Il suffisait de gratter un peu, mettre une pièce sans quoi la machine ne se lancerait pas toute seule (jamais), et puis de patienter un peu. Spencer était au moins aussi discret que lui sur ce qui pouvait bien être enfermé à double tour dans sa boîte crânienne : et lui était tout aussi têtu que son cousin pour lui tirer les vers du nez. Confidence pour confidence et confiance absolue.
Ambroise eut un sourire discret mi-amusé, mi-victorieux. Le premier qui disait que le physique ne comptait pas était, à son sens, un menteur : le physique était la première chose à attirer le regard quand une jolie fille passait non loin. Pour sa part, il n’était pas compliqué, tout fonctionnait : une paire de fesses ou une poitrine savamment mis en valeur (sans vulgarité, sinon ça marchait moins bien), des yeux incroyablement colorés, un regard pétillant ou défiant, un sourire communicatif, la finesse de traits bien dessinés. Tout, en soi, pouvait constituer une accroche. Mais cela ne suffisait pas : l’esprit prenait la suite, les filles vides ou superficielles l’ennuyaient à mourir et il se lassait aussi vite que ses yeux avaient été capturés. Le physique, donc : important, mais pas exclusivement suffisant à lui seul. Probablement que c’était un énième point sur lequel les cousins pouvaient s’entendre.
A lui de l’écouter attentivement : l’inviter gentiment à lui expliquer ce qui lui occupait l’esprit, écouter ensuite sans précipitation. Il fut un peu surpris d’abord, Ambroise, de n’avoir rien vu ni deviné : à croire que son visage à lui trahissait plus fort le tracas (d’où le fait qu’il ait été cuisiné le premier) ou qu’Ella lui envahissait l’encéphale à un tel point qu’il avait été aveuglé, n’avait rien remarqué. Il sourit à nouveau, franchement heureux pour celui qui s’approchait le plus au monde d’un frère, tant l’euphorie des sentiments nouveaux et merveilleux, fragiles encore mais magnifiques, devenait palpable. Il était soucieux aussi : que tout cela ne vole pas en éclats, qu’il ne finisse pas par ouvrir ladite jardinerie.
La chienne revint à leurs pieds, Spencer étant occupé et préoccupé c’est Ambroise qui récupéra le bâton fraichement déniché et l’envoya loin devant eux, l’animal immédiatement lancé à toute vitesse à sa poursuite. En voilà une au moins qui avait la tête légère. Revenant à ses moutons (à son cousin, donc), il eut un sifflement admiratif. Pas moqueur pour un sou, surpris, fier surtout. « Alors ça, c’est une nouvelle. Tu aurais pu commencer par ça tout de suite ! » Les deux bernards-l’hermite des sentiments devaient-ils grands ? enfin ? après une éternité à courir les relations éphémères ? « Tu la vois tous les matins ? Elle tient un café ou quelque chose comme ça ? » Il avait soudain repris tout son sérieux, l’invitant l’air de rien à poursuivre. Une façon de faire préciser comment ils s’étaient rencontrés, depuis quand ils se côtoyaient (tous les matins vraiment ?), qui elle était, comment il envisageait la suite des opérations. Mais sans l’assommer de questions d’un seul coup.