Then we meet again (Lou)

Je n’ai jamais aimé courir dans les rues.
J’ai toujours fait ça dans les parcs parce que c’est l’endroit plutôt approprié pour ça et je ne prends pas le risque de me cogner contre les personnes, puis je peux rentrer à pied et au passage me prendre un café. Enfin, ça c’était avant… Quand on a un chien, les plans changent complètement. Mais aussi, j’ai changé et je ne suis plus la même personne. Je n’ai plus envie de faire les efforts pour les autres, je n’ai plus envie de me soucier pour les inconnus quand ces derniers ne le font pas également. En vrai, tout ce que j’ai envie, c’est de vivre ma vie de mon côté, même si dans le fond, je ne la vis pas forcément, je survis. Les bruits autour, je ne m’y ferais jamais parce que ce n’est plus du tout la même chose et rien que d’y penser, ça me met toujours autant de mauvaise humeur. Je suis toujours dans cette humeur massacrante, je n’ai jamais envie de parler aux gens et encore moins prendre le risque de me commander un café après la course. J’ai bien et bel couru au parc et j’aurai pu marcher… Mais non, j’ai eu l’idée de faire du sport avec Benji, ce Husky au caractère bien trempé et qui a bien failli y passer tellement il me mettait sur les nerfs. Au final, on ne se débrouille pas trop mal, même s’il est assez cher en vrai. Il tire un peu sur la laisse parce que je traine, mais c’est que j’ai senti l’odeur du café et ça me fait très vite envie. Comme toujours. Je ne peux pas forcément m’en passer alors, à chaque fois que je passe devant un café ou encore un starbuck je traine un peu et Benji tire à fond, ne voulant pas s’arrêter. En même temps, je peux comprendre, les chiens ne sont pas admis à l’intérieur. Je soupire alors que je regarde depuis la vitrine avant de m’arrêter subitement. Je fronce les sourcils et remonte mes lunettes de soleil un peu surpris, quoique la lumière m’arrache un peu les rétines… Mais ce n’est rien en comparason de la sensation du déjà-vu. Cela ne me fait pas avec tout le monde, alors je suis un peu devant la vitrine, attendant qu’elle se retourne avant de sentir qu’on me tirait de la main. Je grogne en faisant un pas sur le côté à cause de Benji. Au final, je me mets à marcher un peu avant d’attacher ce chien près de l’entrée du café… Qui l’eut cru ? Que je puisse entrer dans un café juste à cause d’une silhouette ? Je sais que je ne vais rien prendre, surtout dans un starbuck où on va forcément m’appeler et je ne capterai pas grand chose au final. Je soupire et me rends compte qu’au final c’est une mauvaise idée. Parce que de toute manière, si cette silhouette appartenait à la personne que j’ai connu, je ne saurai pas quoi lui dire en ce moment-même… Parce que oui, je n’ai absolument rien à dire. Alors je sors, remets les lunettes et récupère Benji pour reprendre la marche rapide, limite à la petite course jusqu’à chez moi. On a quand même fait une petite trotte en vrai maintenant que je regarde le gps de mon téléphone…! J’ai à peine parcouru vingt mètres qu’on m’attrape par le bras, j’ai senti mon coeur rater un battement surpris que je me fasse arrêter dans la rue. Je me suis retourné tout en maintenant la poigne sur Benji qui finit par s’arrêter aussi. Je croise le regard en même temps de la jeune femme que je reconnais très rapidement, si mes lunettes l’empêchent de voir l’expression de surprise, elle pouvait l’entendre à ma voix. « … Lou ?! » Alors là, je n’aurai jamais cru ça…!

J'ai toujours appris à ne pas me fier d'une silhouette en vrai.
Il suffit de reprendre mon expérience dans l'armée, aussi douloureuse qu'elle est, c'est un bon exemple. On nous avait passé des photos d'un couple d'Afghans que nous devions éliminer, c'étaient des poseurs de bombes et c'était vite un fiasco. Parce que la plupart des soldats s'étaient fié à la silhouette qui ressemblait énormément à celles sur les photos, mais ils se sont vite rendus compte que ce n'étaient pas eux. Beaucoup d'innocents ont été tué sur une question de carrure et ça m'a ouvert les yeux sur le fait que nous pensions à tort qu'une silhouette d'une personne est unique. Elle ne l'est jamais et ne l'a jamais été. Alors la silhouette que j’ai pu voir juste à l’instant, ça ne peut pas être celle dont je pense. Cette personne que j’ai rencontré durant mes dernières vacances, ça ne peut pas être elle. Parce que tout simplement, se retrouver dans New York, une des plus grandes villes d’un grand territoire américain est impossible. Aussi, parce qu’elle est censée rester au Brésil, avec son père. Mais encore, on s’était dit au revoir sans se laisser un numéro ou une adresse. Juste ce bar où on pourrait sûrement se retrouver dans les années à venir. Enfin bref, je suis bel et bien sûr que ce n’est pas elle et que ce n’est qu’une personne qui a plus ou moins la même silhouette qu’elle.

Seulement, je ne suis pas passé inaperçu parce que je me suis fait rattrapé. On m’avait agrippé au bras que ça m’avait surpris. Si j’avais eu assez d’élan, j’aurai pu repousser cette main soudaine et intrusive, mais cette personne pourrait remercier que Benji tire sur sa laisse sinon je ne suis pas sûr qu’elle aurait sa main intacte…! Encore, je crois que j’aurai vite regretté ce geste quand je me suis retourné et que j’ai finalement reconnu la personne. Au final, je ne m’étais pas trompé sur cette silhouette, mais encore fallait-il savoir que je n’avais… Rien à dire ? Juste prononcer son prénom sous le coup de la surprise. Parce que oui, je ne m’attendais pas à la voir à New York en vrai. Je me demande si je suis vraiment face à Lou en fait. Mais faut croire que oui. Y a pas quelqu’un d’autre qui me demanderait ce que je fous là durant les retrouvailles. J’hausse une épaule tout en haussant les sourcils, montrant les mains avec l’air d’également me poser la question. C’est même la question de ma vie: qu’est-ce que je fous là ? “ Je suis toujours parti en vrai.” fis-je en guise de réponse. En plus c’est vrai, je ne suis pas encore retourné à Porto Allegre, je suis techniquement toujours parti. Je soupire et passe la main sur ma barbe avant d’enlever les lunettes de soleil, parce que je n’ai jamais aimé observer les gens derrière deux verres noirs. “ Et moi je croyais que tu serais restée à Porto plus longtemps que ça… Ca fait combien de temps déjà…? Un an…?” lui-demandai-je interrogateur avant de me reprendre, je fronce encore plus les sourcils assez contrarié de la retrouver ici. ” Non… Deux ans ?”

Je ne m'attendais pas à la retrouver en vrai. Vraiment. Si j’avais su que c’était vraiment elle, j’aurai carrément passé mon chemin. Je ne suis clairement pas dans l’humeur de croiser les personnes, encore moins à discuter du beau temps. Mais avec Lou, on ne discute pas tout simplement du beau temps. On ne l’a jamais fait. Cependant, si elle s’attendait à me retrouver, c’est déjà raté. Le Jamie qu’elle a auparavant connu est déjà décédé sous le coup de la grenade, je ne suis plus la même personne et je n’ai pas spécialement envie qu’on se découvre à nouveau. Je n’en suis au pas au stade où je m’apprécie forcément et que je me fasse confiance pour cela, je préfère quand je suis seul et éloigné des gens, je suis plutôt bien comme ça parce que je ne suis pas gêné à devoir dire ce qui m’est arrivé et faire face à de la pitié ou quoi. C’est clairement la dernière chose dont j’en ai besoin en vrai. Je me rappelle de l’avoir quittée du jour au lendemain, parce que je devais partir et aussi mon autorisation arrivait à expiration. C’était juste après cette rencontre que tout est parti en vrille et que rien ne s’est arrangé pour moi. Encore, il fallait que je lui explique ça, pourquoi je suis parti parce que c’est sûrement la question qu’elle me posera. Je lui avait dit que je n’étais que de passage, elle le savait dans le fond et elle savait également que je ne voulais pas partir. C’était vrai, je ne voulais pas partir, parce que j’avais cette sensation que j’étais à la maison. Je ne m’étais pas attendu à ce que ce soit vraiment compliqué, mais je l’ai quand même fait et ce, sans rien lui dire parce que ce serait plus facile, parce que je sais que dans le fond elle m’en aurait empêché. J’étais parti dans l’optique que je ne la reverrai plus jamais, c’est mon côté connard qui a pris le dessus, c’est vrai, mais j’avais aussi ce côté optimiste que je la retrouverai dans cette même ville. Seulement, je suis toujours parti, je ne suis pas chez moi dans le Queens. Elle aussi elle était partie, parce qu’elle n’avait plus rien à faire là-bas depuis que je n’étais plus là. Je la détaille, ses traits s’étaient de plus en plus affinés, elle avait un aura qui fait qu’il y avait quelque chose qui l’a carrément changée depuis la dernière fois que je l’ai vue. Cette dernière fois où je lui ai même dit: à demain tout en sachant qu’il y aura pas un lendemain.

Je comprends mieux pourquoi elle est là, ou presque… Parce que je ne me rappelle pas de lui avoir dit que j’ai vécu à New-York. En vrai, je n’ai pas beaucoup parlé de moi quand on était dans la même pièce, je l’écoutais surtout et je ne disais rien en ce qui me concernait. Enfin, j’ai sûrement beaucoup parlé quand on avait clairement bu, mais je n’avais jamais dit que je vivais à New-York. En même temps, je n’avais pas une maison quand j’étais à l’armée, jusqu’à ce que je rencontre Lou et j’avais même envisagé l’idée de revenir la revoir, lui expliquer ce qui s’est passé. Mais non, je ne l’ai pas fait et pire, j’ai été attaqué, je me suis renfermé, surtout après avoir perdu ma carrière. Dans tout les cas, Lou a cherché à tourner la page en quittant Porto, mais manque de chance, elle est tombée sur moi. Je déglutis difficilement et laisse échapper un: « Je peux comprendre… »

Puis c’est un silence, le silence que nous prenons pour s’observer mutuellement alors que Benji restait assis à attendre la directive. La vie continue autour de nous, alors qu’elle s’était clairement arrêtée pour nous deux. Les gens marchent, je ne les entends pas forcément arriver avec tout ce bruit général, avec ces voitures. Je peine à arrêter de regarder Lou, jusqu’à qu’elle me pose les deux questions… Je renifle et grimace un peu tout en faisant un sourire mauvais. Qu’est-ce que je deviens ? Qu’est-ce que je n’aime pas cette question. « Ma mère vivait ici, j’ai récupéré son appartement et son chien qui est terriblement chiant. » fis-je en regardant ce-dit chien qui était presque sage, il avait déjà tenté au début de s’imposer dans la marche, mais comme il n’a pas obtenu mon attention ou quoi, il a fini par abandonner. Je crois que je n’aurai pas dû le regarder parce qu’il s’était relevé. « Non. Assis. » fis-je en lui montrant le doigt avec l’air le plus sérieux possible. Il finit par le faire au final. C’est même la première fois d’ailleurs, c’est parce que je devrais carrément être contrarié d’avoir retrouvé Lou dans ces conditions-là que le chien devait même le sentir. Je retourne mon regard vers Lou et je secoue un peu la tête. « Lou, si j’avais eu l’intention de revenir à Porto, je serai revenu, mais je ne l’ai pas fait. J’étais de passage tu sais, je suis parti sans rien dire parce que je savais que dans le fond tu m’en empêcherais. Et si tu penses que maintenant qu’on s’est retrouvé dans des conditions les plus improbables, qu’on va pouvoir reprendre contact. Oublie ça. Je suis vraiment parti et il vaut mieux pour nous que nous passons notre chemin… » fis-je un peu difficilement à la dernière phrase. Oui, je n’étais que de passage tout simplement quand on s’était rencontrés.