the A team. (anya)

Anya, elle peine à réaliser tout le chemin qu’elle a effectué depuis ce soir où Arya l’a ramassée, en lambeaux, dans les rues sombres de cette ville bien trop grande et trop froide pour un coeur aussi chaud que le sien. Elle venait de se faire piétiner l’âme par celui qu’elle croyait aimer, et sur qui elle n’aurait jamais dû poser les yeux. Le désir interdit, l’amour inconcevable, et pourtant, il était né, au creux de ses reins, tout au fond de son myocarde palpitant. Depuis ce fameux soir, de l’eau avait coulé sous les ponts et, elle l’espérait, Anya avait grandi. Elle avait grandi assez pour ne pas garder son nez rivé sur son nombril, ses petits problèmes insignifiants et ce chagrin d’amour qui la hantait toujours, quoi qu’elle fasse. Désormais, elle pouvait s’ouvrir un peu plus au monde et s’occuper à nouveau des autres. C’était sa spécialité, depuis toujours, et ça lui avait presque manqué, parce que concentrer toute son attention sur les autres, ça lui avait toujours permis d’oublier sa vie misérable et ses rêves qui s’étiolaient peu à peu, les uns après les autres. C’est sans doute pour cette raison qu’elle tient tant à couver Arya, telle une maman poule bienveillante et précautionneuse. Et elle suit la saga de cette espèce de relation étrange qu’elle entretient avec une certaine Quinn, avec le même intérêt qu’une quadragénaire devant son épisode journalier des Feux de l’amour. Dans l’unique but de l’accueillir dans les meilleures conditions, Anya s’est transformée en véritable fée du logis. Elle a dépoussiéré tous ses meubles - découvrant même des recoins de son appartement qu’elle ne soupçonnait pas - et a passé l’après-midi à tester une recette de mojito, qu’elle parvenait sans cesse à rater, sans même savoir que c’était possible. Trop acide, trop insipide… Au bout de la quatrième tentative, elle est parvenue au résultat escompté et c’est avec un sourire de soulagement qu’elle a pu se diriger vers la salle pour se repoudrer le nez. En pleine retouche de mascara, un poing vient s’abattre sur la porte à plusieurs reprises. Ce bruit soudain suffit à la faire sursauter et à se foutre du mascara sur toute la joue. Elle tente d’effacer la marque avec un pouce couvert de salive, mais elle ne fait qu’étaler encore plus la substance noirâtre. « J’arrive ! » hurle-t-elle depuis la salle de bain, abandonnant finalement son idée pour se diriger vers la porte d’entrée, qu’elle ouvre d’un geste ample. « Salut bichette ! T’es magnifique, dis donc ! » commente-t-elle avec un large sourire, toujours éblouie par les rétines glacées d’Arya. D’un tempérament chaleureux, la rouquine la prend dans ses bras avant de l’inviter à entrer. « Si on oublie que j’ai failli perdre un oeil en m’éborgnant toute seule avec mon mascara… Ca va super ! » soupire-t-elle avec un sourire amusé en montrant sa joue marquée d’un épais trait noir, telle une blessure de guerre. « Et toi alors ? » Anya s’avance vers le frigo, où se trouve le mojito qu’elle a préparé avec tant de dévotion un peu plus tôt dans la journée. « Tu veux un verre de mojito ? Je l’ai préparé moi-même. » annonce-t-elle toute fière, comme si elle venait tout juste d’inventer le fil à couper le beurre. « Promis, je l’ai goûté avant, et il n’est pas infect. Il est même… Plutôt bon ! Je suis fière de moi ! » Elle sort déjà la cruche du frigo, remplie de glace pilée, et deux verres de l’une de ses armoires.

Anya, ça lui fait un plaisir fou de voir Arya, celle qui porte pratiquement le même prénom qu’elle, à une lettre près. La russe, elle peut pas vivre sans ses proches, elle peut pas vivre seule. Elle serait complètement perdue si tous ses amis l’abandonnaient, si elle se retrouvait complètement isolée, du jour au lendemain. Mais heureusement, Arya, elle la laissera jamais tomber, elle le sait. Et même si ça arrivait, probablement qu’elle pourrait jamais se relever, parce que sans Arya, sa vie aurait pu prendre un tournant tellement plus triste, tellement plus sombre. Le soir de leur rencontre, Anya aurait très bien pu tomber entre les griffes sournoises de deux types sans âme et dieu seul sait ce qu’il serait advenu d’elle si Arya était pas intervenue. « Tu sais que c’est pas une bonne idée de me faire autant de compliments ? Comment je vais marcher sans tomber, moi, si ma tête devient aussi grosse qu’une pastèque ? » Elle peut pas accepter un compliment le plus simplement du monde, parce qu’elle a trop de complexes qui la bouffent, Anya. Elle a aucune confiance en elle, que ce soit concernant son physique ou son caractère. Pour elle, tout est à jeter, y a rien de bon à garder. Elle fait quelques efforts en présence d’Arya, parce qu’elle sait qu’elle lui mentirait jamais, pas là dessus. « Et il s’en est fallu de peu… » qu’elle souffle avec un air un peu dramatique, parce qu’elle aime bien faire dans le théâtral, Anya. Et déjà, elle se dirige vers le frigo pour en sortir l’immense cruche remplie de mojito fait maison et de glace pillée. En prenant toutes les précautions nécessaires, elle dépose le récipient en verre sur le plan de travail et sort deux verres de l’une des armoires, pendant que son amie s’installe dans son sofa et prend ses aises. Elle lui assure que le mojito qu’elle a préparé est tout à fait digne de confiance, même si ça peut sembler extrêmement étonnant quand on sait qui l’a préparé. « Ah bon ? » demande innocemment la rouquine, alors qu’elle remplit les deux verres à ras bord. « Tu dis ça parce qu’on doit fêter quelque chose ? Ou tu cherches à te changer les idées ? » Elle place une petite ombrelle rose dans chacun des verres avant de revenir vers le salon pour les déposer sur la table basse, s'installant juste à côté de son amie dans le sofa. « T’essayes d’oublier quelque chose ? Ou… Quelqu’un ? » ose-t-elle demander en récupérant son verre, plantant la mini paille entre ses lèvres pour siroter une première gorgée de mojito.

Anya, elle a jamais eu le moindre soupçon de confiance en elle. Jamais. Dès son plus jeune âge, sa mère a toujours tout mis en oeuvre pour briser ses moindres rêves, pour lui rappeler que chanteuse, c’était pas un vrai métier. La rouquine, elle a toujours su que ce serait jamais simple de gravir les échelons dans un univers aussi sélectif, mais elle aurait probablement jamais perdu espoir si sa mère avait pas tout fait pour anéantir ses espérances. Et comme Anya, elle a tendance à tout exagérer, à donner à la moindre remarque insignifiante une importance colossale, elle est pas capable de tourner la page comme ça, en claquant simplement des doigts. Tout l’atteint bien plus que ça ne le devrait, alors que les compliments semblent rebondir sur sa peau imperméable à toutes possibilités de voir sa confiance en elle s’améliorer. Pourtant, avec Arya, elle lâche prise. Parce qu’elle sait qu’elle est sincère. Parce qu’elle sait qu’elle joue pas un double jeu avec elle. « Bon, j’vais capituler et me contenter de te dire merci. » Et déjà, elle se tourne vers la cuisine pour remplir deux verres à ras bord du mojito qu’elle a préparé elle-même. Après, c’est Arya qui lui a dit elle-même qu’elle aurait besoin de boire aujourd’hui alors, elle veut bien lui accorder ça, mais pas question de la saouler sans savoir ce qui la préoccupe. Parce que c’est évident que quelque chose la trouble. On la lui fait pas, à Anya. Elle est trop douée pour sonder les émotions des gens que pour passer à côté des nuages sombres qui passent dans les rétines de son amie. Elle la rejoint dans le canapé, commence déjà à siroter son cocktail et plante ses pupilles sombres sur la jeune femme. Et là, elle prononce le prénom de cette femme qui n’inspire absolument aucune confiance à la rousse. En fait, elle n’a même pas de raison valable, de preuves matérielles qui puissent justifier cette méfiance. Elle a juste une mauvaise impression, un pressentiment qui ne la rassure pas. « Ah. » répond-t-elle simplement, contenant un évidemment qui aurait pu résonner comme une attaque blessante dans les oreilles de son amie. Le fait qu’Arya tourne autour du pot comme ça n’arrange absolument rien. Qu’est-ce qu’elle essaye de lui dire ? La rousse la dévisage en plissant les yeux, attendant impatiemment la suite, quand le couperet tombe enfin. Anya manque de recracher son mojito par le nez mais elle place sa main devant son visage de justesse. Elle s’étouffe, peine à reprendre sa respiration puis finit par tourner la tête vers Arya : « Attends, quoi ? Elle t’a dit qu’elle t’aimait ? » Elle écarquille les yeux, peine à y croire mais apparemment, elle ne sera jamais au bout de ses surprises avec cette Quinn. « Et… Tu en as pensé quoi quand elle t’a dit ça ? Tu lui as répondu ? » demande-t-elle en essayant de rester la plus neutre possible, bien que ses efforts soient probablement réduits à néant à cause de cette foutue gorgée de mojito qui a manqué de la faire étouffer.

Des yeux qui s'arrondissent, une bouche qui s'entrouvre, des sourcils qui se haussent pour exprimer la surprise. Anya s'attendait tout simplement pas à une telle révélation. Comment deviner ? Comment prévoir ? Et même si la logique voudrait qu'elle soit heureuse pour Arya à l'idée qu'un amour se concrétise enfin à son égard, elle peut pas s'empêcher de se méfier. La rousse, elle en vient presque à se demander si c'était pas un peu calculé finalement, parce que Quinn, elle a jamais pu la sentir. Cette relation peu banale lui a toujours semblé si étrange, trop étrange pour être complètement saine. Quinn, elle la connait pas, mais elle a le sentiment d'en savoir assez pour en arriver à la conclusion que son attitude est pas toujours très nette. Anya a jamais su dire si c'était son sixième sens qui parlait, ou juste une fausse impression basée sur son instinct un peu trop protecteur. Quoi qu'il en soit, c'est pas un large sourire qui orne ses lèvres à cet instant précis. « Le soir de Noël ? » qu'elle répète sur un ton monocorde. « Au moins, ça a le mérite d'être romantique. » Un rire un peu cynique qui lui échappe, elle qui cherche à trouver un point positif à retirer de cette déclaration complètement inattendue et qui tombe carrément comme un cheveu dans la soupe. C'est là que la rousse relève ses rétines émeraude vers son amie, se demandant soudainement ce qu'elle pouvait bien faire à Noël avec Quinn. Ou plutôt, elle s'interroge sur la situation de Quinn, qui l'aurait poussée à délaisser sa famille pour fêter Noël avec une jeune femme qui pourrait être sa fille. « Comment ça se fait que tu fêtais Noël avec Quinn, d'ailleurs ? Elle a pas une famille ? » La question qui peut sembler extrêmement maladroite et indiscrète, mais qui sort malgré tout de la bouche d'Anya, qui a pour habitude de mettre les pieds dans le plat sans se gêner avec ses proches. Mais c'est bientôt une autre question qui brûle ses lèvres : une question qui ne peut pas attendre bien sagement dans son esprit, comme les milliers d'autres qui sont en train de lui passer par la tête à cet instant précis. Qu'est-ce qu'Arya a bien pu répondre à ça ? Anya a du mal à l'imaginer en train de déclarer sa flamme avec la fièvre d'un poète romantique, déployant un discours interminable pour conquérir sa dulcinée. Non, Arya, elle semble tellement pudique et secrète... Mais c'est pas parce qu'elle ne dit rien qu'elle n'en pense pas moins. Et ça, Anya l'a très bien compris. « Ok, c'est honnête de sa part... » C'est presque à regret qu'elle le reconnaît, elle qui espérait déjà pointer du doigt une énième attitude suspecte de la part de Quinn. « Mais du coup, qu'est-ce que tu ressens pour elle ? Ses sentiments, ils sont réciproques ou pas ? » Au fond, elle espère qu'elle va lui dire que non, qu'elle trouve cette relation complètement déraisonnable et malsaine mais en même temps, les sentiments, ça prend rarement en compte la raison.

La pointe de la langue qu'elle passe sur ses lèvres, le regard qu'elle détourne un bref instant parce qu'elle veut pas montrer à Arya tous les doutes qui traversent ses prunelles à l'instant où elle évoque ce soir de Noël passé en présence de Quinn. Un sourcil qui se hausse malgré tout, des dizaines de questions qui lui passent par la tête. Comment peut-on se retrouver complètement seule le soir de Noël, sans avoir ne serait-ce qu'un seul ami ou un proche avec qui partager un repas copieux ? Que peut-elle avoir fait, cette Quinn, pour être à ce point délaissée l'un des jours les plus festifs de l'année ? Anya envisage même pas la possibilité que cet isolement puisse être le résultat d'événements complètement indépendants de la volonté de la quadragénaire. Non, si elle est seule, elle l'a forcément cherché. Ou pire : c'est ce qu'elle a fait croire à Arya pour susciter sa pitié, la jeune femme qui est dotée d'un coeur trop gros pour rester impassible face à une telle révélation. Mais peut-être que la Russe se fait des idées, qu'elle devient trop protectrice quand ça concerne sa meilleure amie, telle une chatte désireuse de protéger son chaton. « Ça, ça m'étonne pas de toi. » Un sourire qu'elle lui adresse, sourire sincère parce qu'elle sait à quel point elle peut se montrer généreuse avec ceux qu'elle aime. Ce qui doit bien faire les affaires de Quinn d'ailleurs. « C'est quand même bizarre d'être complètement seule le soir de Noël, mais bon... » Elle termine pas sa phrase, elle en dira pas plus, parce qu'elle a pas envie de déchaîner les foudres, de créer une confrontation inutile. Elle a pas envie de se prendre la tête avec Arya, surtout pas pour Quinn. Mais quand même. Ça la bouffe, cette histoire. Ça la ronge. Elle a jamais pu la sentir, cette femme, sans jamais vraiment parvenir à se l'expliquer. Juste un pressentiment, peut-être trop tenace, peut-être injustifié, mais trop imprégné en elle pour qu'elle soit en mesure de l'ignorer. « T'as pas envie ou tu as peur ? » Anya, au fond d'elle, elle a plutôt l'impression que c'est la deuxième option, Arya étant son parfait contraire de ce côté-là. La rousse qui tombe amoureuse comme on tombe d'une chaise, la brune qui maintient son coeur à l'abri de tout sentiment à l'intérieur d'une cage scellée. La première qui a jamais appris les leçons de ses précédentes relations, la seconde qui a gardé des stigmates à jamais gravés dans ses chairs de l'amour gâché qu'elle a accordé à celui qui s'est permis de piétiner son coeur. « Moi, je la sens pas, cette fille, Arya. Mais je serais incapable de t'expliquer pourquoi. C'est juste mon instinct. J'ai l'impression... » Elle s'arrête net, lâche un soupir avant de relever ses prunelles mordorées vers elle. « Qu'elle finira par te décevoir tôt ou tard. » Un haussement d'épaules résigné, le visage qui se ferme d'un seul coup, Anya qui craint de devoir la ramasser à la petite cuillère une fois que Quinn aura retiré le masque qu'elle arbore encore aujourd'hui. « Mais j'imagine que si tu évites d'approfondir cette relation avec elle, il n'y aura pas trop de pots cassés. » Palabres qu'elle balance sur un ton détaché, peut-être pour piquer un peu Arya, qui tente de lui faire croire qu'elle ne souhaite pas donner suite à cette relation alors qu'il suffit de l'écouter parler quelques minutes à ce sujet pour se rendre compte qu'elle nourrit des sentiments pour Quinn. Et la Russe est convaincue que, tôt ou tard, elle ne pourra plus les refouler.