Sins (ft Cahal)

--- Pêchés

Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse
Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. (Alfred de Musset)

Prend soin d'elle lui a-t-il dit avant de partir, claquer la porte, ausculter le manoir, l'homme érige son territoire, sort un bouteille de rhum, dans son regard une flamme des jours de colères, l'excitation au cœur de ses entrailles. Il aime cet instant de paix, il s'abreuve de cette minute, fait durer l'éternité, une solitude aimée si peu octroyée. Il envoie des messages, frappe rapidement le clavier, ce soir il a décidé qu'il inviterait l'ombre de ses pas fragmentés, l'irlandais de ses nuits limpides et impavides. Afin de contrer l'ennui, le vice s'égayera aux bruits majestueux des verres brisés sur le plancher et des coups sur les nez mais ce soir, il n'invite que lui, ce géant serpent au corps de Satan. 
Il pioche dans sa bibliothèque Cioran, un réconfort brut, brusque, de ceux que l'on nie. Les philosophes trouvent dans sa caboche de tyran une place privilégiée, l'héritage du savoir au creux de ses babines, il ne dit pas jamais, enfoiré et intelligent, qu'il quête les réponses à ses projets dans les grands édifices de pensées. T'es qu'un abruti, parfait homme d'affaire, un despote, un monstre. Oui c'est vrai lui avait-il répondu avant de la frapper, à terre sa charogne de femme. Et il tâtonne, raccourcit les pages, parvient à celle, la plus importante, celle qui permettra les ravages. Hier n'a-t-il pas apprécié l'ichor d'un soldat ennemi ? Il n'écoute rien ! Lui aussi n’écoute pas ; ils signent des traités, parlent de sécurité, grognent comme deux tigres affamés de territoires de l’autre, parfois il se demande ce que lui emmènent ces conflits, faussés, joués, des balivernes.
 La table débarrassée, l’évier noyé dans l’eau des fatigues, il n’arrive à rien, le cerveau embourbé dans des préoccupations inutiles, ça lui arrive parfois, l’angoisse, ou l’inquiétude, un serrement du coeur plutôt que le rire d’acier, dans ces temps, il aimerait poser son visage contre le cou doux d’une princesse, humer l’odeur d’innocence de ses prisonnières, ou jouer, s’abrutir à tricher, puis tuer d’une balle dans la caboche ceux qui osent rétorquer. Maintes fois a-t-il vu son père tendre l’arme vers une faucheuse meurtrière. Il cache ces tentations, il ne risquerait pas la vie d’un ami.
  La ponctualité Cahal ! Puis il serre un verre de cristal au liquide ambré. Pur Whisky de Sibérie, il réchauffe les artères Il entend la porte claquer, les pas de l’homme plus svelte, plus mince, plus jeune aussi, un serpent se faufilant dans les entrailles du monde, prêt à dégainer rapidement les couteaux et la cruauté. Je ne les ai pas tué, tu as du également en prendre des miens chez toi. Un sourire d’allusion, ils savent qu’ils ne respecteront pas les clauses de contrats d’apparence, la jalousie douce ou la convoitise dirigent les pas de Grisha, parfois, il ne songe plus à ses principes de respect, ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il goûte, sont les diamants des autres.

(( on a gathering storm comes a tall handsome man in a dusty black coat with a red right hand. )) - - ft grisha.

rien de rien. rien dans c'bas monde pourrait rayer les joues creusées du corbeau. rien n'pourrait écorcher un sourire sur sa peau. pas même quelques mots tapés sur un clavier par un russe qui pourtant connaît parfaitement les manières d'adresser. oh, cahal il n'a entendu qu'trop d'fois cette langue de l'hiver. il n'a consenti qu'trop d'fois à laisser couler dans sa bouche l'arrogance slave de clauses bafouées qui, aux autres, coûtent trop cher. mais sous réserve d'amitié, qu'il est bon d'enchérir la supériorité.
le téléphone glissé entre le coeur et le glock lové dans le holster, l'irlandais s'en est allé. a laissé la blonde pour un jour. pour une soirée. rien qu'le temps à deux ombres pour refaire ce monde qu'ils aiment diriger.

les ronronnements de la bentley s'étouffent brusquement devant la grande porte en bois massif. rares sont les pas du corbeau dans cette partie du queens ; trop sage pour provoquer l'intérêt. trop bien gardé par ces putains de tsars pour vouloir les y déloger.
il n'frappe pas, mcgrath. pas un brin d'émeraude qui forge ces murs mais il n'a jamais pris l'habitude de faire partie des lambdas invités. si un jour il te prend d'être témoin de mon retard, il passe la porte du salon et ses rétines viennent rencontrer celle de son homonyme, c'est que je serai mort. l'irlandais se défait de sa gavroche qu'il enfoui au fond d'sa poche. et d'son vieux rival, autant qu'il puisse être aussi un ami, il s'approche.
les tiens sont en bonne santé, un pas puis deux, et dans sa paume s'échoue le verre resté sur la table, quoique probablement un peu effrayés. il lève le cristal, en fait danser les reflets avec les faisceaux de lumière qui émanent de la fenêtre. rictus faussement impressionné qui tord ses lippes tandis qu'il savoure l'allure brutale de la liqueur. une gorgée, une seule. et même si l'alcool a le goût délicieux de l'âge, mcgrath ne peut s'empêcher d'égarer un léger sourire ; tu ne feras pas aimer tes liqueurs soviétiques à un putain d'irlandais grisha. mais il apprécie sans en dire un mot. ça se voit dans la seconde gorgée qu'il se fourre dans le goulot.

puis il a un poing qui heurte le bois de la table, fait trembler l'argenterie qui siège à l'autre bout. et entre ses doigts qui s'écartent ; une chevalière d'or et de précieuses pierres. j'ai épargné l'annulaire sur lequel je l'ai trouvé, elles brillent plus que l'ambre dans leurs verres et laissent sur le mur d'à côté, une fumeuse mosaïque au prix déraisonné, tu es inconscient de laisser ce genre de chose aux doigts d'un larbin sans au moins l'avoir informé de sa dangerosité.
l'irlandais s'écarte et rejoint le fauteuil le plus proche pour y déposer son dos, ainsi que le cristal sur la table d'appoint. il dégaine l'étui argenté et la nicotine tassée. l'allumette qu'il fait craquer.