j'ai vomis mon coeur (jj)

traits de caractère / T D A H. c'est moche. Ça veut rien dire. P'pa a dit non, que c'était surement une erreur de diagnostic, que sa fi-fille chérie était juste un peu turbulente. tu parles, impossible de la tenir en place, d'écouter plus de dix minutes ce que les adultes pouvaient lui dire. hyperactivité, quand elle se lève en pleine classe pour regarder par la fenêtre, pour emmerder la première venue, pour dessiner sur les murs. un trouble de la concentration qui la poussera hors de la structure scolaire, hors des parcours classique. qui ne fera que nourrir sa haine du système, cette volonté insatiable d'aller contre la norme. gosses aux genoux éraflés, par la violence de ses gestes, au cœur égratigné, par la violence de ses mots. une impulsivité qu'elle regrette parfois, qui guide des gestes maladroits, la fait agir trop souvent sans qu'elle ne puisse réfléchir. elle regrette les mots tranchant, tourne jamais sa langue sept fois, s'en veut parfois d'être comme ça. de pas être normal, d'avoir le cerveau foutu à l'envers, elle a toujours cette impression d'être jugé, mal regarder. gamine indépendante, bordélique et excessive, dans ses attitudes, dans ses gestes, ses réactions. une violence qui fait rage, dans sa tête, son coeur, sa vie.

tu te planques, sous la table de la cuisine, les genoux écorchés, la peau porcelaine en contraste avec la constellation de crasse sur le lino jaunit. les genoux que tu ramènes contre toi, petite poitrine qui se soulève au rythme des cris de tes géniteurs. un dimanche soir comme tous les autres, un bol de céréales pour seul repas, un dessin animé qui crache dans le petit écran de la télé. c’est toujours la même histoire, ce con de chat qui essaie d’attraper cette souris bien trop maligne, des bangs et des bing, des coups de marteau et des pièges à rats. c’est toujours la même histoire, les mêmes cris qui torture tes oreilles d’enfant. tête blonde haute comme trois pommes, trop jeune pour comprends les histoires des adultes, assez vieille pour sentir que rien ne va dans ce vaisseau qu’est la maison. navire en plein naufrage, affrontant un orage qui pourrait vous submerger. tous. m'man crie, de sa voix aiguë, de ses reproches qui se fracasse sur ton père qui ne cesse de répliquer. des accusations, putain de partie de ping-pong sans vrai gagnant, tous perdant. une porte qui claque, un ultimatum et des cris qui cesse, p'pa qui se penche sous la table, pour te tirer de là, câliner la gosse apeurée que tu étais. M 'man partira quelques jours plus tard, emportant avec elle toutes ses affaires, le parfum qui restera dans l’air, comme pour vous hanter. M 'man tu l’as détesté dès ce jour-là, pour vous avoir quitté, pour avoir rendu triste les beaux yeux bleus de papa.

tu te planques, derrière une frange de cheveux blonds comme les blés, la mèche un peu plus blanche qui te barre le front. gamine qui s’agrippe à son sac, ses affaires, défit de son regard quiconque s’approcherait d'elle. T’as peur de personne toi, tu veux jouer aux durs, prouver au monde entier que t'es pas celle qu’on doit emmerder. mais c'est pas le cas, sous le regard insolent y'a la gosse apeuré, par le départ de papa, les menottes aux poignets, la surprise dans ses yeux. “tout va bien” qu’il a juré, promis, derrière la vitre de la voiture de police. tu les détestes, les mecs en uniforme, les gueules de six pieds de longs qui viennent gâcher votre beau conte de fée. fille à papa perdu dans une ville bien trop grande, si tôt prise en charge par les services sociaux. un orphelinat. T'es pas orpheline, t’as une famille, un père. T'as rien à foutre là. t'a rien à voir avec tous ces gosses, ceux qui sont venu t’emmerder, tirer tes cheveux blonds, rire de ton père en prison, de ta pigmentation de peau un peu spéciale, de tes genoux écorchés, de tes mains abîmées. T’aurais pu te défendre toute seule, te battre un peu plus, mais y'as eu Shabh, pour te protéger, Tadhg, pour voler ton cœur, Jill pour la jalouser, Nash pour son amitié. T’as vite compris qu’ici, c’était eux ta famille, tes frères, tes sœurs, ceux sur qui tu peux compter. les enfants abandonnés, perdu, oublié, les gosses qu’on a délaissé, jeter à la poubelle, débarrassés. les parias de la société, des gamins bien loin des portraits qu’on dessine sur les briques de lait, les boîtes de céréales, des mômes abimés.

tu te planques, derrière un coeur trop grand, cœur adolescent, connait les premiers émois d’un amour qui lui tombe dessus sans prévenir. Y'avait plus papa pour remplir ton petit cœur de promesses et de paillettes, mais y avait lui, Tadhg, l’enfant perdu comme toi. Amour gamin trop innocent pour comprendre l’ampleur de sa nocivité, du caractère dangereux de votre relation. Des expérimentations de gosses, des premières taffs au premier joint, des premières gorgées aux premières cuites, du premier baiser à ta première fois, offerte sans cérémonie et sans sacrifice. Depuis le premier jour tu l’aimes Tadhg, d’un amour qui, au fond ne cessera surement jamais, d’un amour qu’on ressent quand on ne sait pas faire autrement.

des souvenirs de cette nuit-là, qui te revienne comme des flashs assassins, lumière crue qui déraille l’esprit, explose le coeur. ton cul coincé dans un caddie, des roulettes qui vrillent au rythme de vos cœurs, des battements à l’unisson, des rires qui s’élèvent dans une nuit bleutée. seul ce soir là, échappé d’un orphelinat trop petit pour vos rêves trop grand, des promesses prononcées aux étoiles, c’est la fin de l’été. votre amour en Y sur un scooter volé, vite fait abandonné au détour d’une rue, main dans la main, retour dans vos cages, à jamais lié.

Pourtant tu le hais tout autant, quand il disparaît sans donner de nouvelles, qu’il revient des jours, des semaines, des mois plus tard, son petit sourire débile accroché à ses lèvres. Tu détestes quand il s’en va, tu détestes quand il revient, tu restes ses jolis mots et les plus moches, tu détestes les garçons, les filles qu’il pourrait aimer un peu plus fort que toi. Tu détestes particulièrement ce qu’il arrive à créer en toi, sentiment de haine, de rage, de colère, accès de violence dans tous tes gestes, dans tous tes mots. Foutue « plume » qui fait ressortir le pire de ton être, qui restera à jamais graver dans ton âme.

tu te planques, derrière la vitre du parloir, attendant avec toute l’impatience qui te caractérise qu’il apparaisse enfin. tu t'es faites belle ce matin-là, coiffé tes longs cheveux blonds, maquillé tes grands yeux bleus, enfilé la robe, la rouge, celle qu’il préfère. et puis t’a pris le bus. ce long trajet qui t’emmène loin de la ville, valdingue au gré des trous sur la route, te secoue à chaque virage. cette route que tu connais trop bien, pour être venue ici des dizaines et des dizaines de fois. pour voir papa, pour voir shah, pour le voir lui. À croire qu’il y aura toujours quelques choses qui te ramèneras ici, un destin lié, et bizarrement, cet endroit que tu détestais tant avant, apparaît aujourd’hui comme un élément familier de ta vie. comme un membre de ta famille. le voilà, de l’autre côté de la vitre, un sourire pour l’accueillir, toi qui as l’impression de le voir un peu plus différent à chaque fois. tu lui racontes, les dernières blagues de papa, la sortie à moto, vous êtes aller vu la mer, vous avez mangé des glaces, tu lui racontes les nouvelles de la rue, du quartier, de tes amis imaginaires, des autres bien réels. tu parles. tu parles, parle et parle encore sans l’écouter. tu l’écoutes par quand il te dit, “c’est fini, faut que t’arrête de venir me voir”, tu l’écoutes pas, tu continues juste de lui sourire, comme s’il venait de te raconter sa meilleure blague. “J'suis désolé Jj”, conclusion d’une relation, des mois et des mois soufflé par quelques mots. t'aura pas plus d’explication, malgré tes cris, tes poings sur la vitre, ta violence si tôt maîtrisée par les gardiens. foutue dehors. foutue à la porte, merci “jj” on a plus besoin de toi. adieu jj. tu t’enfonces, te planque dans tes mensonges, continue de raconter à tous ceux qui t’entourent qu’il est toujours là, en taule, ton mec.

tu te planques, derrière la porte d’entrée, impossible de bouger. il y a encore son odeur, partout, des particules de poussière qui flottent dans l’air. une vague odeur de tabac, t’a même cru voir une cigarette continuer à fumer dans le cendrier. l’appartement tout entier est plongé dans une demi-pénombre, cet appartement a toujours été sombre. t’avance enfin, un pas, fait craquer le parquet. tu connais les endroits stratégiques du couloir. devant la porte de la salle de bain, à droite à coté du placard, puis devant la porte d’entrée. parcours de ninja quand tu voulais faire le mur. sur ta droite, le grand salon. le jeu de fléchettes au-dessus du canapé en cuir, une table basse chargée de canette de bière, de cadavre de bouteilles, cimetière de tabac à peine consumé. des restes d’un plat surgelé à peine entamé, quelques mouches qui virevolte au-dessus. la bibliothèque dans l’angle de la pièce, quelques livres que tu connais à peine, certains n’ont jamais été ouvert. au-dessus du meuble, un petit aquarium, une eau croupie, un poisson rouge qui lutte contre les éléments. rien n’a bougé. ni les meubles, ni les assiettes sales dans la cuisine, ni le lit de papa encore défait, ni ta chambre de gosse, des posters sur les murs, des photos dans tous les coins. véritable mausolée, ton père partout, dans tous les coins. véritable musée que tu refuses de détruire, entretien un souvenir qui te rend malade, mouille tes yeux bien trop souvent. une obsession pour figer le temps. et là, sur la chaise, son blouson de cuir, cette foutue tête de mort qui te nargue.