D Y S T O P I E

ce qu'il faut savoir / HÉRITAGE. les tâches vermeils, la peau et le textile empourprés, l’écarlate sur le carrelage, et cette main brutale qui caresse sa crinière d’enfant. côme se réjouit, papa éreinté est rentré ; côme étourdit, l’ange noir sur le pallier. les cernes interloqués de cette moitié maculée, poupée qu’il nettoie du bout de ses doigts. côme a dans la tête et dans le coeur, l’image de sa petite soeur. dans la tête, dans le coeur, ses viscères qui baignent dans l’air, et papa, abattu, devant la charogne de sa progéniture. CAPOS. la haine affutée du legs disloqué, et ce père dont il suit l’ombre tant exécrée. pouvoir sanguinaire, les pions qu’il exploite, ces pions qu’il seconde. lieutenant d’une vague sombre, d’un ouragan létal, fléau mortel. assène l’ordre et la sentence, soulage la rancoeur dans une abomination de l’égo. s’haïr, se réprouver d’un présent souillé par l’infamie et d’un avenir où s’amoncelleront les horreurs, la détresse. VENGEANCE. enchaîné à la fièvre de la rancune, pour autant que sont répudiés la terreur et le plasma, petite poupée sera vengée, nemesis massacré. une trêve qui, sans doute, n’arrivera jamais. suffira seule à justifier la démence sanglante, suppôt d’infortune qui périclite. despote, tyran, prisme de cruauté, bourreau de dégoût. on crève les coeurs, hommage vicieux à sa petite soeur. TRAHISON. bâtard sur le trône, des sbires affligés, des frères écoeurés qui pactisent pour dérober la couronne. rejeton illégitime nanti d’un statut dont il n’est pas digne, pistonné par un père qui ne savait qu’en faire sinon sa pâle copie. prémisse d’un putsch pour lui faire dégringoler les cimes, anéantir l’étranger, le réduire à néant. on prie pour que ses cendres se confondent à l’âtre du feu qui rôtira jusqu’à ses os. INCURABLE. y a cette aversion pour le sang dans lequel il trempe, le sable blanc qu’il distribue, les armes et ces putains qu’il vend à qui de droit. rien que des ordres à exécuter, cible indémontable, même l’air qui s’effrite, se désagrège à son toucher. que la crasse pour remplacer la classe. il s’échoue, vague contre rocher, qui brisée parvient encore à attirer dans ses eaux.

ce qu'il faut savoir / À peine né, les passions brûlantes qu’Elio sèment ont des portées macabres. Elles ont endigué le coeur de sa mère, fardeau d’émois incoercibles. Alors l’aliéné fauche sa propre vie, à travers une fenêtre puis contre le bitume parsemé de ses éclats. Elle était morte d’amour, comme d’autres meurent de chagrin. Car quand il dépasse la haine, l’amour est dévastateur, frénésie du mal, pour ceux qui ne savent pas comment aimer. On fuit les contrés lombardes ternies par des souvenirs âcres et une économie ambivalente. Mais il n’y a rien pour lui ailleurs, sur le continent des possibles, dans le racisme intrinsèque de ses habitants. Il y erre passif, désintéressé, profondément esseulé. La tendre innocence qui se fane, il ne reste plus que l’indifférence et le silence qui se trainent dans son ombre. Feu de ses passions laisse la neige de l’Olympe s’évaporer, encercle les linceuls, cadavres d’un courroux endormi, exigu. Une rage qui l’éviscère quand elle l’atteint, qu’il lui enjoint la misère d’un centre éducatif lorsqu’il s’égare. L’eau qui dort, sérénité à peine fragile, ébranlée par les rejetons de la peste, frères de rancoeur. Les cimes de la connerie, près d’eux, les fracas de guérillas insensées. Ils n’ont rien à foutre ensemble, mais ces minables ne savent pas faire autrement. Il ne se rappelle plus pourquoi le jour se lève, que fait ce monticule de livres dans sa chambre, ces millions de mots déposés comme une enclume au fond de son crâne. Esprit de sagesse et de clairvoyance niché dans la tranquille existence du condamné. Parce qu’il sait que cet étrange univers ne rime à rien, que les certitudes sont éphémères, que tout ceci n’est que le décor fragile de l’existence et qu’il n’y a rien à en attendre, Elio a l’âme las, indolente. Aucun sourire pour éborgner l’éphèbe, que le cynisme pour le complaire. Le bois, métaphore tragique de la vie, des années pour en faire quelque chose pour qu’elle se consume ou qu’elle se brise, avait eu raison de son père. Une menuiserie en faillite en guise de legs, rien d’autre. Il veille depuis à la mémoire du défunt. Des semblants viciés dans une vie qui ne connait pas de trêve, Elio veut connaître les limites infranchissables du monde. La cervelle affutée aux services de l’anarchie, dépôts de chaos çà et là. Il agit sur la toile, dans l’intimité des politiques, fil aiguisé duquel il pourrait bien choir que cela lui serait égal.

ce qu'il faut savoir / Le chant des sirènes berce le foyer familial, engloutit les émois du nourrisson affamé. Une ombre enchanteresse apparaît au-dessus de son berceau, si tardivement que la famine manque de l’emporter ; un souffle douceâtre s’échoue contre sa peau d’enfant, son estomac cesse de se tordre. Le tableau de son frère dont les mains de garçon échouent contre ses joues potelées, enfin ses mains d’homme qui s’effacent dans le creux de ses reins, effleurent ses lèvres, fièvre d’un amour irrépressible. Ses opales étincellent devant l’éphèbe qui abrite ces amours purs et incestueux,  et qui se galvanise devant l’absence synallagmatique de sentiments. Ses mains frêles traversent la crinière brune, des murailles impassibles quoiqu’attendries scrutent ce corps familier secoué par les pleurs. L’enfant n’a pour lui qu’une pitié vive. Son agonie s’estompera, balayée par une brise violente sur le champ de bataille syrien. Roseen s’agite dans l’havre sanglant et stérile que les effluves d’antiseptique meublent, que les pleurs, la détresse, le soulagement animent. On entend les machines parler aux vivants, à ceux qui subsistent ou qui planent dangereusement sur des cimes inconnues. Son ombre erre de pièces en pièces, pansent les plaies et les maux qui malmènent l’existence. Chaque césure des peaux est une étreinte, les battements de coeur, une ode à la vie. Et quand les palpitations cessent sur la table glaciale, elle se souvient que les étoiles sont éclairées pour que chacun puisse un jour retrouver la sienne. Et les étoiles se multiplient sous ses lunes impuissantes, avec elles quelques grains de démence; sentiments nouveaux et dévastateurs. Scalpel devient pinceau, et la peinture éclos partout autour d'elle comme les sentiments qu'elle ne sait éprouver. La Vénus méconnait le spleen humain, elle est être de mélancolie, évolue au plus près de l’astre lunaire. Son alacrité retentit là où le myocarde se déchire. Elle ondoie hors du monde, ses racines à elle sont ailleurs et ses tourments également. Sur ce bitume ou cette terre, entre ces forêts ou ces bâtiments, elle ne peut souffrir. On repart avec des fragments d’elle-même pour remplir ces cavités en nous qui nous torturent, et elle, se parachève dans un état de gratitude éternelle. Roseen a des instincts curieux que les réfractaires exècrent, cette nymphe d’un autre univers qui laisse une bile amère au fond du gosier. Elle surplombe ce cortège d’humains effrités d’un regard indulgent et doucereux. Mais la magnanime a-t-elle encore des passions orageuses, de celles qui nous rendent capables d’aimer profondément?

ce qu'il faut savoir / cinq premières années, la piteuse existence d’une grossesse désenchantée, un père aux charmes vagabonds et une génitrice de misère. oedipe et jocaste font naufrage sous les rayons incandescents du champ de lavande. le violet sur sa peau, où la chair ne rebondit guère, des coups portés par l’escapade de cette vie de mendiant. toujours nourrie la première, il n’aura que les os à ronger. mais première, une fois encore, à voir la vie, le souffle, les palpitations s’évaporer. voyant ce sommeil éternel dans ses songes, elle avait pris soin de ramener l’enfant aux pieds de son père. sifflant ces ultimes doléances, elle échoua morte sur le poupon, manquant d’écailler sa porcelaine. et le doute d’antan disparaissait quand la houille s’effaçait sous le savon, les beaux-atours et quelques coups de ciseaux. impossible pour ce père fraîchement fait de réfuter cette miniature. l’angelot était sien, et au dandysme alors il serait instruit. l i o n. ce sont des plus belles qualités qu’il fût paré; le petit lion se faisait l’ami de la littérature, de la peinture, des symphonies classiques, des langues mortes puis celles encore vivantes, et par dessus tout, des bonnes manières. l’héritier parfait d’une époque que l’on croyait révolue partout, car elle ne se laissait atteindre par la bassesse du contemporain. en dépit du luxe et de l’effervescence, le prodigue n’est qu’introversion. martyr sempiternel d’une enfance traumatisée, lacérée par la faim et le funeste trépas. solitaire pour le reste de sa vie, ne connaît que brièvement des plaisirs de la chair et nullement de ceux de l’amour. lion a la cervelle dense des savoirs distingués de sa profession, se fait l’avocat du feu et celui de la glace. de l’excentricité jusque dans la corruption. on ne cracherait sur aucun malfrat qui sache se tenir, ni même sur les coquets qui n’ont de pauvre que l’esprit.