ? non. sofia n'aura plus jamais les frais de cette vie là, qu'elle n'assume pas. du coup, faut te payer combien ? c'est pas ce que t'es, une petite pute ? ça me dérange pas de claquer quelques billets pour ton p'tit cul. ah, ouais, vraiment ? elle est prête à faire ça ?
elle n'en sait rien. elle s'en voudra, si ce cap là passe. elle s'en voudra, comme elle s'en veut tous les jours dès qu'elle ouvre instagram et qu'elle tombe sur son profil. et ça arrive des fois qu'elle se laisse aller avec ses propres doigts et sa propre imagination. comme un fantasme à jamais avoué, qui jamais, jamais, n'ira plus loin que ce qu'il se passe dans sa tête. fais gaffe, je crois que tu vas bientôt perdre un faux ongle. elle lâche, en regardant sa main. presque très perturbée par cet ongle qui n'est plus solidement collé à cette paroi. comme s'il n'y avait qu'ça d'important.
comme s'il n'restait qu'ça. d'elles.

le cœur en explosion, pris d’assaut par cette rage qui gronde. elle est en colère, sofia. bien plus en colère contre loreleï que contre n’importe qui d’autre dans ce monde. bien plus en colère contre elle que contre sa propre mère, que contre celle à cause de qui sa vie a toujours été de la merde. elle la hait, elle la hait tellement fort. elle la hait, elle la hait tellement qu’elle devrait peut-être s’interroger. c’est vrai, pourquoi t’as si mal, hein, sofia ? pourquoi tu te sens détruite, quand tu la regardes ? pourquoi t’as l’impression de crever, alors que t’as toujours été si forte ? déstabilisée, bousillée par une pétasse sans cervelle. mais jamais elle n’oublie qu’autrefois, cette pétasse, c’était toute sa vie. elle n’avait qu’un prénom à la bouche, constamment, loreleï. il n’y avait que loreleï, avant tout, avant le reste du monde. loreleï, pour qui elle aurait pu décrocher la lune, avec qui elle aurait pu s’évader loin de cette vie. loin de ce monde sans pitié. mais le monde, justement, il n’était pas aussi clément avec l’une avec l’autre. le monde, justement, il n’a jamais accepté que vous soyez ensemble. et fatalement, comme le bon pantin qu’elle est, loreleï a abdiqué. mon p’tit cul, il est bien moins ouvert que le tiens. qu’elle rétorque, sûre de ce qu’elle affirme. au fond, c’est ce qui t’emmerdes, hein ? t’as beau avoir le pognon de papa et maman, tu sais bien que j’ai toujours été bien plus respectable que toi. ouais, t’es loin d’avoir son train de vie, loin de posséder autant qu’elle. t’as même rien à toi. mais t’as au moins tes valeurs, t’as au moins l’estime de toi, sofia. à défaut de ne plus avoir la sienne. tu m’dégoutes, casse-toi. elle ne contrôle plus rien, elle ne maîtrise plus rien, et peut-être bien qu’elle est prête à craquer. peut-être bien qu’à tout moment, elle pourrait définitivement vriller. tout ça à cause d’elle, tout ça pour elle. son enfer, sa malédiction, l’amour qu’elle lui portera toujours un peu. l’amour qu’elle éprouvera toujours un peu, malgré elle. en mémoire de cette relation au-delà de l’amitié, cette relation indescriptible abandonnée.

(c) shining.