Go to Hell (Carmin)

« Oui régulièrement, un de ces jours je t’enverrai mon dealer, crois-moi ça te rendrait moins rabat-joie » Il ironisa encore, son agacement nullement dissimulé depuis le tout début, le tout saupoudré d’une évidente et allègre moquerie. Il était trop droit et bien incapable de manquer à ses convictions, l’urgentiste absolument convaincu de tout ce que les psychostimulants pouvaient avoir de néfaste… Mais il trouvait le religieux à la fois lourd et pénible, et lui qui pesait d’ordinaire si savamment ses propres mots, se contrefichait de ce que lui pouvait bien croire ou interpréter. Et puis il surjouait la comédie, ça dégoulinait de gestes théâtraux, l’intonation était celle plus qu’exagérée d’un comédien : chaque parcelle de l’être qui s’activait face à lui suscitait son horripilation. « Tu peux bien t’amuser à toucher, lécher ou renifler tes putes ou tes fidèles si cela t’amuse, tu es assez grand » Il décroisa les bras, haussa très rapidement des épaules et retrouva les poches de son jean pour essayer d’occuper encore un peu ses phalanges impatientes. Les savants jeux de mots du blond, qu’il voulait bien reconnaitre véritablement malin derrière ses sourires puants, ni ne l’impressionnaient ni ne l’atteignaient. Lui pourtant était beaucoup plus terre à terre, faisait moins d’esprit. Les détours l’agaçaient, les formules à rallonge plus encore : il avait besoin d’aller très vite et surtout tout droit.

Ses capacités de persévérance étaient quasi-infinies, il aurait pu  lui prouver qu’il n’en était qu’au tout début de ce que Fletcher aurait pu le trouver chiant (vraiment), mais sa patience l’était moins : il n’arriverait à rien. Non pas qu’il ait pu être touché par une quelconque désillusion : de lui, il n’y rien à attendre ou espérer. C’était d’ailleurs à cela qu’on reconnaissait les crétins finis : ils ne changeaient pas. Ne changeraient jamais. Il fallait croire qu’il était venu d’avantage pour le principe que pour obtenir gain de cause (les mauvaises herbes repoussaient, repoussaient, repoussaient et repoussaient perpétuellement, inlassablement, qu’importe l’énergie déployée à les arracher). « Je persiste, mais si tu avais voulu faire court tu l’aurais fait d’emblée. »  Donc pas la peine d’être si indirect et si pompeux… Mais il était à peu près certain que le type était suffisamment vicelard pour aimer prendre le temps de jouer, même avec lui – selon Ambroise ça n’avait pourtant rien d’amusant. Voilà, l’entretien désagréable touchait à sa fin. Il sortit une autre cigarette, jouant avec distraitement entre son pouce et son index, il l’allumerait dans quelques secondes. Et soudain il rit encore, le chaton en colère aux griffes finalement sagement rangées, faisant royalement fi de l’ultime tentative de provocation (ça ne prendrait pas, il se répétait) : « Même si tu étais le dernier être à peu près humain sur Terre, je ne voudrais pas de ta compagnie, Fletcher »  

Et c’est là-dessus qu’il tourna les talons, sans autres formes d’adieu, allumant très vite les flammes de l’enfer consumées entre ses lèvres. Si l'autre pouvait avoir l'idée d'aller y brûler et ne plus jamais croiser ni sa route, ni (et surtout) celles des siens...